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Episode 12 : "Théâtre de Bouvard"

Par Michel Crémadès

Pascal Légitimus nous ayant mis l’eau à la bouche, nous voyons déjà s’entrouvrir, devant nos yeux émerveillés, les portes de la télévision.

Tel des gardons frétillants, nous attendons donc le jour et l’heure de rendez vous avec Philippe Bouvard.  Que d’impatience et surtout quelle méga anxiété !

Qui ne connaît pas ce personnage caustique au caractère aussi trempé que la lame d’un couteau. Chroniqueur, il a la plume caustique et ses réparties sont autant de flèches décochées avec un si grand sourire.

Mais enfin arrive le grand jour, pour nous « l’opération Overload », ce n’est rien à côté de ce qui nous attend.  

Nous sommes une cinquantaine de personnes rassemblées au Pavillon Gabriel, toutes et tous issues de théâtres, cabarets ou cafés théâtres.

On essaye de plaisanter, de masquer notre trac quand tout à coup, on le voit enfin.

Il descend l’escalier dans son imper clair, aussi froid qu’un iceberg.

Arrivé en bas, il demande à sa secrétaire un café puis il s’adresse à nous :

« Bonjour, merci d’avoir répondu présent à mon appel. Antenne 2 m’a demandé de prendre le quart d’heure du soir avant le journal télévisé avec une émission comique, et, avec le réalisateur Nino Monti, nous avons pensé que des jeunes pourraient, peut-être, par le biais de sketches ou improvisations, y arriver.

Ca fait des années que j’essaye de faire ça avec des vieux crabes de la télé, ça n’a jamais marché, mais bon, Nino est sûr que vous pouvez, vous, y arriver. J’en doute, mais voilà, vous êtes là, faites moi rire. Où est mon café ?... »

Silence glacé dans l’assistance, on n’entend que le bruit des glottes en train de déglutir.

Puis il ajoute :

« J’ai écrit sur des petits papiers des propositions de sketches que je vais tirer au sort et vous viendrez à tour de rôle faire une improvisation. Ma secrétaire a établi la liste des artistes qui se produisent dans Paris et ce par ordre alphabétique. Je vais donc appeler les premiers. »

Mon compagnon de scène ayant pour nom Aquilon…

« J’appelle Raymond Aquilon et son partenaire Michel Crémadès. »

 Pan ! Nous étions les premiers à ouvrir le bal pour le plus grand bonheur des copains présents car essuyer les plâtres, personne n’en avait trop envie !

 Philippe Bouvard plonge la main dans une petite corbeille et annonce :

« Un employé demande une augmentation à son patron… »

Sur ce, il se remet à touiller le sucre dans son café en nous annonçant qu’il nous laissait deux minutes avant de commencer.

Avec Raymond, nous discutons vaguement de la stratégie à suivre quand tout à coup, un petit sourire au coin des lèvres, Philippe Bouvard nous demande qui va faire le patron et qui sera l’employé…

Connaissant le bonhomme, je saute sur l’occasion pour lui dire que vu la couleur de peau de mon partenaire, il me paraissait évident que je ferai le patron et lui l’employé.

Bouvard se met à avoir des soubresauts de rires.

Je vois que j’ai fait mouche, je regarde Raymond, on se comprend tous les deux et on attaque immédiatement notre improvisation, il ne faut pas laisser refroidir la bonne humeur de Philippe Bouvard.

Il rit plusieurs fois de nos « bêtises », notre prestation dépasse nos espérances, nous trouvons une chute plus ou moins drôle mais je sens bien qu’on a réussi notre coup. Les copains applaudissent, Bouvard nous demande de retourner dans la salle et d’attendre.

Il fera passer une grande partie des personnes présentes, Jean Jacques Péroni, Michel Lagueyrie, Isabelle de Botton, Lime, Yvan Burger, Chevalier et Laspalès, Pascal Légitimus…

Je ne peux tous les citer… Puis il se lève et les yeux humides de rire, il nous dit :

« Bravo, vous m’avez convaincu, je demande le quart d’heure à Antenne 2 ».

Une fois qu’il aura auditionné tout le monde, il se retire dans son bureau et au bout de trente minutes, il vient énumérer la liste de ceux qui feront partie de l’équipe.

« Je ne peux garder tout le monde, nous dit-il, les autres ce sera plus tard ».

