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Pourquoi j'ai cessé de fesser mes enfants

Publié le 01 août 2007 par Cherryplum

Petite (etjusqu'à l'adolescence), j'ai été battue. Je ne parle pas seulement de fessées ou de claques mais je parle d'être frappée avec des objets (cuillère en bois, jeunes branches d'arbustes), d'être traînée par les cheveux dans les escaliers, d'être brulée avec une cigarette, d'être enfermée dans un placard, d'être mise habillée ou nue sous l'eau glacée, d'être frappée au niveau des genoux pour me faire asseoir, d'être placée à genoux sur une règle en bois pendant plusieurs heures... Battue dans la tête aussi à coups d'humiliations récurrentes.

Lorsque j'ai eu ma fille, je me suis jurée qu'elle ne connaitrait aucune forme de sévices, ni moraux, ni physiques. Pas envie de reproduire, pas envie de faire souffrir cet être innocent. Et envie de me réparer à travers elle.

J'oubliais alors quelques choses :

- une histoire comme la mienne ne se guérit pas avec de simples résolutions, ni avec de la volonté. C'est un travail long, fastidieux, éprouvant. C'est un ré-apprentissage, une ré-éducation comme après un accident de voiture qui nous a privé de l'usage de nos jambes. Etre privé de l'usage du coeur, c'est encore plus difficile à identifier et à reconstruire. Il faut du temps, de l'humilité, du courage, de l'indulgence vis à vis de soi, de la compréhension, bref, accepter de se donner du temps et de grandir avec son histoire. Or, je ne pouvais pas attendre d'être complètement guérie avant d'avoir des enfants, sinon, je crois que je n'en aurais pas encore... En donnant naissance à ma fille il y a presque 7 ans, je l'entrainais malgré elle et malgré moi, dans ma reconstruction avec ce que cela supposait de difficultés, d'erreurs et d'embûches, mais ça, forte de mon enthousiasme et de ma volonté de jeune maman, je l'ignorais (et l'aurais sûrement nié à l'époque)

- un enfant va toujours fouiller les failles de ses parents et trouvera toujours un moyen de nous aider à exprimer ce qui n'est pas guéri. Isabelle Filliozat dit que l'enfant va se mettre en situation psychologique et physique pour aider son parent à mettre en mots ce qui représente pour lui une faille. Bref, il est une sorte de miroir de ce que nous voulons surtout refouler bien loin au fond de nous. Ainsi, ma fille, très tôt, s'est mise à me mordre et à me taper, parfois entraînée dans une spirale de violence incroyable. Mon fils, lui, a dès la naissance beaucoup pleuré et faisait des "colères" (j'aime beaucoup ce mot très révélateur) jusqu'à presque perdre connaissance.

- Elever comme ou élever contre la façon dont on n'a été éduqué, c'est de toute façon faire référence à ses parents. Et oublier de construire son propre chemin éducatif.

- un enfant peut pousser un adulte aux bouts de ses limites, à un point difficilement imaginable sauf pour ceux qui l'ont vécu. Les cris d'un bébé sont réputés pour être parmi les plus stridents et les plus puissants, en résumé, parmi les plus insupportables...

Parce que j'ignorais tout cela, j'ai cru qu'avec ma fille, ce serait "différent". Ce ne le fût pas. Un jour, alors qu'elle avait 2 ans et demi, elle m'a mordu jusqu'au sang et je l'ai tapée sur la cuisse pour qu'elle me lâche. La brèche était ouverte.

Sans que la fessée devienne pour moi un mode éducatif, je me suis autorisée à plus de violence dans le quotidien et plus ma fille grandissait et s'affirmait dans son individualité, plus mes limites étaient mises en branle, plus la colère grondait en moi, entraînant malgré moi une montée de violence que je n'arrivais pas à contenir.

Quand je "pétais les plombs" ou que j'étais très en colère, il m'arrivait de secouer, de jeter violemment sur le lit, de fesser... Une fillette de 3,5 ans en pleine opposition et un nourrisson qui pleurait énormément et me "dévorait" par ses demandes, il n'en fallut pas plus pour que toute ma confiance en moi et mes bonnes résolutions éducatives volent en éclat. Comment donner quand on n'a pas reçu? Comment faire face quand on a eu pour tout modèle les brimades et la monstruosité?

Puis vint le temps où mes désirs et mes besoins rentrèrent en compétition avec ceux de mes enfants. Je ne les voyais plus que comme des ennemis qui n'étaient là que pour me posséder et m'écraser avec leurs demandes incessantes. Un bras de fer presque permanent, une période très dure à vivre psychologiquement. Et très dure à vivre pour mon entourage, période pendant laquelle je criais jusqu'à manquer d'air, jusqu'à avoir une extinction de voix, période pendant laquelle les crises d'anorexie s'enchaînaient pour calmer la culpabilité suivies des montées violentes (je cassais beaucoup d'objets, je jetais les choses contre les murs, je saisissais violemment celui qui m'agressait, et à l'époque il en fallait peu pour que je me sente agressée)

Mes enfants subissaient cela? Oui, et alors? J'y avais bien survécu moi! Pourquoi aurait-il droit à une maman douce, gentille et attentionnée quand moi j'avais eu "le monstre à neuf têtes" (cf. Jacques Salomé) pour génitrice?

