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Roberto Alajmo, UN COEUR DE MERE > FILS DE PERSONNE (entretien)

Par Topolivres
Petits arrangements avec le crime : l'auteur révèle les dessous de l’affaire de la rue Tamburinai (Palerme)
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topolivres : Fils de personne a un lien avec des faits réels ?
Roberto Alajmo : C'est une histoire vraie qui s'est passée à la Kalsa, un quartier populaire de Palerme. Ou plutôt, l'histoire en réalité s'était produite à la Vucciria : je l'ai déplacée à la Kalsa parce que la Vucciria me semble un décor trop éculé. Tout dans cette histoire était si extraordinairement grotesque que j'ai dû paradoxalement arrondir divers angles d'exagération. Certains points, bien que vrais, étaient tout à fait invraisemblables et donc inutilisables dans un roman. Cela peut paraître étrange quand on a lu le livre, étant donné qu'il est déjà passablement grotesque (1).
t. : Dans le précédent roman, Un coeur de mère, la mafia n'était jamais explicitement mentionnée, tandis qu'elle l'est dans celui-ci.
R.A : Les scènes de l'usurier et de la fusillade évoquent sans doute davantage la mafia, mais elle reste une sorte de toile de fond, ce n'est pas le sujet central. En premier lieu parce que la mafia n'avait rien à voir avec l'histoire que j'avais à raconter. Ensuite pour rendre l'idée, y compris à l'étranger, que la mafia à Palerme n'est pas une présence physique et perceptible à un niveau visuel ou tactile. La mafia est une présence qui a quelque chose d'olfactif. C'est une odeur nauséabonde qu'on sent, diffuse dans l'air, on n'arrive pas à déterminer exactement d'où elle vient, mais elle est là. Comme une merde dans laquelle quelqu'un aurait marché : on ne sait pas bien où elle se trouve ni qui parmi les gens autour de soi a marché dedans, mais on sait que cette puanteur est là et qu'on doit faire avec.
t. : Le portrait de Palerme, dans l'ensemble, paraît assez négatif.
R.A : Pas négatif, non, le cadre de Palerme est aussi réaliste que possible. Palerme est une ville très fascinante, en vérité. Elle a un charme qui n'est pas simplement classique. Le classicisme exploite surtout la part apollinienne, peu la part dionysiaque ; Palerme est fascinante précisément parce que c'est une ville charogne. On va toujours tomber amoureux des voyous, souvent violemment, même si l'on sait que ce sont des voyous, justement parce que l'on sait que ce sont des voyous : et pourtant on ne peut s'empêcher de s'enticher d'eux. Palerme n'est pas Florence, qui permet de donner d'elle une description romantique, purement et simplement fascinante. Palerme est une ville problématique. Je m'efforce de la restituer telle qu'elle est, ni meilleure ni pire.
t. : Vous disiez par ailleurs qu'écrire est l'unique métier que l'on puisse exercer à Palerme.
R.A : Toute activité est difficile, à Palerme, car elle implique dans tous les cas un choix moral, se placer d'un côté ou de l'autre. Et qui fait le choix de l'intégrité, au final se retrouve à vivre son travail comme un combat permanent. Quelle que soit la profession que l'on exerce, commerçant, entrepreneur, prêtre, magistrat, policier... on doit mener une guerre, à Palerme. Il y a un seul métier, selon moi, que l'on fait bien : c'est celui d'écrivain, de journaliste, le métier de raconter des histoires. A Palerme, vous n'aurez jamais le problème de trouver une histoire à raconter, parce que ce sont les histoires qui viennent vous chercher. C'est pour cela que j'ai volontairement choisi de rester malgré toutes les difficultés
(2).
t. : Quel rapport avez-vous avec le silence ? ou avec les silences ? On en rencontre souvent au fil de votre oeuvre.
R.A : Cela dépend de la qualité du silence. Il existe des silences de tous types. Le silence qui précède la première balle frappée par le joueur de tennis est différent de celui qui précède la deuxième balle frappée par le joueur de tennis, par exemple. C'est la qualité du silence qui importe. Certains silences sont embarrassés, d'autres denses. Au fond, même si c'est curieux à dire pour un écrivain, je suis une personne de peu de mots et j'aime les personnes qui parlent peu, qui savent donner le juste poids aux mots qu'elles emploient et ne les gaspillent pas, comme il arrive parfois.

