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A l'école de l'élite militaire afghane

Publié le 22 novembre 2008 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Une trentaine de soldats afghans grimpent en courant la pente raide de la "colline de l'homme perdu", fusil d'assaut à bout de bras, dans un nuage de poussière. "Hondo" les observe, avec le regard de l'expert : "Les Afghans sont rustiques, parfaitement adaptés à leur environnement ; ce sont des combattants inépuisables : le matin à 5 heures, ils sont à l'entraînement." Le commandant Hondo est le patron des vingt instructeurs français détachés à camp Morehead. A 15 km au sud de Kaboul, sur la route du Logar, ce vaste site de 6 km2 abrite l'Ecole des commandos, qui forme l'élite de l'armée nationale afghane (ANA).

Hondo, comme son adjoint le "capitaine Léon", s'est choisi un pseudonyme. Français ou Américains, les membres des forces spéciales ont pour première règle la discrétion : ni nom, ni photo. Son corps d'origine est le CPA 10, une unité des commandos parachutistes de l'air qui relève du commandement des forces spéciales (COS). Camp Morehead est un endroit peu visité, entouré de montagnes dénudées, protégé par une haute clôture de barbelés qui court sur les crêtes, et une succession de miradors. Des ruines et des carcasses de blindés témoignent que cet ancien centre d'entraînement de l'armée soviétique a été le théâtre de violents combats.


La population locale, notamment celle du village voisin de Charab-Asiab, fait plutôt bon accueil aux forces étrangères, mais la vigilance est de mise : récemment, un IED (engin explosif improvisé) a été découvert sur la route et, plus au sud, les insurgés tirent souvent des roquettes sur le camp des soldats italiens. "Nous avons des menaces probables avérées", résume Hondo, mais les Américains donnent tous les "renseignements environnementaux dont ils disposent".

La coexistence entre Français et Américains se déroule dans une atmosphère jugée "excellente" par les premiers. Bien que camp Morehead ait été ouvert par les deux pays, en février 2007, les Etats-Unis sont la puissance dominante en termes d'effectifs, de logistique et de financement. "Nous sommes des conseillers militaires, explique Hondo. Les programmes d'instruction ont été établis par les Américains, et nous, Français, sommes là pour vérifier que ces programmes sont correctement appliqués. Nous avons une parité totale avec les Américains, mais ce sont eux qui ont l'argent et les structures." Les Américains ont 50 instructeurs des forces spéciales de la Force Delta à camp Morehead, auxquels s'ajoute un nombre indéterminé de "MPRI" (Military Professional Ressources Incorporated, une société de contractors créée par le Pentagone), qui sont des civils (souvent d'ex-militaires) ayant rendossé le treillis. Tous sont instructeurs, comme une dizaine d'experts émiratis et les quelque 80 formateurs afghans de la CTC (Commando Training Company). Ces derniers ont été entraînés par les Jordaniens, lesquels ont souvent bénéficié d'une formation préalable... française. Pour ajouter à cette complexité, l'ensemble du camp est sous la protection de soldats afghans relevant d'une société de sécurité privée - financée par les Américains -, la NCL. En Afghanistan, il n'est pas toujours simple de faire la différence entre soldats des armées régulières et contractors privés... Quelle que soit leur nationalité, tous ont pour objectif la formation, en douze semaines, d'une promotion de 700 commandos afghans, qui deviendront le fer de lance de la guerre contre les insurgés. Le 31 décembre, le sixième kandak (bataillon) aura achevé sa formation, et ses membres recevront leur béret rouge. L'ANA comptera alors 5.000 commandos, détachés auprès des différents corps d'armée. Pour y parvenir, les stagiaires afghans devront avoir subi avec succès des tests éprouvants. Certains caleront en cours de route.

Pendant douze semaines, la formation va être intensive. Combat urbain et en environnement désertique, patrouilles de nuit, techniques du check-point et de l'investigation, tir à l'arme lourde, tir de précision et maniement des explosifs vont s'enchaîner, alternant avec des cours plus théoriques, comme la topographie et des rudiments d'enseignement sur la convention de Genève sur les prisonniers.

Agés de 19 à 40 ans, les commandos afghans ont souvent un passé d'ancien soldat ou de policier. Saïd Hachim, 21 ans, originaire de Herat, explique pourquoi il "aime les commandos" : "Nous avons un meilleur équipement que dans l'armée, et bien d'autres avantages." Il n'a pas peur des talibans : "J'ai passé deux ans dans la province d'Oruzgan, et pas une fois ils n'ont osé nous affronter. Ils se servent d'IED, cela prouve qu'ils sont faibles."

Le capitaine Hassan ul-Hacq, 31 ans, vient du Nouristan. A 10 ans, il est entré dans une école de cadets. Il ne cache pas que la solde des commandos (entre 200 et 400 dollars par mois, contre 150 dollars dans l'ANA) l'a attiré, tout comme le capitaine Mohammed Amin, un Hazara de la région de Baghlan : ancien ingénieur, il a rejoint l'armée il y a trois ans, "parce que l'ANA avait besoin de gens éduqués pour défendre le pays. Le gouvernement doit d'abord détruire Al-Qaida avant de parler de paix et de réconciliation".

Sur le champ de tir, tout est organisé à l'américaine. Les tirs s'enchaînent sur ordre, chaque stagiaire ayant derrière lui son mentor afghan, français ou américain. Lorsqu'ils arrivent à camp Morehead, après avoir été sélectionnés dans tout le pays par une mission américano-afghane, les stagiaires se voient remettre un équipement complet. Treillis, casque, gilet pare-balles, genouillères, fusil d'assaut américain M4, lunettes de protection, linge, affaires de toilette... Le matériel est neuf, fourni par les Etats-Unis. "Tout est US, jusqu'à la brosse à dents", dit Hondo. La contrepartie, "c'est que les Américains veillent à ce que les Afghans se douchent tous les jours, lavent leur treillis, qu'ils aient une hygiène impeccable..." Une concession à l'"american military way of life".

Source du texte : LE MONDE.FR


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