Jalouse, j'étais jalouse. Je trouvais que la vie avait été injuste avec moi et je détestais que les autres puissent être heureux. J'étais complètement embourbée dans ma souffrance et j'adoptais des comportements et des raisonnements complètement infantiles, oubliant que dans l'histoire, c'était moi l'adulte et que c'était à moi de protéger mes enfants, pas l'inverse.

Un jour, j'ai tiré la sonnette d'alarme. Après une dépression du post-partum, je me suis retrouvée aux urgences psy et j'ai entamé une longue et fructueuse thérapie. J'ai appris à me pardonner, à pardonner à ma mère, à comprendre ce qui déclenchait les crises, à comprendre les enjeux de ma maternité, j'ai compris que ma fille n'était pas une "petite moi" et que je n'étais pas ma mère. J'avais le droit de rompre la longue tradition de matriarcat surpuissant et maltraitant qui régne dans ma famille depuis des générations. J'ai décidé d'écrire ma propre histoire et de laisser une place pour que mes enfants écrivent la leur. J'ai appris à décortiquer les phrases assassines de ma mère et de ma soeur, j'ai appris à m'en protéger. j'ai su rendre à chacun ce qui lui appartenait et ne garder pour moi que ce qui me concernait. Certaines séances difficiles m'ont amené derrière le miroir, dans des souvenirs que j'avais occultés parce qu'ils étaient très douloureux, j'ai revécu certaines scènes de brimades pour que mon "moi adulte" puisse consoler mon "moi enfant". J'ai beaucoup pleuré, j'ai reconnu que ce que j'avais vécu était injuste, qu'à l'époque je n'avais pas d'autres choix que de le subir, mais qu'aujourdh'ui, j'avais le choix et le pouvoir de dire "non".

Et un jour, j'ai pris conscience de la raison pour laquelle je m'autorisais à fesser ou à violenter mes enfants. Lors d'une dispute avec mon mari, j'ai ressenti une très grande envie de lui faire physiquement mal mais je ne l'ai pas fait. Pourquoi? Parce que je savais tout simplement qu'il pouvait lui aussi me rendre un coup s'il en avait envie. Je ne le frappais pas parce que, momentanément, j'avais peur de sa propre colère!

J'ai réalisé alors que si je m'autorisais à fesser mes enfants, c'était aussi parce que j'étais sûre que je ne craignais rien d'eux : ils ne me rendraient pas mes coups, ils avaient peur de moi, je les dominais physiquement et mentalement. Alors que je ne me battais pas avec un adulte parce qu'il avait le pouvoir de se défendre physiquement ou de porter plainte contre moi. Je fessais mes enfants par lâcheté et par faiblesse! J'ai ressenti un grand sentiment de nullité, de petitesse, de médiocrité et j'ai pris l'engagement solennel vis à vis de moi-même que je ne les traiterais plus jamais avec supériorité ou mépris.

Depuis, je n'ai plus levé le petit doigt sur eux d'une quelconque façon. Je ne hurle plus même s'il m'arrive encore de me mettre en colère. j'ai fait la paix avec moi-même et tout le monde ne s'en porte que mieux à la maison. Aujourd'hui je pense pouvoir dire que j'ai des relations saines et enjouées avec mes enfants, et que nous vivons dans un climat détendu et joyeux. Leurs demandes sont toujours aussi importantes mais je ne les envisage plus du tout de la même façon, je ne me sens plus épuisée par ma maternité, je ne me sens plus en compétition avec mes enfants, je ne suis plus jalouse d'eux, on est bien.

Deux longues années de souffrance et de torpeur pour descendre jusqu'au fond de moi-même et vider le superflu, le moche, le cassé... Une thérapie, les livres d'Isabelle Filliozat, la Simplicité Volontaire, mes amis bien sûr ont été mes béquilles. Aujourdh'ui je marche seule, je tombe parfois, mais je sais me relever et panser mes plaies.

Lorsque, il y a quelques semaines, mon fils m'a demandé "Maman, c'est quoi une fessée?", j'étais fière de moi et de mon parcours ...

Si vous avez des commentaires, rappelez vous juste que derrière votre écran, il y a une vraie personne qui va vous lire et qui a pris un peu de son temps pour vous livrer quelque chose de très personnel. Mes cicatrices sont encore sensibles, j'apprécierais que vous ne versiez pas de sel dessus, merci beaucoup.


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