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Des manières de faire avec la fracture numérique à Yaoundé

Publié le 26 novembre 2008 par Arthurdev

Après de longues hésitations, des soirées bien arrosées, de multiples lectures et un week-end enneigé, voilà que je peux enfin vous soumettre une version un peu plus avancée de mon projet de recherche intitulé Des manières de faire avec la fracture numérique à Yaoundé (Cameroun).

Pays d’Afrique subsaharienne situé au creux du Golfe de Guinée et peuplé de près de 19 millions d’habitants, le Cameroun connaît un taux d’équipement en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC) assez faible au regard de la situation d’un pays dit développé tel que la France : en effet, en 2008, selon les estimations de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), 24,45 % de la population camerounaise dispose d’un abonnement auprès d’un opérateur de téléphonie mobile, 1,23 % dispose d’un ordinateur et 2,23 % seulement des camerounais peuvent être qualifiés d’internautes alors que pour la France, ces chiffres sont respectivement aux alentours de 90 %, 66 % et 51 %.

Nous ne pouvons cependant pas nous en maintenir à cette vision des choses : au-delà de ce constat figé, basé sur des statistiques discutables, insistons plutôt sur les dynamiques à l’oeuvre dans le domaine des TIC au Cameroun :

Premièrement, l’on observe une importante prise en compte par le pouvoir politique camerounais de la question des TIC : le Président de la République Paul Byia a ainsi appelé à plusieurs reprises à l’entrée du Cameroun dans la « société de l’information ». Cette prise en compte politique s’est traduite en 2007 par l’élaboration d’une « Stratégie nationale de développement des TIC » aux objectifs très (trop ?) ambitieux. 

Deuxièmement, et de manière plus concrète, le Cameroun a vu ces dernières années, sur son territoire, se tenir un nombre de plus en plus important d’événements liés aux TIC : nous pouvons citer à titre d’exemple la « Fête de l’Internet », à destination de l’ensemble de la population, ainsi que le salon « Forum.net », à destination quant à lui des entreprises et des collectivités. Par ailleurs, plusieurs initiatives ont vu le jour : nous pouvons mentionner, entre autres, l’initiative « Allô Ingénieur » développée par l’association Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement (SAILD - initiative qui vise à fournir de l’aide par SMS aux agriculteurs camerounais) et la création, par le réseau Appui au Désenclavement Numérique (ADEN), de trois centres publics d’accès à Internet entre juin 2006 et septembre 2007 (dans les villes de Botmakak, Ebolowa et Maroua).

Malgré les dynamiques à l’oeuvre sus-citées, une part toujours importante de la population évolue dans une certaine pénurie en matière de TIC. Cet absence d’accès et d’usage est généralement désignée par l’expression « fracture numérique » (digital divide).

Le projet de notre recherche est de répondre à une question a priori assez simple : comment les individus font, au quotidien, avec cette fracture numérique ? Quelles ruses, quelles manières de faire ces individus mettent-ils en place afin de pallier au « manque » ? Ou, pour reprendre le terme forgé par Michel De Certeau, quelle  est la « poïétique » des individus ? Ces derniers n’étant pas « voués à la passivité et à la discipline » (De Certeau, 1990). Dans une perspective géographique, nous nous intéresserons notamment aux conditions et aux contextes territoriaux qui sous-tendent, qui conditionnent, la mise en place de ces « arts de faire ».

Un des avantages principaux de cette approche est de partir et de s’intéresser aux acteurs élémentaires que sont les usagers et non plus seulement aux institutions (dans le sens le plus large possible : pouvoirs publics, collectivités territoriales, acteurs économiques privés, associations et organisations non gouvernementales etc.) comme cela a toujours été privilégié dans les recherches sur les TIC, et continue à l’être, que ce soit en Afrique ou ailleurs (Dibakana J.-A., 2002). La plupart des travaux de recherche occultent ainsi « le foisonnement inventif des pratiques quotidiennes » (De Certeau, 1990) et alimentent, autant qu’ils sont influencés par eux, des projets de « lutte contre la fracture numérique » à logique descendante.

Notre travail de recherche se fera à Yaoundé, dans trois quartiers que sont la Briqueterie (quartier situé au nord-ouest du centre-ville de Yaoundé), Bastos (situé au nord de la Briqueterie) et Essos (à l’est de la ville). Ces trois quartiers se différencient de par leur composition sociale (la Briqueterie et Essos sont des quartiers plutôt populaires alors que Bastos est un quartier aisé) et leur « coloration ethnique » (la Briqueterie a ainsi une forte image ethnique avec la très forte présence de populations originaires du nord et de l’ouest camerounais : haoussa, bamiléké, yebekolo etc.). Par ailleurs, comme l’a mis en évidence Athanase Bopda, ces trois quartiers occupent chacun une place singulière dans l’imaginaire yaoundéen : la Briqueterie serait le quartier des « recalés » c’est-à-dire des individus « dangereux » et « analphabètes » ; Essos serait le quartier des « aspirants » à savoir les « ouverts », les « actifs », les « sociables », les « gentils » et les « abordables » ; Bastos enfin, serait le quartier des « parvenus » c’est-à-dire des « grands », des « instruits » et des « riches ». Recalés, aspirants et parvenus sont pour l’auteur les trois derniers stades d’une « sorte de trajectoire à la fois idéale et classique que suivraient tant les hommes que les lieux au cours de leur intégration dans l’agglomération [yaoundéenne] » (Bopda A., 2003).

Nous prendrons donc dans chacun de ces quartiers une pratique, une manière de faire particulière avec les TIC. Nous interrogerons les personnes qui en sont à l’origine et ceux qui en bénéficient. Nous étudierons ces pratiques dans leur territoire respectif et nous les comparerons entre elles ; tout cela afin de montrer que si la diffusion des TIC est un phénomène planétaire, leur appropriation n’en est pas moins toujours dépendante des contextes locaux.

Bibliographie :

Bopda A., Yaoundé et le défi camerounais de l’intégration, CNRS Editions, 2003
De Certeau M., L’invention du quotidien, 2 tomes, Folio Essais, 1990 (1ère éd. 1980)
Dibakana J.-A., « Usages sociaux du téléphone portable et nouvelles sociabilités au Congo », Politique Africaine, n°85, mars 2002, pp. 137-150

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