Magazine Journal intime

Véhiculer un massage

Par Pierre-Léon Lalonde
Les bars commencent à se vider et je me dirige rapidement vers la « Main ». J'attends que la lumière change au coin de Saint-Urbain et René-Lévesque quand je vois deux asiatiques venir dans ma direction. L'un d'eux ouvre la portière à mes côtés et me demande si je connais une place où l'on fait des massages thaï. Je lui réponds que je n'en connais aucun et ajoute qu'il y a une place à la prochaine intersection, juste au coin de Saint-Laurent où ils en font peut-être. Je lui pointe l'endroit en me disant que c'est tellement proche qu'ils vont marcher, mais ils grimpent à bord pour que je les conduise jusque-là.
M'approchant du studio en question, je me rends compte que les néons désignant l'endroit sont éteints et tout indique que la place est fermée. J'en informe mes passagers, mais l'homme assis à côté de moi tient absolument à ce que je lui trouve une place. Je lui suggère que dans le coin ici, se trouvent des filles qui sont prêtes à faire n'importe quoi. Mais monsieur tient à son massage.
Immobile dans le bouchon de trois heures, je tente de contacter mon répartiteur espérant qu'il pourra me conseiller un endroit pour se faire masser. Laconiquement, il me dit qu'il n'en connaît pas. Je devine que je le dérange et n'insiste pas. Je me souviens alors d'un autre endroit dans le centre-ville, mais j'ignore si c'est encore ouvert. J'en informe mes passagers et ils sont d'accord pour qu'on aille faire un tour.
L'endroit est également fermé. J'ai l'impression que ces endroits sont ouverts pendant l'été quand il y a plus de touristes. Je dis à mes clients qu'ils auraient probablement plus de chance en cherchant dans les petites annonces, mais le type assis à côté de moi insiste et veut que je lui trouve un endroit. Je tente une autre fois auprès de mon répartiteur qui me dit que c'est une loi du CRTC qui empêche ce genre d'information sur les ondes. L'homme rétorque que ce qu'ils cherchent n'a rien à voir avec le sexe, ils veulent seulement relaxer.
Revenant lentement vers l'endroit où je les ai fait monter, je tente encore une fois de les convaincre que je ne peux rien pour eux. Mais l'homme ne veut toujours rien entendre, je devine qu'il tente d'impressionner celui qui est assis derrière et que je suis l'instrument improbable d'une gâterie de fin de soirée. Je lui propose alors un sauna ouvert 24 heures sur la rue Saint-Alexandre où ils font probablement des massages. Je sais pertinemment que c'est un sauna gai, mais je suis définitivement à court de ressources.
Je me gare devant l'endroit et l'homme sort du taxi pour aller voir si ça convient à son invité qui ne dit toujours rien. Quelques minutes plus tard, l'homme revient et je serre les dents pour ne pas rire en voyant l'expression de dégoût sur son visage. J'ai le sentiment que ce n'est pas tout à fait ce qu'il avait en tête au départ.
Il se retient pour ne pas perdre la face envers l'homme assis derrière, mais masque mal son émoi. Je joue au cave en lui disant que j'ignorais que c'était un « tel » endroit! Je ris un peu dans ma barbe, mais reste que je ne suis pas plus avancé et mes clients non plus.
Avec près de 20 $ au compteur, je reviens exactement sur le même coin en m'excusant auprès de l'homme de ne pas avoir pu l'aider adéquatement. Je lui dis bon prince de me payer que la moitié de la course pour le dérangement. C'est alors qu'il perd son calme et commence à m'insulter. Je rage intérieurement, car dès le départ je lui ai mis cartes sur table et c'est à cause de son entêtement que nous en sommes là. L'homme devient de plus en plus agressif et je sens que tout ça risque de dégénérer. Les rues sont pleines de clients qui se cherchent des taxis et j'ai déjà trop perdu mon temps. Je décide donc de fermer le compteur et lui demande de sortir du taxi. L'homme qui n'a plus l'argument du prix de la course pour faire valoir son point sort de l'auto tout en continuant de m'insulter. Je lui réponds en faisant crier les roues et me console en repensant à sa face quand il est sorti du sauna.
Un coin plus loin, je fais monter une fille qui vient de finir sa soirée de travail dans le vestiaire d'un bar. Elle s'en va dans le fin fond de Longueuil. Ça nous laisse amplement le temps de nous raconter et de rire ensemble de nos petits ennuis. Un genre de massage pour l'esprit.

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