Magazine Humour

Inerte, avait pensé le père

Par Marsyas De Phrygie

Version plus propre de les caprices d'un père

Depuis la balustrade, on entendit quelques rengaines familiales : "REGARDE LES GENS QUAND ILS TE PARLENT !"

Nous sommes dans un hall de supermarché. Il y a beaucoup gens, j’aime regarder les gens. Ca change de mon taudis. Ici, au moins, il fait bon, l’air y est climatisé. Des gens se promènent dans les couleurs, ces couleurs ne savent que ces gens existent. Rien ne semble anormal. D'où venaient ces éclats de voix ? Parmi la foule, on a beau scruté les environs, tout paraissait bien dans le meilleur des mondes. Des gens avec leur caddie, des gens qui rentrent, des gens qui sortent, des gens avec des sacs, des gens avec leurs amis, des gens avec rien, des gens avec des glaces. Etais-je en train de rêvasser ? Je ne dors pas vraiment ces temps-ci. Possible qu'avec ce manque de sommeil je disjoncte un peu.

"REGARDE- MOI !"

Ce fut comme un tonnerre, il fit sursauter plus d'un passant ; tous, sauf un petit bonhomme. Il se tenait droit comme une règle, les bras le long du corps, pas tout à fait désinvolte. Inerte, aurait-on dit.

"JE T'AI DIT DE ME REGARDER !" Un bambin leva la tête, regarda son père. Silence. "NE ME REGARDE PAS AVEC CE REGARD AGRESSIF !" Le bambin baissa la tête. Il posa délicatement ses yeux sur ses petits pieds, son seul refuge, ne sachant où d'autre regarder. Papa recommençait à parler. "REGARDE LES GENS QUANT ILS TE PARLENT !" Le bambin releva la tête incontinent. Papa recommençait à parler. "JE T'AI DIT DE NE PAS ME REGARDER COMME CA !" Le bambin ailleurs. "REGARDE-MOI ! TU ENTENDS ESPECE DE P'TIT CON ?"

Petit con. Con. Ce mot fait partie des mots interdits aux enfants. Les gros mots rappellent les scènes terribles et invisibles. Une porte bloquée, derrière laquelle on entendait tout mais ne voyait rien. Certains parents s’enferment dans leur chambre et se disputent dans le dos de leurs enfants. Ils n’en sauront rien, pensent-ils peut-être, puisque la porte est fermée. Les enfants font semblant de ne rien savoir parce qu’ils ne sont pas sourds ni aveugles.

Derrière la porte verrouillée des parents, j’ai entendu des cheveux s’arracher, le choc des coups, des glaces se brisées, des chaises se cassées. Il lui criait dans les oreilles, elle criait à son tour, elle pleurait, elle criait encore, il criait plus fort et la claquait, elle griffait, elle mordait, il l’étranglait, il hurlait, elle pleurait, elle pleurait, encore et encore. Quand maman pleure sans rien dire, c’est que c’est  la fin de la dispute. Maman n’a pas toujours été fragile comme une feuille. Maman est un peu folle et beaucoup rêveuse. Elle ne parle pas ; elle ne parle plus. Ni à papa, ni à son garçon. "C’est parce que c’est une femme et que les femmes c’est comme ça."

Voilà comment un petit bout d’homme interprète un gros mot quand celui-ci est prononcé trop fort.

La querelle atteignait son paroxysme. La peur commençait à inonde la gorge de l’enfançon. Son corps miniature trahissait ses émotions. Le petit homme avait les points serrés et quelques papillons dans l'estomac. Sa tête tremblotait, ses jambes d’enfant supportaient le poids de la terreur, mais il ne pleurait pas. Il avait peut-être les yeux mouillés et le coeur peureux, mais ne pleurait pas. Il ne pleurait pas et ne pleurerait pas. Parce qu’on doit garder la tête haute, parce qu’on doit être fort, parce qu’on doit être un homme, même quand on a 9 ans et qu’on préfère colorier de jolis paysages.


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