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Ecole

Publié le 20 décembre 2008 par Hoplite

(...) L'école, dans le meilleur des cas, n'est plus alors que le moyen d'inculquer des recettes - le savoir en étant une parmi d'autres - permettant d'être le plus performant possible. A l'"école du capitalisme total" (Jean-Claude Michéa), on apprend à acquérir des connaissances "utiles", c'est-à-dire les raccourcis et les techniques nécessaires pour naviguer, en pilote automatique, dans "le monde qui fait le malin, le monde de ceux à qui on n'a plus rien à apprendre" (Péguy). On apprend à maximiser son intérêt personnel toute sa vie durant. On apprend à se satisfaire du présent en le considérant comme seul possible, c'est-à-dire à oublier le passé tout en désespérant de l'avenir. Cette façon d'apprendre se nourrit tout naturellement du manque de curiosité, de la démission de l'esprit critique. Elle s'en nourrit et elle les stimule.

Ce n'est en effet pas l'inculture qui surprend le plus chez les jeunes (leurs aînés sont majoritairement tout aussi ignorants), mais l'absence totale de curiosité, l'absence de cet esprit de rébellion, fût-il sommaire, qui fut de tout temps le propre du sortir de l'enfance. "L'acte d'apprendre dans la perspective de (se) comprendre fait de nous des hommes libres et critiques", écrit Charles Coutel (Pourquoi apprendre

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? Pleins Feux, Nantes 2001). De fait, l'école a longtemps été vue comme un moyen d'émancipation privilégié. Mais elle est devenue l'inverse : un lieu de vie à la fois barbare et conforme, un concentré de tout ce qui aliène au sein de la société globale. On n'y apprend plus à être libre, à penser par soi-même, mais à se conformer à la logique du capital. L'école ne remplit plus son rôle ? Du point de vue de l'idéologie dominante, elle le remplit au contraire parfaitement. La réflexion constitue une entrave à la consommation, qui exige des individus sans repères. Il est donc nécessaire que les individus soient dissuadés de réfléchir. L'école s'y emploie à merveille. Elle produit en série des sujets non critiques, des êtres inauthentiques échappant à tout rapport de sens, des individus flottants qui grandissent dans la passion des "marques", déjà ouverts à toutes les pressions et suggestions consommatoires. La télévision, dont la fonction éducative a largement supplanté celle des parents, pousse déjà les jeunes à confondre le réel et l'imaginaire en leur désapprenant la maîtrise des catégories symboliques de personne, d'espace et de temps. L'école fabrique à la chaîne des enfants à la fois informes et prodigieusement conformes.

On voit bien, alors, vers quoi l'on se dirige. La montée du consumérisme scolaire avec la complicité de parents qui sont les premiers à détourner leur progéniture de toute forme d'enrichissement culturel inutile à leurs yeux pour "s'épanouir" et "acquérir un métier" - autrefois inscrit d'abord dans le social, l'enfant ne s'inscrit plus aujourd'hui que dans l'affectif -, conduira à laisser le marché réguler l'offre éducative, ce qui accentuera les inégalités sociales et géographiques. Avec d'un côté un enseignement "unique" produisant une masse informe de consommateurs et d'individus décérébrés, et de l'autre des élites entraînées et dressées au service exclusif du capital, l'école est appelée à reproduire la société à deux vitesses dont elle est déjà l'une des pierres angulaires. Système en forme de miroir aux alouettes, système qui attire et désespère à la fois. Sait-on que, par rapport à celles nées autour de 1945, le taux de suicide des générations nées autour de 1960 a déjà plus que doublé?

La machine à décerveler ? Robert de Herte Eléments n°104, mars 2002


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