"Sur ce point-là, même les jours suivants, Tancredi est resté et reste inébranlable. Les menaces et les promesses ne servent à rien. Il n'avoue pas. Il ne cherche même pas à se disculper. Avec le temps, sa réticence, qui au début était faible, s'est cristallisée. Il a compris qu'on ne peut pas l'obliger, et c'est la seule contrainte à laquelle il refuse de se soumettre. Tout ce qui reste de son moi est allé se réfugier dans ce coin de silence.
Il ne parle qu'avec sa famille qui vient le voir en prison. Mais comme ses compagnons l'ont prévenu au cours de l'heure de promenade que les conversations avec les proches étaient enregistrées par les flics, il fait très attention à ne rien laisser échapper à propos du crime. C'est sa mère qui vient le plus souvent. Elle s'assied en face de lui et se met à pleurer. Puis, quand elle se calme un peu, elle demande : 'Comment te sens-tu, mon fils ?'
Sa mère ne lui demande pas comment il va. C'est peut-être trop vague. L'expression qu'elle emploie, et le ton, laissent entendre qu'elle veut vraiment savoir quels symptômes il ressent en ce moment. Elle ne doute pas qu'il soit malade et elle n'a pas besoin d'attendre une réponse :
'Tu vas mal, je le sais. Je le sais bien.'
Sa mère le dit comme si elle se sentait responsable de sa condition de malade. Durant cette première phase de l'entrevue, Tancredi préfère ne pas intervenir. Elle seule parle :
'Mon pauvre, pauvre fils.'
C'est curieux : Tancredi attend les visites avec impatience, elles représentent l'unique variante à la monotonie des journées en prison, et pourtant au bout d'une minute à peine il voudrait être ailleurs.
"
Roberto Alajmo, Fils de personne
 
t. : Parmi les éléments que je vois revenir dans vos textes, il y a : les toilettes.
R.A (s'asseyant sur un rire) : Maintenant que vous m'y faites penser, c'est juste. Parce que les toilettes sont une espèce de petit tabou, avec le grand tabou de la mort que l'on voudrait tenter d'exorciser. On fait plein de choses, dans la salle de bains. En ce qui me concerne, je téléphone, je lis énormément. C'est un endroit où chacun reste seul avec lui-même et où le silence acquiert une consistance propre, donc les idées réussissent mieux à affleurer. C'est vrai. Je m'y enferme à la première occasion.
t. : Le franchissement de la porte ressemble aussi à un leitmotiv.
R.A : Je n'avais jamais réfléchi au fait qu'il y a toujours un seuil. Je ne sais pas, peut-être est-ce la fameuse ligne d'ombre dont parle Joseph Conrad, cette étroite frontière que nous sommes amenés à dépasser et qui dans le même temps nous sépare de ce que nous ne connaissons pas, du danger, d'une certaine manière. Je vais y songer. Revoyons-nous dans un an, je fournirai une réponse plus approfondie. Parce que c'est vrai que tous mes romans montrent un rapport entre un côté et l'autre de la porte, comme s'il s'agissait d'un rideau entre les individus.
t. : Vous avez fait sur votre blog une expérience d'editing collectif de quelques chapitres d'un roman que vous étiez en train d'écrire.
R.A : J'ai réalisé cette expérience parce que je recherche constamment des miroirs dans lesquels observer mes textes. Je crois que l'écriture est un exercice à faire seul, mais avec les fenêtres et les portes ouvertes, de façon à créer un mouvement d'air et que les idées s'oxygènent le plus possible. C'est pour cela que je suis très peu jaloux de mes histoires, je les raconte toujours facilement et aime recevoir les conseils de ceux qui lisent mes livres avant parution. Après la publication, j'apprécie les compliments. Avant la publication, ce sont les critiques qui sont vraiment utiles.
t. : Projets en cours ?
