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Rawi Hage – De Niro’s game

Publié le 30 octobre 2008 par Castor
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Edition Denoël et d’Ailleurs
Comment vit-on dans un pays durant une guerre civile ? Dans ce premier roman qui a reçu le prix des libraires du Québec, l’auteur, né au Liban, tente de répondre à cette question en décrivant le quotidien de deux amis d’enfance, Bassam et Georges, dans le Beyrouth ouest des années 1980, dévasté par la guerre. Bassam rêve de s’évader de son pays, de partir à Rome ou ailleurs, d’y emmener sa belle Rana. Il hante les rues dévastées par les bombes et s’amuse à braver le danger pour passer le temps.
Le quotidien est chaotique, incertain, la violence partout. On sort des flingues à toute occasion, fiers d’exhiber l’instrument, de communier ainsi avec la milice chrétienne dont les discours belliqueux attirent de plus en plus Georges.
Pourtant, la vie continue, malgré tout. Les communautés se côtoient, s’organisent, se déchirent. On suit pas à pas, au fil des pages, les deux compères dans leurs pérégrinations. Ils tentent de tromper l’ennui en s’adonnant à de minables larcins, en travaillant la nuit et en rêvant à des jours meilleurs en tirant sur un joint. Dans un ultime défi, les deux amis projettent de détourner la recette de la salle de jeu du casino de la ville.
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Malgré le sujet traité qui aurait pu s’y prêter, il n’y a pas ici de jugement, de condamnation, de dénonciation de l’aveuglement des hommes, de thèse à charge. La précision froide et cruelle des descriptions (voir l’extrait ci-dessous), la répétition des situations, la narration hachée, les phrases courtes, cyniques et percutantes : tout concoure à faire de la lecture de ce livre une plongée de l’intérieur dans cette période difficile du Liban et favoriser la compréhension de certains comportements.
L’auteur ne s’apitoie pas, le sentiment est induit et l’on devine que la période est trop dure pour se laisser aller. Ainsi lorsque Bassam perd sa mère, « après avoir jeté le premier grain de poussière sur le cercueil de ma mère, j’ai tourné les talons et je suis rentré à la maison, loin des litanies, de la fumée blanche de l’encens, des larmes ». Un livre fort, intense, à l’écriture magnifique pour mieux comprendre la folie des hommes et suivre le destin de deux d'entre eux, des personnages riches et complexes.
Extrait :
Le lendemain matin, j’avais rendez-vous avec Georges au coin de la rue, devant la boucherie Chahine. Des femmes faisaient la queue pour de la viande. A l’intérieur, des chèvres écorchées pendaient à des crochets. Viande rouge, viande blanche : elle tombait du ciel, coupée en morceaux, écrasée, martelée, découpée, hachée, enfournée dans des sacs en papier et tendue à des femmes qui attendaient leur tour, femmes en noir aux visage mélodramatiques et peinturlurés, affichant leur posture soumise de grenouille de bénitier, leurs expressions horrifiées, leur faim cannibale de chair crucifiée, leurs crampes menstruelles de saintes vierges, leurs positions hermétiques de castrées , à genoux, à la merci du couteau de bouchers incultes. Les couteux du boucher paradaient sur les murs jaunis, maculés. Des mouches à tête rouge virevoltaient alentour. Comme les bombardements avaient cessé, les femmes étaient sorties de leur trou pour aller chercher quelque chose à mettre sous les chicots de leur mari chômeur, de la viande tendre pour farcir leur ventre bedonnant.

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