Magazine Culture

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?

Publié le 03 décembre 2008 par Savatier

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?L'émission Paris-Berlin, diffusée le 13 novembre dernier sur ARTE et consacrée au métissage a connu un succès public dépassant de loin son audience habituelle, en raison de la polémique suscitée par les propos qu'y a tenus Eric Zemmour, au sujet de l'existence des races. Une tempête médiatique s'est abattue sur le journaliste connu pour ses opinions à contre-courant de la pensée unique, à grand renfort d'invectives, voire d'insultes et de demandes de sanctions. Les réactions épidermiques (il serait malvenu de voir ici un jeu de mot) se nourrissent rarement de réflexion ; or, le sujet est assez important pour tenter une approche distanciée et sereine.

Il est certain que le mot " race " a disparu du vocabulaire usuel, à l'exception de la zoologie, depuis les années 1960-1970. L'une de ses dernières traces officielles se trouve dans l'article 1er de la Constitution de 1958 qui dispose notamment : " La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. " A l'évidence, l'épisode colonial, ses illustrations et ses préjugés (voir ci-contre une publicité

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?
particulièrement imbécile pour une lessive, datant des années 1920), ainsi que les théories délirantes du Nazisme avaient achevé de porter le discrédit sur un terme dont la science moderne s'est attachée, de son côté, à démontrer l'inexactitude. Les travaux des scientifiques (généticiens, biologistes...) conduisent aujourd'hui à reconnaître, au sein de l'espèce humaine, la présence, non de races, mais de " phénotypes " associés à un certain nombre de " génotypes ". Les dictionnaires, dans leurs plus récentes éditions, ont suivi cette voie. Le Nouveau Littré (édition 2004) indique ainsi à l'entrée " race " : " classification de l'espèce humaine selon des critères physiques ne reposant sur aucun fondement biologique ", tandis que le Larousse des noms communs (2008) précise : " catégorie de classement biologique et de hiérarchisation des divers groupes humains, scientifiquement aberrante, dont l'emploi est au fondement de divers racismes et de leurs pratiques. "

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?
Sur la question raciale, on ne peut que recommander les pages lumineuses écrites par Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme (Quarto, Gallimard, 1615 pages, 33 €). Dans la seconde partie de son essai, consacrée à L'Impérialisme, les chapitres VI (La pensée raciale avant le racisme) et VII (Race et bureaucratie) présentent l'histoire des théories raciales et en expliquent autant les motivations qu'elles en montrent les aberrations. Dès les premières lignes, Arendt cite d'ailleurs Tocqueville commentant très tôt les théories de son contemporain Gobineau : " Je les crois très vraisemblablement fausses et très certainement pernicieuses. "

" Mais le péché originel de l'anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement biologique de race (à supposer, d'ailleurs, que, même sur ce terrain limité, cette notion puisse prétendre à l'objectivité, ce que la génétique moderne conteste) et les productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines. [...] Il y a plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les unes se comptent par milliers et les autres par unité. "

Le problème du racisme n'est pas évacué : " L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. "

Je cite systématiquement ce quatrain lorsque je suis amené à conseiller les entreprises

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?
dans leurs démarches interculturelles, car les principales causes d'échecs qu'elles rencontrent dans leurs activités à l'international y sont résumées. Le " racisme ordinaire " se fonde généralement sur l'ignorance de l'autre, la peur que cette ignorance suscite, et surtout la conviction ancrée dans l'individu, aussi profonde qu'illusoire, de détenir les clefs d'une " norme " supposée universelle, qui lui fait rejeter tout ce qui s'en éloigne. Ce racisme se mesure au travers de préjugés et de stéréotypes infondés autant qu'à l'aune de l'altérité physique et culturelle. Ce que ces deux textes sous-entendent correspond enfin à une réalité : le " racisme ordinaire " est universel, il n'est pas, comme il est de bon ton de le faire croire, un sentiment de l'Occident envers le reste du monde. Il suffit de voyager et d'étudier les populations des cinq continents (ce que j'ai en partie fait pendant vingt ans) pour en réunir les preuves. Il sévit partout, ses victimes peuvent être des groupes ethniques au sein d'un même pays, des voisins régionaux ou des groupes situés à l'autre bout du monde, simplement identifiables à leurs cultures ou leurs morphologies. Occulter ce phénomène reviendrait à présenter l'humanité sous un angle angélique, trompeur et ne serait pas sans danger.

" Mais la simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes et de la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races ou de cultures, a quelque chose de décevant pour l'esprit, parce qu'elle néglige une diversité de fait, qui s'impose à l'observation et dont il ne suffit pas de dire qu'elle n'affecte pas le fond du problème pour que l'on soit théoriquement et pratiquement autorisé à faire comme si elle n'existait pas. [...] ce qui convainc l'homme de la rue que les races existent, c'est l'évidence immédiate de ses sens quand il perçoit un Africain, un Européen, un Asiatique et un Indien américain "

L'homme de la rue, que l'auteur prend en exemple, risque fort de se cabrer si l'on cherche à lui imposer trop longtemps une vision du monde que chaque regard qu'il porte sur ceux qui l'entourent infirme ; sa réaction - son refus d'être éternellement pris pour un nigaud par quelques beaux esprits - peut alors le conduire vers des dérives extrémistes particulièrement préoccupantes. Les partisans des théories les plus nauséabondes attendent cet homme de la rue les bras ouverts en lui tenant un discours, certes fallacieux, mais qui lui semble

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?
plus proche de ce qu'il voit. Il y a donc, dans l'argumentaire de certains mouvements antiracistes, une dimension contreproductive qui semble leur échapper. En outre, ne doit-on pas voir une contradiction évidente dans la négation de l'altérité et la promotion parallèle du métissage exaltées par ces mêmes mouvements ? Par définition, il ne peut y avoir de métissage sans alliance d'individus de phénotypes et de cultures différents. Reconnaître l'existence de groupes humains dans leur diversité ne me paraît aucunement constituer une démarche raciste ; c'est affirmer qu'il existerait une hiérarchie entre ces groupes qui le serait. Les bien-pensants n'y pourront rien, l'humanité se compose de groupes dissemblables ; à l'intérieur de ceux-ci, chacun diffère par son individualité ; c'est ce qui fait toute la richesse de l'espèce humaine.

" L'exclusive fatalité, l'unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature, c'est d'être seul. [...] Tout progrès culturel est fonction d'une coalition entre les cultures. Cette coalition consiste dans la mise en commun (consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire, intentionnelle ou accidentelle, cherchée ou contrainte) des chances que chaque culture rencontre dans son développement historique ; enfin, nous avons admis que cette coalition était d'autant plus féconde qu'elle s'établissait entre des cultures plus diversifiées. "

" Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé [...], elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus, sinon même leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. "

Ce texte lucide et pragmatique ne sera peut-être pas du goût des intégristes du métissage, il n'en constitue pas moins le point de départ d'un débat intéressant. Les propos d'Eric Zemmour, pour provocateurs qu'ait été leur forme, relèvent de la même nature. Ils offrent l'occasion d'un débat, démarche qui se révèle toujours enrichissante pour une société qui ne peut que s'ossifier si elle ne tolère qu'une pensée unique. Comme je l'avais noté dans un article consacré à l'Affaire Siné, lorsque les prétoires se substituent aux forums, ce n'est jamais un signe de bonne santé pour une démocratie.

Illustrations : Eric Zemmour - Gus Bofa, publicité pour une lessive, vers 1920 - Page d'un manuel de géographie, 1937.

Faut-il crier haro sur Eric Zemmour ?

À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Savatier 2446 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine