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« introduction À la stratÉgie » par andrÉ beaufre – 5

Par Francois155

Moyens de la stratégie :

Nous avons vu que la stratégie avait intrinsèquement un but unique : « atteindre la décision », objectif absolu auquel on parvient en jouant prioritairement sur le moral et la psychologie adverse pour les affaiblir au point que nos conditions seront acceptées par l’ennemi. Dans sa marche vers ce but, qui est bien plus vaste que, par exemple, le simple effet d’une victoire militaire, le stratège peut mettre en œuvre une grande variété de moyens et toute son habileté réside dans son choix parmi ceux-ci et leur combinaison efficace :

« La stratégie va disposer pour atteindre la décision d’une gamme de moyens matériels et moraux allant du bombardement nucléaire à la propagande ou au traité de commerce. L’art va consister à choisir parmi les moyens disponibles et à combiner leur action pour les faire concourir à un même résultat psychologique assez efficace pour produire l’effet moral décisif ».

Ainsi, et la formule suivante illustre bien le raisonnement stratégique selon la dialectique qui est la méthode de Beaufre, « le choix des moyens va dépendre d’une confrontation entre les vulnérabilités de l’adversaire et nos possibilités. Pour ce faire, il faut analyser l’effet moral décisif ».

Et répondre en fait à la question : « qui veut-on convaincre ? »

Le développement que donne l’auteur à cette interrogation est intéressant car, si l’on pense immédiatement et naturellement au « gouvernement adverse », Beaufre précise aussi que l’on peut agir de manière directe ou indirecte : « directement sur les dirigeants en choisissant ceux des arguments auxquels ils seront sensibles » et « indirectement sur telle ou telle partie de l’opinion qui a barre sur le gouvernement ».

Sur cette approche « indirecte », que Beaufre (contemporain et admirateur de Liddell Hart) développera plus tard et plus longuement dans son livre, et rapportée aux moyens de la stratégie pour atteindre le but de celle-ci, j’ouvre maintenant une brève parenthèse : on se souvient que, notamment par rapport à l’engagement de la France en Afghanistan, il avait été affirmé haut et fort que le point faible de notre pays était son opinion publique (l’expression puissante de « centre de gravité » avait même été employée à cette occasion). Votre serviteur, sans renier un certain bon sens à cette assertion, avait néanmoins exprimé son scepticisme devant la formule, trop généralisatrice et exempte de nuances. Dans ce contexte, les mots du général Beaufre me semblent à la fois beaucoup plus simples et infiniment plus précis : agir sur « telle ou telle partie de l’opinion qui a barre sur le gouvernement ». En clair, et sur la guerre en Afghanistan, ce n’est pas tant « l’opinion publique » dans son entier que l’ennemi va chercher à convaincre, mais bien la frange influente de celle-ci. Plus concrètement, si une foule d’experts (peu importe, d’ailleurs, qu’ils le soient véritablement ou pas : il suffit qu’ils soient perçus comme tels par les décideurs gouvernementaux) se pressent sur les ondes pour affirmer (et, là encore, peu importe qu’ils aient raison ou tort) que la France doit quitter le pays et/ou que la guerre, là-bas, est ingagnable, message ensuite relayé par d’autres intervenants qui sont opposés par principe à cette intervention, alors ce moyen indirect de la stratégie adverse aura des chances d’atteindre son but. En effet, convaincu non pas par l’opinion publique, mais par une frange active de celle-ci, le gouvernement français (et l’effet sera d’autant plus efficace si l’on a le mauvais esprit de penser que les connaissances dudit gouvernement en matière stratégique sont, disons, limitées) pourra prendre la décision de modérer son engagement voire de l’annuler si les circonstances le permettent. En tout état de cause, et si cela se produisait, en agissant de manière indirecte (moyen favori de tout mouvement insurrectionnel) sur une petite, mais influente fraction de l’opinion publique bien choisie, l’ennemi aurait atteint, et je reprends la formule exacte de Beaufre sur le but de la stratégie, « la décision en créant et en exploitant une situation entraînant une désintégration morale de l’adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu’on veut lui imposer ».

Mais refermons cette parenthèse, qui n’est qu’une simple tentative d’application de quelques principes contenus dans « Introduction à la stratégie » à une situation actuelle, et reprenons notre lecture.

Comme moyen indirect, et en plus de la frange influente de l’opinion publique longuement décrite ci-dessus, l’auteur cite également l’action sur « un gouvernement allié jouissant d’une forte influence, ou sur l’ONU ».

« Si l’enjeu est faible, de telles pressions peuvent suffire. Si l’enjeu est plus important, des actions de force peuvent être nécessaires. Mais là encore, le choix des moyens doit être parfaitement adapté aux possibilités amies et aux vulnérabilités adverses. »

Et Beaufre d’énumérer un certain nombre d’exemples historiques, relevant du mode direct ou indirect, ainsi que les questions que l’on doit se poser pour arriver là où on le désire. La stratégie, en fonction de ce que l’on veut obtenir (à savoir les objectifs fixés par le politique, et non le but en lui-même, dont on a vu qu’il est toujours le même), va ainsi « pousser l’analyse de plus en plus loin jusqu’à ce que l’on ait trouvé ceux des moyens à notre portée capables d’entraîner la décision recherchée ».

La prochaine étape du raisonnement, et le prochain chapitre, c’est « l’élaboration du plan stratégique ».


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