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La symbolique du serpent dans la sculpture des Pahouins du Sud Cameroun

Publié le 18 décembre 2008 par Detoursdesmondes
Aujourd'hui, je laisse place à un ami camerounais, ATOU JOSEPH LANDRY, Doctorant en Histoire de l'Art à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne :
« L'animal est un objet d'étude plus que jamais privilégié depuis que l'évolution des sciences brouille la frontière établie entre humanité et animalité. Cette frontière est abordée ici à travers le symbolisme, dans un jeu de miroir entre monde animal et sociétés humaines.
Quelle place les Pahouins du sud Cameroun accorde-t-il à l'animal dans l’art ?
Quelles espèces se voient investies de valeurs symboliques et quels pouvoirs leur sont attribués?
Ce sont des questions auxquelles nous tenterons de répondre dans cet article.
L’une des singularités marquantes de la sculpture pahouine est la forte présence des représentations animales. Celles-ci sont pour la plupart destinées à des pratiques rituelles se rapportant soit à la projection d’un désir (exemple du chasseur visualisant sa proie), soit à une pratique proche de l’envoûtement consistant à mettre à son service une conscience animale qui agira plus ou moins en secret pour des besoins de protection ou d’attaque.
A côté de ces généralités, un examen plus poussé montre une large représentation du serpent-python dont les cultes mêlent souvent l’homme à des phénomènes liés à l’eau.
Planches1
La croyance en l’implication de cet animal dans la vie des populations anciennes du Sud-Cameroun est connue. Stylisée ou schématisée, l’image du serpent laisse entrevoir les considérations du groupe à son égard.
Pour comprendre cet attachement des Pahouins au serpent, il faut se tourner vers leur religion et plus précisément l’animisme, croyance qui a beaucoup souffert de l’expansion du christianisme. L’importance du serpent ou du moins sa représentation dans la vie de cette communauté est rythmée par la symbolique de ces objets.
L’image du serpent est utilisée par exemple dans le rite d’initiation des jeunes garçons, pour la divination associé à la personne du sorcier qui jouit d’un statut social important dans cette culture, ou encore dans la recherche de la justice, de la paix, de la fécondité, de la protection et est parfois présenté comme libérateur.
Planches2
Cette ambivalence de cet animal est d’ailleurs soulignée par Philippe Laburthe Tolra (1985, Initiations et sociétés secrètes au Cameroun Essai sur la religion Beti, p.263, Karthala, Paris) qui affirme :
« le python avale de tout, et si le candidat meurt, on dira qu’il a été mangé par le python ; réciproquement, le python dévore tout ce qui est contraire aux mvon, en particulier l’evu des sorciers ; on joue sur les mots mvom « python » et mvom « bonheur », « chance ».
Le point de vue que nous présentons ici est celui d’un symbolisme intégral. Un tel symbolisme ne s’explique pas seulement par le jeu des concordances signifiants/signifiés. Il est une réelle identification d’un objet à un autre, d’un être à un autre ou d’une pensée à une chose. L’artiste ici ne se préoccupe pas de savoir à la manière d’un chercheur, qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui ne l’est pas, il s’impatiente plutôt de créer une belle œuvre d’art dans son monde afin de le mettre en accord avec les phantasmes de celui-ci.
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Chez les Pahouins, le python arc-en-ciel ou ngang medzâ est d’abord assimilé à une idée divine. L’identification de l’arc-en-ciel au serpent python remonterait à l’époque de la traversée de la Sanaga. En effet, selon la tradition manguissa, ASO ABANDA l’ancêtre fit sortir un arc-en-ciel de l’eau à l’aide d’un bâton magique. Ce dernier devint un serpent python, mvom, qui leur permit de traverser le fleuve. Cette identité du python et de l’arc-en-ciel est également signalée dans d’autres récits comme celui de l’initiation magique de MIKONDA fils du chef Yezum Angulabiyo (cf. note 1), ou encore dans un mythe Fang rapporté par TESSMAN (1913 II pp.199-200) (cf. LABURTHE TOLRA (Ph.) 1985,Initiations et sociétés secrètes au Cameroun Essai sur la religion Beti, p. 41, Karthala, Paris).
Le python ngang medzâ ou mvom apparaît donc chez les Pahouins comme le libérateur, le protecteur par excellence que tout homme puissant devrait posséder. Le terme mvom trouve ici son plein emploi dans la mesure où il signifie aussi la « chance » en langue locale. De même, il semble avoir été l’ancien nom du rite So car les candidats disaient indifféremment qu’ils allaient manger le python Mvom ou le So pour signifier leur initiation prochaine.
Planche3
C’est sans doute ce qui justifie la présence du python dans plusieurs représentations figurées du rituel du So.
Le Python est généralement représenté dans sa posture d’attaque, c'est-à-dire le corps recroquevillé et la tête suspendue en arrière, comme dans la quête d’un élan précédant une attaque. Cette posture montre un aspect qui ne résume pas l’idée que se font les Pahouins de cet animal.»
Note 1 : D’après ce récit, lors de cette initiation, devant la marmite des remèdes qui se trouve derrière la maison, le père souffle dans la corne magique de toutes ses forces et fait sortir, tour à tour, un arc-en-ciel et un python. Incrédule, le fils refuse ces protections qu’il juge dérisoire et n’accepte qu’un rocher parmi les charmes que son père veut lui transmettre. Malheureusement, ce dernier ne le protège pas suffisamment, puisqu’il meurt peu après.
Planches 1 & 2: Identification: python (serpent boa), Localisation : fang-beti, Collection : Museum für Volkerkunde Berlin, Publication : PERVES (1949, p. 37) ; DELAROZIERE et Luc (1955, p. 36).
Planche 3 : Identification: python (serpent boa), Localisation: ETON, Collection: Field Museum of Natural History, Chicago, Publication: SIROTO (L.) 1977 in Njom: The Magical Bridge of the Beti and Bulu of Southern Cameroon, p.41.
Planche 4: Identification: python (serpent boa), Localisation : Fang-Beti, Longueur : 140 cm, Collection : Museum für Volkerkunde, Munich, Publication : SIROTO in Njom: The Magical Bridge of the Beti and Bulu of Southern Cameroon, p.39.

ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES :
ATOU J, L, 2007, L’art et le pouvoir chez les Beti du Sud Cameroun, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
AZOMBO MENDA (S.) 1971 : Séquence et signification des cérémonies d'initiation So. Thèse pour le doctorat d'Etat, Université de Paris V, ronéotypé.
BELA, C, 2006, Les expressions sculpturales au sud du Cameroun, le cas du pays beti. Thèse de Doctorat, Sorbonne Paris 1.
DELAROZIERE (S.) et LUC (G.) 1955 : « Une forme peu connue de l’expression artistique africaine : l’abbia. Jeu de dés des populations forestières du Sud-Cameroun », in Etudes camerounaises n°49-50, Institut français d’Afrique noire.
LABURTHE TOLRA (Ph.) 1985, Initiations et sociétés secrètes au Cameroun Essai sur la religion Beti. Karthala, Paris.
LEROI-GOURHAN (A.) 1964, Le geste et la parole, Albin Michel Vol. I, Paris. MVENG (E.) 1963: "L'art camerounais", in Abbia, n°3, pp.3-24.
SIROTO (L.) 1977, Postscript on Njom in African Arts, Vol. 11, No. 3, pp. 38-52, UCLA James S. Coleman African Studies Center.

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