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Les promesses non tenues de Sarkozy aux ex-prostituées

Publié le 12 novembre 2008 par Chictype

Nous l’appelerons Edith. Elle pourrait être extradée samedi. Dans une autre vie, elle a connu la dégringolade de la rue à partir de sa Roumanie natale. La rue, les clients, les macs et un grand voyage vers l’eldorado européen et ses promesses de fortune. Atterrissage violent, en 2001 porte de Bagnolet à Paris où, sous la bonne garde d’un réseau de proxénètes, elle vend son corps.

Sept ans plus tard, Edith a changé de vie. Elle parle Français, elle s’est réinsérée, elle travaille. Mais tous les jours, elle se demande si des policiers -français- ne vont pas la mettre dans un avion direction Bucarest: la jeune femme fait l’objet d’une demande d’extradition, suite à une plainte déposée par les membres du réseau criminel qu’elle a dénoncé!

D’où le coup de gueule de son avocate, Me Delphine Lassailly, et de l’association Tamaris, présidée par le général en retraite Henri Marescaux. Ils en appellent à Nicolas Sarkozy afin d’éviter à Edith une extradition qui pourrait s’avérer dangereuse. Au passage, ils mettent le doigt sur une vraie faille de la loi. (Lire le document ci-contre)

Edith a dénoncé son réseau de proxénètes contre une carte de séjour

Car, entre ces deux vies, Edith a saisi l’opportunité offerte par la loi Sarkozy de 2003 sur le racolage public. A l’époque, le ministre de l’Intérieur vantait à l’opinion l’idée de pénaliser le racolage (délit puni de deux mois de prison et 3750 euros d’amende):

“Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération.”

En échange, les prostituées étrangères en situation irrégulière qui accepteraient de dénoncer leur proxénète se verraient assurer la mansuétude des autorités. Nicolas Sarkozy leur promettait un titre de séjour de dix ans. Autant dire l’éternité à l’heure de l’immigration choisie. Cinq ans après, tout le monde, y compris la police, dresse un bilan accablant de ce dispositif.

La loi Sarkozy de 2003? Première cible: les prostituées

Certaines associations, comme le Mouvement du nid, reprochent au texte le principe même de la délation. D’autres soulignent ses effets pervers. Un sociologue comme Lilian Mathieu du CNRS, estime que cette loi a surtout eu pour effet de précariser et d’isoler les travailleuses du sexe. A coup de condamnations répétées.

D’après les chiffres fournis par la ministère de la Justice, les condamnations pour “racolage sur la voie publique” ont explosé en 2005, pour finalement se stabiliser:

  • 2003: 314 condamnations
  • 2004: 771
  • 2005: 1028
  • 2006: 529
  • 2007: 582

Dans 95% des cas, les fautives sont punies d’une amende (357 euros en moyenne) et dans 5% des cas d’une peine de prison (19% de peines fermes -un mois en moyenne- et 81% assorties du sursis). Après un pic de condamnations en 2005, la loi sanctionne donc un peu plus de 500 cas par an. Elle punit les travailleuses du sexe, pas leurs employeurs.

Les peines de prison ferme prononcées dans une infime minorité de cas (1%) sont de moins en moins lourdes: 0,7 mois en 2007, comme si les magistrats du siège avait compris l’inanité de la sanction. Qu’en est-il du démantèlement des réseaux criminels?

Attaquer les proxénètes, un mirage judiciaire, mais l’Elysée y croit toujours

Sur ce point, le gouvernement est… mutique. Impossible d’obtenir des chiffres fiables au niveau national. Au ministère de la Justice, puis au ministère de l’Intérieur, on désigne le voisin: seule l’administration dépendant du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale tiendrait les comptes. Mais silence, le cabinet de Brice Hortefeux ne communique pas sur cette question.

Les services du parquet de Paris sont plus diserts. En se fiant aux statistiques de la préfecture de police de Paris, ils dressent l’évolution suivante:

  • 2005: 306 titres de séjour accordés par le biais de l’article L 316-1 du code des étrangers
  • 2006: 286 titres de séjour
  • 2007: 180 titres de séjour
  • 2008: 92 titres de séjour

En quatre ans, la chute est sévère. Rien d’étonnant, souligne-t-on dans l’entourage du procureur de la République. Au début, il y a quelques affaires retentissantes, mais les réseaux de prostitution ont trouvé la parade:

“Les prostituées font des dénonciations type, assez alambiquées, qui obligent la police à faire des vérifications qui n’aboutissent pas.”

En résumé, la loi est devenue inefficace. Un constat partagé par les policiers spécialisés. Pour coincer les réseaux, rien ne vaut la bonne planque à l’ancienne, pour observer les allées et venues des souteneurs et remonter les échelons d’un réseau. L’article 316-1 a-t-il permis de démanteler des organisations criminelles? “C’est marginal”, lâche un vieux routier.

D’ailleurs, les statistiques de la préfecture de police taisent une réalité: la plupart des titres de séjour accordés le sont grâce au travail des associations qui parviennent à convaincre certaines femmes de changer de vie. Grâce à un accompagnement social serré. Sinon, elles retournent rapidement à leurs lucratives activités.

Au cabinet de Rachida Dati, la décision a été prise: “on laissera faire”

Edith a suivi le parcours idéal de la réinsertion, travaillant d’abord pour une entreprise de restauration à vocation sociale. Où les emplois sont aidés par des subventions de l’Etat. Puis, à force de travail et d’effort, elle a trouvé sa place dans la société française: vendeuse dans une confiserie. Ceux qui connaissent son histoire ne comprennent pas l’absurde logique juridique.

Malgré plusieurs recours devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, pas un seul juge n’a eu le courage de lui offrir un sauf-conduit. En matière d’extradition, les magistrats tranchent sur la forme, pas sur le fond du dossier. Ses avocats sont donc allés plaider sa cause jusqu’au cabinet de Rachida Dati. Réponse: jusqu’à l’audience du 7 novembre, le décret d’extradition ne sera pas exécuté, après…

“Pour arrêter la procédure aujourd’hui, explique le général Henri Marescaux, il n’y a qu’une décision politique. Et visiblement, elle a été prise. Le conseiller pour les affaires pénales de la ministre de la Justice m’a dit: ”on laissera faire“. »

La jeune femme de 32 ans risque donc de prendre l’avion pour Bucarest dès samedi. D’où l’ultime recours, une lettre au président de la République. Accessoirement promoteur de la loi de 2003. Si Edith est extradée, alors les prostituées repenties sauront que la France ne leur garantit plus l’asile. Comme les anciens des Brigades rouges… Promesse non tenue.

http://www.rue89.com/2008/11/06/les-promesses-non-tenues-de-sarkozy-aux-ex-prostituees-0


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