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Y aura-t-il une vie après la crise ? / par Alain Sueur

Publié le 02 novembre 2008 par Alains

Notre pronostic est « oui », mais une vie différente. Tout comme un adolescent mûrit dans l’épreuve, le système économico-politique que nous connaissons en sortira transformé. Reste à surmonter l’épreuve, ce qui n’est pas encore fait.

Le défaut massif des banques islandaises, dont les actifs étaient dix fois supérieurs au PIB du pays, montre que chaque gouvernement ne peut tout seul dans son coin, s’en sortir. La coordination internationale est indispensable, au moins par zone économique. Le Royaume-Uni l’a parfaitement compris qui, bien que n’étant pas dans la zone euro, s’en est vite rapproché pour agir. L’Islande, la Suède, la Norvège, le Danemark, et tous les pays de l’est encore hors zone, mesurent combien il est utile de faire partie d’un ensemble qui compte au niveau mondial. Les interconnections des échanges d’hommes, de biens et de capitaux sont tels qu’ils exigent des ensembles homogènes où la régulation ait un sens. L’Eurozone est de ceux-là, tout comme l’ALENA entre USA, Canada et Mexique, l’ASEAN pour l’Asie et le Mercosur pour l’Amérique latine.

Dans cette zone, on voit combien le volontarisme d’Etat peut être contre-productif : la décision de l’Etat argentin de nationaliser les régimes de retraite part d’une bonne intention – mais les effets pervers n’ont pas été mesurés. C’est une chute dramatique de confiance en l’Etat qui s’est produite aussitôt ; ce qui est perçu comme une confiscation au profit des politiciens (souvent corrompus) a entraîné une immédiate fuite des capitaux et un effondrement de la monnaie nationale. Au moins, lorsque la monnaie est celle d’une union d’Etats, ces genres de mouvements ont beaucoup moins de chance de se produire. La libre circulation dans la zone permet aux citoyens d’aller s’installer légalement où bon leur semble si la politique fiscale de leur pays devient confiscatoire – ce qui limite les tentations… Les éventuelles fuites de capitaux n’affectent pas la zone, mais les rentrées fiscales de l’Etat trop gourmand – ce qui incite à la prudence et à la coopération. L’assise monétaire inter-états rend les garanties plus stables et la confiance plus forte : la Banque centrale européenne ne peut laisser tomber un système bancaire national d’un pays de la zone sans que cela ait des répercussions sur la monnaie unique – donc qu’elle soit amenée d’une façon ou d’une autre à intervenir.

La coordination au niveau mondial est utile, mais pas indispensable pour remettre l’économie sur les rails. Ce pourquoi le ‘Bretton Woods’ attendu par les interventionnistes, notamment jacobins, a peu de chances de se produire. Il y aura du discours, plein de bonnes intentions… et peu de concret. Le monde nouveau se fondera en effet sur des coalitions variables d’intérêts, appuyées sur les grandes zones économiques. Et c’est être naïf incurable, comme le pointe si bien Hubert Védrine, que de croire qu’existe une « communauté internationale » qui ne rêve que tout le monde soit beau et gentil et généreux et prêt à donner à son voisin pour rien… En revanche, s'entendre avec l'Allemagne et l'Angleterre reste indispensable en Europe. 

Quel est le monde d’aujourd’hui ?

  • Une superpuissance qui, depuis 8 ans, a raté sa politique intérieure, sa politique extérieure et son économie.

  • Une Europe indigente qui ne trouve une volonté qu’avec des frontières évidentes, mesurées uniquement lors d’une crise. La zone euro marque une frontière entre les ‘in’ et les ‘out’ ; ceux qui sont ‘out’ ne rêvent plus que d’y être admis au vu de ce qu’ils subissent.
  • Des pays émergents très divers (rentiers, exportateurs, producteurs agricoles, producteurs industriels rivaux) qui connaissent une forte croissance, sont organisés en Etats et qui profitent des échanges pour rattraper le niveau de vie des pays développés. Ils ne sont pas encore autonomes, la baisse de la croissance occidentale fait chuter leurs exportations et affecte pour un tiers leur croissance, mais celle-ci reste positive, plus du double de la croissance normalisée des pays développés quand tout va bien, tirée par leurs immenses besoins et par leur démographie.

Quel sera le monde demain ?

  • L’effacement relatif de la superpuissance qui restera militairement inégalée mais dont le modèle global ne séduira plus : la dérégulation maximum des libertariens a échoué (être libertarien n’est pas être libéral), la démocratie à l’américaine attire moins (sauf si Obama 1/ l’emporte, et 2/ s’il réalise en politique étrangère les espoirs mis en lui – ce qui n’est pas assuré) ; la croissance forte fondée sur la dette (des particuliers, des entreprises, de l’Etat) est finie, l’épargne américaine doit désormais remonter, rien que par souci pour les retraites, fortement affectées par la chute de la bourse.

  • Côté européen, le mouvement vers l’union devrait se poursuivre, Royaume-Uni inclus, qui a bien vu combien l’égoïsme américain se préoccupait peu de son « allié privilégié ». Reste à trouver la traduction institutionnelle de ce mouvement et c’est là que le traité en cours de ratification prend son sens : l’Irlande peut-elle encore dire « non » sans qu’on lui dise cette fois « dehors » ?
  • Les émergents ont trouvé une légitimité plus forte du fait de leur croissance « en dernier ressort », de leur attirance pour les entreprises occidentales qui délocalisent (puisque là-bas sont les marchés…), et de leurs fonds souverains et sociétés qui ont des liquidités prêtes à s’investir dès que la situation sera stabilisée. Le G8 devrait devenir très vite un G14 ou plus.

Ce monde nouveau n’accouchera que dans la douleur :

Il semble pour l’instant que la panique soit stoppée, ce qui est la première étape ; reste à consolider le système bancaire pour que le crédit puisse à nouveau irriguer l’économie. Pendant ce temps, la bourse continuera à faire du yoyo jusqu’au double-creux qui marquera la fin de la purge (mais 2009 ? octobre 2009 ? printemps 2010 ?). Nul ne sait encore si le premier creux est déjà fait…

Car nous n’échapperons pas à une récession, avec son cortège de révision des résultats en baisse, de chômeurs, de faillites et de revendications sociales ; après les décisions communes de baisse des taux, chaque Etat devra donc décider d’une politique de relance tout en activant les filets sociaux, aggravant le déficit à moyen terme en attendant des jours meilleurs. Ce sera la deuxième étape : celle qui décidera la tendance du marché. L’espoir d’en sortir assez vite en U ? Ou le marasme d’une récession en L ?

Une fois la crise passée, dans 2 ou 3 ans, gageons que les impôts devront augmenter, touchant surtout les CSP+ mais pas les vrais riches qui savent comment les minimiser. Gageons aussi que l’inflation repartira à terme pour éponger les dettes de tous et pour absorber l’afflux massif de liquidités qui sont engouffrées en ce moment dans le système. Ce sera alors un nouveau monde pour les marchés : retour aux actions, surtout celle des pays en croissance, retour à l’énergie et aux matières premières, actifs réels, rebond de l’immobilier – tout ce qui protège de l’inflation sur le long terme. En revanche, méfiance envers l’or, les livrets et assurance-vie en euro, méfiance envers les rentes, dont les obligations, minées par l’endettement des Etats, surtout ceux qui ont trop peu de croissance.

Plus de frilosité, moins de prêts risqués, moins d’innovations – la croissance future reviendra, mais elle sera faiblarde. Il faudra des années – dix ans ? – pour que le monde développé se sorte de l’impasse dans laquelle il s’est mis.


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