Mon Raymond ne fait pas partie du lot, Pascal Légitimus lui a été préféré…

C’est ainsi que va commencer cette aventure du « Théâtre de Bouvard » qui marquera plusieurs générations de téléspectateurs. Notre force était que nous ne nous prenions pas au sérieux, quelques accessoires, pas de décor, pas de costume, juste notre matière grise mise au service de la gaieté et du bon goût. (Enfin, pas toujours…)

 Au début de l’émission, tous les sketches étaient improvisés mais il y avait trop de déchets, aussi Philippe nous avait demandé de les préparer en amont.

 

Nous nous retrouvions quelques après midis tous ensemble afin de « pondre », suivant la formule consacrée. Si on riait de notre production, on gardait, sinon poubelle.

Ensuite, on présentait nos œuvres à Philippe, il décidait, soit de garder, soit il nous demandait d’améliorer certaines choses ou bien il jetait sans ambages.

Nous enregistrions au Pavillon Gabriel, Nino Monti était le réalisateur attitré de l’émission.

Le succès fut fulgurant. La France entière était derrière son poste de télévision. Nos noms étaient inscrits à l’écran, aussi nous allions devenir rapidement des « super stars » du petit écran.

Entre temps, avec Bernadette, nous avions rendu l’appartement de Gennevilliers à mon frère et trouvé un petit deux pièces à Saint Ouen.

La popularité de cette émission allait grandissante et comme les copains, je ne pouvais plus faire un pas dans la rue, finies les sorties avec bébé dans la poussette, les ballades en amoureux, c’était de la folie !

Un jour, je décidais de faire ma petite dépression nerveuse. Je restais enfermé chez moi pendant une dizaine de jours avec lunettes de soleil et chapeau vissé sur la tête.

Je ne voulais plus qu’on m’arrête dans la rue, j’avais la sensation de ne plus être libre, mais dévoré par le public, les gens étaient adorables, mais c’était trop d’un seul coup.

Bernadette m’expliqua que c’était la rançon de la gloire et que si j’avais décidé de faire ce métier, c’était pour être vu et que si j’étais reconnu, c’était plutôt bon signe.

Le bon sens et la perspicacité d’une femme !

Je retournais enregistrer avec les copains d’autres sketches, fier de savoir que nous rendions heureux tout un public de plus en plus fidèle. Ici, avec Didier Bourdon dans le rôle d'un médecin légiste qui part en vacances, et qui s'aperçoit qu'un de ses clients n'est pas complètement mort...

 

La troupe du « Petit théâtre de Bouvard » s’était agrandie, c’était très bien mais Philippe Bouvard, malin comme un singe, avait créé comme une compétition entre nous afin d’extirper la « substantifique moelle » de nos divers talents.

Nous avons passé d’excellents moments ensemble, notamment ce tournage à Cannes et ses environs. Le thème était le camping. Ca vous rappelle un film, non ?

Je me souviens de Didier Bourdon un peu plus mince que maintenant, habillé en MNS, qui portait ma gamine sur ses épaules, ou encore cette journée pendant laquelle une vingtaine d’histrions batifolaient dans la piscine de Philippe Bouvard, chez lui à Mougins, somptueux petit village dans l'arrière-pays, et ce dîner au « Moulin de Mougins », un des restaurants les plus huppés du coin !!!

Nous avions à notre disposition une batterie de serveurs qui se battaient pour venir nous servir, ou encore cette soirée à la fin de laquelle Bruno Gaccio s’était jeté tout nu dans le port et Jean Jacques Péroni, mécontent du repas avait fait la danse du ventre à poil sur une table.

(Quand je vous parlais de bon goût !)

Au retour sur Paris, je me décidais assez vite de mettre fin à cette belle aventure.

Le temps d’un sketch avec Michèle Bernier, tous les deux en danseurs étoiles puis le dernier avant de tirer ma révérence, avec Smaïn dont vous avez un extrait dans « Texte libre ».

Je sentais que ce bel esprit d’équipe commençait à s’effilocher, certains de mes camarades avaient perdu, à mon goût, la fibre artistique et ne voyait  plus que le côté "paillettes" des choses.

Je jouais une pièce au « Tintamarre », ex « Splendid », lieu qui a vu parmi nos plus grands comiques jouer entre autre, « Le Père Noël est une ordure » et qui est devenu maintenant un bar, comme quoi tout a une fin…

La pièce que je jouais s’intitulait : « Apocalypse Na ! »

«  A tout bientôt !!! »


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