Magazine Beaux Arts

Des photos tactiles

Publié le 08 décembre 2008 par Marc Lenot

Anne-Marie Filaire, après ses photos du Mur (Enfermement, dit-elle; apartheid, annexion ou honte, disent d’autres), est partie à Phnom Penh (à la galerie Eric Dupont jusqu’au 19 décembre), elle est passée d’une plaie ouverte à une cicatrice, d’un conflit colonial récurrent aux séquelles d’une guerre civile, mais surtout elle est passée d’un paysage minéral, sec, lumineux à une ville tropicale, humide, embrumée. Elle qui vient des paysages se retrouve en ville, et pas n’importe quelle ville : une ville meurtrie, détruite, vidée de ses habitants, martyrisée et qui se repeuple, se rebâtit avec l’énergie des survivants.

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C’est le tiers monde ici, tout est bancal, provisoire, pas net. Et cette précarité est rendue visible dans les photos d’Anne-Marie Filaire par la juxtaposition de matières, de surfaces dont l’assemblage va constituer la matérialité même de la photographie. Ici de la boue, là de la terre, plus loin de l’eau; des végétaux, parasites ou domestiques. Et surtout des tissus, des toiles de sac, des tôles ondulées, des grillages, des panneaux de bois, des briques, que sais-je encore, tout ce qu’il faut pour construire un abri, pour faire une maison de fortune. L’étonnant est la force avec laquelle ces matériaux hétéroclites surgissent à la surface même de la photo, composant un patchwork de motifs, de textures, de froissements et de plissements qu’on voudrait toucher.

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Anne-Marie Filaire sait créer ainsi un sens tactile des images, qu’on s’imagine ne pas pouvoir vraiment appréhender seulement par le regard. J’ai rarement eu, devant une photographie, autant envie de la toucher, de la pénétrer, de passer de l’autre côté, de rêver à ce que pourrait être une expérience complète, physique, sensorielle, olfactive, auditive.

Peu d’êtres humains dans ses photos, ils restent à l’arrière-plan, dans l’ombre. On ne voit que leurs traces, pots, bidons, ordures. 

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Ce tas d’ordures est un tableau, une nature morte, où les morceaux de tissus pendouillant sont comme des touches, des empreintes, des marques humaines. Le seul portrait de l’exposition paraît banal malgré son élégance à côté de ces compositions décaties, et pourtant si vivantes. Quelque chose ici dérange plus qu’ailleurs, non point tant le sujet, mais plutôt le rendu, la forme, la photo elle-même. Et cette sensation est bien plus forte, plus essentielle qu’un pathos face aux souffrances.

Michel Poivert s’entretiendra avec Anne-Marie Filaire à la Maison Européenne de la Photographie le 7 janvier à 18h.

Photos courtoisie de la galerie.


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