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“Miséricorde” en Arabie saoudite

Publié le 21 décembre 2008 par Gonzo

Semaine après semaine, les nouvelles en provenance d’Arabie saoudite montrent que les choses bougent. Après le cinéma, le rap, et l’émancipation des femmes, c’est une campagne de publicité, lancée à la mi-novembre, qui mérite quelques commentaires.

« Rahma » (رحمة ; miséricorde) est le nom de la campagne réalisé par l’agence publicitaire saoudienne Full Stop, dirigée par Qaswara al-Khatib (déjà rencontré ici). Pour 1,5 million de dollars (création et achat d’espaces), offerts par un homme d’affaires local qui a souhaité rester anonyme, l’agence a réalisé trois spots télévisés et trois encarts imprimés pour alerter l’opinion locale contre les mauvais traitements infligés aux travailleurs immigrés.

Même si les mauvais traitements ne sont pas forcément la règle, le problème - qui est loin de concerner ce seul pays (voir cet ancien billet, « Bonnes à tout faire dans le monde arabe ») - n’en est pas moins réel dès lors que les 22,5 millions de Saoudiens « accueillent » 5,6 millions de travailleurs immigrés, dont 1,5 million de travailleuses domestiques principalement originaires d’Indonésie, du Sri-Lanka et des Philippines (chiffres extraits de « Comme si je n’étais pas un être humain », un rapport publié en juin dernier par Human Right Watch).

Relayant l’impact des trois visuels qui illustrent ce billet, les slogans sont particulièrement efficaces : Pas de miséricorde [divine] pour celui qui n’est pas miséricordieux (من لا يَرْحَم لا يُرْحَم) dit le premier en faisant allusion à un hadith (parole du Prophète) célèbre, histoire d’en appeler aux sentiments de la population qui habite sur les Lieux saints de l’islam ; Ne me prive pas de mon humanité (لا تجردني إنسانيتي) dit le second qui a le mérite de dépasser l’appel aux bons sentiments des exploiteurs en donnant, au moins symboliquement, la parole aux victimes.

Les vidéos sont tout aussi mordantes. Le plus long des trois clips (pour les deux autres, voir ci-dessous) met en scène un homme d’affaire qui commence par insulter la domestique qui a mal repassé son linge, qui répond à un autre qui lui réclame trois mois de salaire en retard qu’il n’a pas d’argent, qui insulte l’immigré épuisé qui traverse devant son 4×4 et qui, une fois rendu au bureau, refuse d’autoriser un employé à se rendre à l’hôpital pour prendre des nouvelles de sa fille pendant son temps de travail. La vidéo se termine sur un gros plan de l’homme en prière - cette prière dont la célèbre police des mœurs locales s’assure qu’elle est bien accomplie en pourchassant ceux qui traînent encore dans la rue à l’heure des dévotions. L’homme s’adresse à son Dieu dont il implore, en écho au slogan de la campagne, la miséricorde pour la pauvre créature qu’il est…

Il est vrai que certains journaux locaux, jugeant ces images trop choquantes, ne les ont pas acceptées, et que des voix se sont élevées pour protester contre cette insulte faite à l’honneur du peuple saoudien ! De même, les clips n’ont pas été repris sur les chaînes officielles du Royaume, mais elles ont été diffusées en revanche sur plusieurs télés privées, parmi les plus importantes (MBC, Rotana…) Et Al-Hayat, un des plus grands quotidiens panarabes imprimé à Londres mais à capitaux saoudiens, a relayé la campagne qui a réuni, sur Facebbok, un groupe de 3000 membres affichant leur soutien.

Semaine après semaine, les choses bougent en Arabie saoudite : combien de sociétés acceptent de donner d’elles-mêmes une image aussi cruelle, même dans le cadre d’une campagne de ce type  ? Qaswara Al-Khatib, le PDG de Full Stop, qui ne manque jamais de souligner l’importance de s’appuyer sur des publicitaires locaux en prise avec la sensibilité réelle du pays, a raison de souligner la signification politique, au sens large du terme, de l’évolution que révèle “Miséricorde”, la première opération de ce type dans le pays (article en anglais) : « Notre société devient plus mûre, plus tournée vers elle-même. Je n’aurais pas pu lancer une telle campagne il y a six ans. »

En prime, les deux autres clips :

Dans « Casse-toi pauvre conne ! » - c’est ma traduction ! - la bourgeoise chic hurle à la domestique de poser le riz, lui reproche de ne rien comprendre et finit par la chasser en la traitant, devant les convives, d’anormale.

Une patronne encore dans le second clip (mise en scène habile), qui intime à l’employée de faire tout briller avant d’aller se coucher.


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