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Le Mulet

Publié le 17 novembre 2008 par Jlhuss

Il y a des moments ou le blogueur se sent bien seul ! Dépassé par la futilité des infos “en cours”, ou rebuté par les “répétitions”, il devrait laisser la page vide. Mais il s’est fait un “devoir” de proposer tous les jours un texte nouveau. Alors il fonce dans ses livres et recopie  un texte qu’il aime.

Lire ou relire

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Quelque Homère des champs de coton devrait chanter un jour la saga du mulet, et dire la place qu’il occupe dans les États du Sud. Ce fut lui, plus que qui ou quoi que ce fût, qui, indéfectiblement attaché à la glèbe à l’heure où tout le reste s’effondrait sous le rouleau inexorable des événements, inaccessible, à cause de sa hargneuse et patiente obsession du présent immédiat, aux circonstances qui brisaient les courages humains, releva le Sud prostré sous le talon de fer de la Reconstruction, lui fit tirer de l’humiliation une leçon de fierté, et de l’adversité vaincue une leçon d’énergie, et, rien que par l’attente obstinée de la revanche, en dépit d’insurmontables obstacles, accomplit ce miracle. Il ne ressemble ni à un père ni à une mère; n’aura jamais ni fils ni fille; vindicatif et patient, -c’est un fait bien connu qu’il travaillera dix ans avec endurance et bonne volonté pour la seule satisfaction de vous envoyer un unique coup de pied,- solitaire, mais sans orgueil, il se suffit à lui-même, mais sans en tirer vanité, et son cri n’est qu’une moquerie qu’il s’adresse à lui-même.

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Proscrit et paria, il n’a ni ami, ni épouse, ni maîtresse, ni promise; seul et invulnérable, il n’habite ni pilier ni grotte dans le désert, il n’est ni assailli par les tentations, ni flagellé par les songes, ni conforté par la Vision.

La foi, l’espérance, la charité ne sont pas pour lui. Misanthrope, il travaille pendant six jours sans dédommagement pour une créature qu’il déteste, lié par des chaînes à une autre créature qu’il méprise, et il emploie le septième jour à ruer contre ses camarades ou à en recevoir des ruades. Méconnu de l’être même dont les instincts et les pensées ressemblent le plus aux siens : le nègre qui le conduit, il accomplit des actes qui profitent à d’autres dans un milieu qui lui est étranger; il procure du pain non seulement à une race, mais toute une forme d’existence; débonnaire, tout son patrimoine s’en va à la chaudière, avec son âme, dans une fabrique de colle forte.

Laid infatigable et têtu; raison, flatterie, promesse de récompense, rien n’a de prise sur lui; il s’acquitte sans se plaindre de son humble et monotone besogne et accueille les coups avec la même indifférence qu’une aubaine.

William Faulkner

[Sartoris]

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