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Une petite histoire de bénéfices

Publié le 10 décembre 2008 par Renefoulon

D'abord, une petite fable fictive, bien que parfaitement crédible.

Je suis un salarié de l'industrie métallurgique. J'ai une certaine qualification professionnelle et une ancienneté qui font, à elles-deux, que je gagne honorablement ma vie. Mon salaire équivaut à peu de chose près à 2,5 fois le Smic. J'habite à 5 mn à pieds de mon lieu de travail, et je n'ai donc pas besoin de voiture pour m'y rendre.

Mon épouse travaille dans l'automobile, à quelques 40 kilomètres de notre domicile. Elle a un emploi tertiaire qui lui procure un salaire d'environ 1,5 Smic.

A nous deux, nous gagnons donc environ 4 Smics. Nous avons ainsi pu faire construire notre pavillon, évidemment à l'aide d'un emprunt bancaire. Bien que ce pavillon soit situé à proximité de mon lieu de travail, j'ai quand même pris la décision lorsque nous avons déménagé, d'acheter un deuxième véhicule. Cependant, je maintiens qu'il s'est agi d'une décision de bon sens économique.

En effet, nous avons deux enfants et notre véhicule était donc une routière de milieu de gamme capable de nous transporter confortablement tous les quatre, mais qui consomme plus que la moyenne. J'ai donc considéré qu'il était préférable que mon épouse ne l'utilise pas quotidiennement pour se rendre à son travail, et j'ai préféré acheter une petite cylindrée plus économique pour cet usage.

Nous ne roulons pas sur l'or, mais avant la crise nous avions néanmoins un train de vie honorable et assez confortable, ce qui rend jaloux quelques uns de mes amis, et, je le sais, pas mal de mes voisins. Il est cependant à noter que notre niveau de revenus n'est dû ni au hasard ni à des pratiques malhonnêtes : nous avons, mon épouse et moi, poursuivi des études qui nous ont permis d'occuper des emplois qualifiés et assez bien rémunérés, et nous avons su gérer notre budget et limiter nos dépenses. Nous avons donc réussi à constituer un petit patrimoine (notre pavillon), et nous avons en fin d'année, impôts (largement) payés, un revenu résiduel que nous plaçons dans un plan d'investissement (un de mes amis appelle ça du "bénéfice" !..)

Je suis assez heureux, du reste, que cette situation me permette de donner du travail à d'autres personnes : que ce soit un jardinier (à temps partiel évidemment), une femme de ménage (à temps partiel elle aussi), un voisin bricoleur à qui je confie quelques menus travaux d'entretien et que je rémunère en CESU. Tout ce petit monde, sans oublier mon garagiste qui a l'entretien mes deux véhicules, est bien content de profiter indirectement de notre activité, à ma femme et à moi.

Seulement, tout ce que je viens de détailler n'était vrai que jusqu'à maintenant. En effet, la crise est passée par là. Mon épouse a perdu son travail et je fais l'objet, évidemment avec beaucoup d'autres, d'une mesure de chômage partiel qui est prévue pour durer plusieurs mois. Et rien ne dit que je ne perdrai pas moi aussi mon emploi dans une laps de temps plus ou moins long...

Ca n'empêchera pas, bien entendu, les échéances du prêt bancaire, ni tous les autres frais courants, de continuer à courir : nourriture, eau, gaz, électricité, taxe foncière, taxe d'habitation, etc, etc...

Alors, j'ai pris les seules décisions qui s'imposent dans ces conditions dès lors qu'on sait gérer son budget : je vais vendre le deuxième véhicule, ce qui ne plaira pas à mon garagiste, je vais faire mon jardin moi-même, ce qui ne plaira pas à mon jardinier, ma femme fera elle-même l'entretien domestique de la maison, ce qui ne plaira pas à la femme de ménage, et en prime nous restreindrons évidemment nos dépenses d'habillement ainsi que nos sorties, ce qui ne plaira pas aux commerçants concernés.

Et pourtant, pour employer les termes qu'utilise l'ami dont je parlais tout à l'heure, nous avons "fait des bénéfices"...

Je vais maintenant vous raconter une autre histoire, tout aussi crédible mais tout à fait vraie celle-là.

Il était une fois un concessionnaire automobile situé à 40 km de chez moi, très prospère, qui faisait de gros bénéfices, et qui avait un secrétariat important, en rapport avec son volume d'affaires.

Il était une fois également une usine sidérurgique située à 5 mn à pieds de chez moi, qui faisait un énorme chiffre d'affaires notamment avec l'industrie automobile, qui réalisait elle aussi de très gros bénéfices, et dans le bureau d'études de laquelle j'étais employé.

Mais, pour ces deux entreprises aussi, la crise est passée par là... Le concessionnaire automobile a vu ses ventes chuter dramatiquement. L'usine sidérurgique, notamment à cause de la mévente dans l'automobile mais pas seulement, a vu également son chiffre d'affaires s'effondrer. Les deux ont été obligés de réduire leurs dépenses de frais généraux, et bien évidemment leurs effectifs. C'est ainsi que ma femme a perdu son emploi, que mon employeur a licencié également, et que je suis moi-même en chômage partiel.

Et pourtant, tous deux faisaient jusque là de gros bénéfices...

Et voilà enfin où je voulais en venir.

On entend à longueur de temps les hommes politiques (de gauche essentiellement) et les syndicalistes s'indigner du fait que les entreprises qui font des bénéfices licencient quand même en raison de la chute de leur activité. Il en est même qui prêchent l'interdiction des licenciements. Je suis pourtant intimement persuadé que ceux-là mêmes qui hurlent avec ces loups-là, approuvent à 100 % le comportement du couple dont je brossais le tableau dans la première partie de ce billet...

Il n'y a cependant aucune justification logique à une différence de jugement entre l'une et l'autre de ces attitudes. De quel droit peut-on demander à un industriel de continuer à payer du personnel dont il n'a plus l'utilité, même s'il a engrangé des résultats positifs jusque là ? De quel droit peut-on exiger de lui qu'il agisse autrement que le feraient ceux-là mêmes qui lui reprochent ? Quel différence objective y a-t-il entre un salarié qui vit de l'activité de son entreprise et son patron qui vit lui aussi de cette même activité ? Hors le fait, rédhibitoire pour certains, que l'un est patron (ou investisseur, ce qui revient strictement au même) et l'autre salarié. Hors le fait que, dans la tête de certains, les revenus du capital sont honteux et ceux du travail sont vertueux. Hors le fait que pour ceux-là, et par définition, les produits de l'entreprise doivent aller majoritairement et prioritairement aux salariés, et accessoirement seulement aux actionnaires  (et encore...)

Et bien moi, ces raisonnements-là m'indignent. Ils déshonorent tout bonnement ceux qui les tiennent.

Appliquer leur politique, ce serait inéluctablement conduire à une fin certaine les entreprises concernées, et donc à la disparition programmée de la totalité de leurs emplois. Ils auront évidemment le culot ensuite de fustiger les erreurs de gestion qui auront conduit à la catastrophe, erreurs de gestion dont ferait partie le maintien des emplois inutiles... Où peut-on bien trouver après ça le plus petit semblant de crédibilité dans leur discours ?

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