R.A : J'ai deux livres qui sortent bientôt. Le premier est un reportage sur l'année 1982, celle où tous mes cheveux sont devenus blancs. J'essaie de comprendre si la raison est liée à mon parcours autobiographique ou bien aux nombreux événements qui ont eu lieu à cette période, qui ont vieilli le monde. 1982 est en effet l'année de mes cheveux blancs, mais aussi celle où le TIME décréta que l'homme de l'année était l'ordinateur, où fut commercialisé le Compact Disc, où l'Italie remporta la Coupe du monde de football, où il y eut la guerre des Malouines, le massacre de Sabra et Chatila... J'évoque aussi cette année 1982 à travers certains détails absolument secondaires, comme la pêche d'un calamar géant en Mer du Nord, en les rattachant à ma vie personnelle, à mes amours adolescentes tardives et à mon service militaire, pour tâcher de comprendre pourquoi mes cheveux sont devenus blancs. Le titre est 1982, le sous-titre Mémoires d'un jeune vieux. Le deuxième livre est un roman, encore sans titre, qui paraît en mars. L'histoire se situe à Palerme dans un milieu un peu plus bourgeois que ceux dont je traite d'habitude.
(1) La Vucciria (prononcé grosso modo comme boucherie, dont le nom italien dérive) est le quartier du marché où le candidat à la mairie de New York Carmine Bonavia descend "retrouver ses racines" dans le film de Francesco Rosi adapté du premier roman d'Edmonde Charles-Roux (Oublier Palerme), par exemple. Et avec le Siculo-Américain cinématographique, avant et après lui, nombre d'autres caméras et touristes sur les traces du summum du pittoresque palermitain, voire de cette authenticité vitale qui, si tant est que cela signifie quelque chose, a sans doute migré en d'autres endroits de la ville. Le secteur de la Kalsa, de l'autre côté de l'avenue Vittorio Emanuele, occupe le quart sud-est du coeur de Palerme. Il se relève péniblement mais sûrement des bombardements de la guerre, entre anciens palais de l'aristocratie, bâtiments déconfits, échafaudages à l'air très déterminé pour la plupart et festival d'arts contemporains.
Le Giornale di Sicilia relatait ainsi les faits qui ont inspiré Fils de personne à Roberto Alajmo : "Un banal accident de voiture à l'origine du meurtre de Salvatore Altieri, 42 ans, sans casier judiciaire, survenu dimanche soir rue Cassari. L'homme aurait été tué par son fils au terme d'une dispute provoquée apparemment par quelques bosses constatées sur la carrosserie de la BMW familiale. Salvatore Altieri aurait reproché des accidents répétés à son fils de 23 ans, Federico. Il lui aurait demandé des explications, peut-être de façon un peu énergique, et celui-ci pour toute réponse aurait tiré sur son père trois coups de pistolet, avec un calibre 7.65 dont la police cherche à savoir comment il est arrivé en sa possession. Deux balles ont porté, dans le sternum et le dos de Salvatore Altieri, la troisième a manqué sa cible. Federico Altieri a été retrouvé vers minuit chez son amie. Les enquêteurs avaient été mis sur sa piste par le récit de quelques membres et amis de la famille. Tous parlaient de rapports tout sauf idylliques entre le père et le fils, de querelles fréquentes. Le jeune homme a été arrêté. Depuis son interpellation, il n'a pas dit un mot. 'Il s'est enfermé dans un mutisme absolu', précise le chef de la brigade mobile". On comprend qu'un romancier ait eu envie de mettre les mains dans un tel pétrin de conditionnels, en effet.
(2) Voir, sur ce sujet notamment, le "guide" aussi brillant qu'essentiel Palermo è una cipolla ("Palerme est un oignon"), Rome-Bari, Laterza 2005, p. 26. Best-seller de Roberto Alajmo en Italie, publié aussi en Allemagne, le livre reste pour l'heure inédit en France. J'envisage de m'enchaîner aux colonnes de la Fontaine Saint-Michel jusqu'à ce qu'engagement de publication de traduction s'ensuive. Dans l'immédiat, un extrait du chapitre consacré à la relation qu'entretiennent le Palermitain et la mort, traduit par Marguerite Pozzoli et paru dans le n°8 de La pensée de midi, est disponible en ligne ainsi que l'ensemble des 16 premières livraisons de la revue.
Propos recueillis le 30 juin 2007 par Alice Guzzini
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Roberto Alajmo
Fils de personne

Traduit de l'italien (E' stato il figlio) par Danièle Valin
Rivages 2007
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