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En bourse, il faut savoir nager / par Alain Sueur

Publié le 18 décembre 2008 par Alains

Bernard Madoff avait tout compris de la bourse lorsqu’il a monté son escroquerie de… 50 milliards de $. La technique est classique : rembourser les sortants par les capitaux des entrants. Mais la technique n’est rien sans l’entregent. Or, (presque) tout en bourse est de la poudre aux yeux : des annonces d’entreprises aux chiffres du bilan, des supputations des analystes aux engouements de marché, des déclarations de traders à la presse aux spéculations. Tout (ou presque) ressort du mimétisme, du m’as-tu-vu, du concours de beauté. Ce que Madoff, ex-maître nageur des plages chics, avait acquis à la perfection.

Savoir nager

Pour les (vrais) gérants – qui sont long terme – c’est le « presque » qui importe. Pas l’esbroufe des gourous de la finance, ni les émotions médiatiques soigneusement calculées. Le « presque », c’est ce que considère Warren Buffet de l’entreprise qu’il achète : quoi ? où ? comment ? S’il ne comprend pas le métier c’est que le métier n’est pas indispensable au grand public. Si l’usine de production est située loin des centres nerveux de communication, d’accès à l’énergie, et des consommateurs visés, cela coûtera trop cher de produire. Si les dirigeants ne pensent qu’à leur cours de bourse, à leurs stock-options et à leur voiture de fonction, l’entreprise ira dans le mur. Longtemps nous avons gérés en suiveurs. Il est temps de reprendre de la hauteur. Les gérants valeur (value) ont éclot comme des champignons lors des retombées de l’éclatement technologique, vers 2001. Au tour des gérants suiveurs de passer la main pour rebâtir un processus qui tienne sur le long terme.

Or nous ne sommes pas dans une société qui favorise le long terme. Plutôt que le texte qui induit réflexion, elle favorise l’image qui provoque l’émotion. Plutôt que de laisser mûrir les débats, les technologies, les enfants, elle précipite toute le monde dans le tout, tout de suite. Plutôt que de fixer des règles longuement négociées, contrôlées par des contrepouvoirs, elle s’agite et centralise. Le scandale Madoff devrait faire réfléchir ceux qui croient mordicus que, hors du contrôle d’Etat, point de salut. C’est oublier un peu vite la faillite récurrente des administrations dès qu’il s’agit d’anticiper : le nuage de Tchernobyl qui s’arrête miraculeusement sur la ligne bleue des Vosges, la vache folle qu’une armée de techniciens contrôleurs n’a pas empêcher d’arriver sur les étals, la banque nationalisée du Crédit Lyonnais qui a perdu l’argent des contribuables, sur des années, dans des fantasmes d’Hollywood, les déboires à répétition de Natixis, décidément dans tous les mauvais coups, l’aveuglement de la SEC (l’Autorité des Marchés Financiers américaine) sur le fonds LTCM en 1998, sur la société de gestion Madoff en 2008.

Mais une société qui vieillit a besoin de long terme.
Qui va payer les retraites et comment ? Qui va financer et développer le système de santé indispensable ? Qui va assurer les conditions d’une croissance durable ? Ce n’est ni la démagogie, ni l’émotion médiatique, ni l’enflure de la législation… Ce sont des entrepreneurs motivés, œuvrant sur le long terme, et soutenus par des banques avisées et des règles (notamment fiscales) qui ne changent pas tous les matins. Ce sont des media qui offrent autre chose que la dilution des dépêches d’agence ou le conditionnel des supputations vaines. Ce sont des parlementaires qui arrêtent de jouer leurs petits jeux politiques, refusant le plan de crise pour faire gagner un Républicain, obstruant les débats et ridiculisant la démocratie en ajoutant amendement sur amendement, sans aucun rapport avec le sujet débattu. La crise, c’est grave. La démocratie s’est écroulée presque partout dans les années 30 ; jouer avec, c’est irresponsable.

Et ce n'est pas "le libéralisme" qui est responsable, du moins pas l'espèce de poupée vaudou fabriquée par les impuissants du politique comme bouc émissaire commode de leurs échecs à répétition. L'une des rares banques à avoir échappé à la séduction Madoff est la banque privée Bordier en Suisse. Et comment ? Simplement parce qu'elle a installé des règles, négociées par tous en interne, et des contrepouvoirs pour les faire respecter. Très exactement ce que prônait Montesquieu, l'un des premiers libéraux français. A se réjouir de piquer une poupée imaginaire, on en vient vite à quitter la réalité pour le doudou...

L’indice allemand IFO du climat des affaires est au plus bas depuis 1982, Chrysler ferme l’ensemble de ses usines sur un mois entier (avez-vous remarqué ? Leur réouverture se fera la veille de l’entrée en fonction du Président Obama), le pétrole est au plus bas, malgré l’entente formelle par l’OPEP de réduire la production, les pays qui dépensent la rente plus vite qu’elle ne rentre sont déjà affectés (Venezuela, Iran, Algérie, Nigeria, Angola…), la Russie en est à sa 8ème dévaluation du rouble, la Fed a réduit ses taux jusqu’à l’os, ne gardant plus pour munition que les prises en pension des titres de dette, le dollar s’effondre une fois de plus faute de visibilité économique, la Chine s’inquiète des troubles sociaux, l’Inde du terrorisme pakistanais, les jeunes Grecs du no future. Croyez-vous donc que ce soit le moment de revenir sur les marchés ? Quand personne n’y voit rien, pourquoi vous sentiriez-vous plus avisé ? Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du FMI, lundi 15 décembre à Madrid : « La possibilité d'une récession globale est réellement devant nous ». Les prévisions des instituts n’ont pas fini de se dégrader, alimentant les anticipations pessimistes.

Or la bourse vit d’anticipations. Qui sont réalisées moins par étude ou réflexion personnelle que calquées sur les émotions des autres. Retenez la leçon de Madoff, maître ès nage : ne brassez plus, faites la planche !


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