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Nous y sommes, par Fred Vargas. Tel Quel

Publié le 23 décembre 2008 par Alxh

fred_vargas.jpgNous y voilà, nous y sommes. Depuis  cinquante ans que cette tourmente menace dans les  hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous  y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme  seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la  réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre  bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je  dis "nous", entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la  vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures,  nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises  du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis  qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous  avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des  clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.


On a réussi des trucs carrément épatants, très  difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des  bestioles génétiquement modifiées sous la  terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des  espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des  déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni  connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a  bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va  de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion  avec des tennis lumineuses que de biner des pommes  de terre.


Certes.
Mais nous y sommes.
A la  Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des  deux premières (la Révolution néolithique et  la
Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a  pas choisie.
"On est obligés de la faire, la Troisième  Révolution ?" demanderont quelques esprits réticents  et chagrins.
Oui.


On n'a pas le choix, elle a déjà  commencé, elle ne nous a pas demandé  notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé,  après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle  depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée,  souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De  pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum  est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec  moi (à l'exception des fourmis et des araignées  qui nous survivront, car très résistantes, et  d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou  crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend  qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même,  si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.
D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir  un délai, de s'amuser encore avec la  croissance.
Peine perdue.


Il y a du boulot, plus que  l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver  l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer  le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en  partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver  des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour  les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la  marine à voile, laisser le charbon là où il est, "attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce  charbon
tranquille" récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on  a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien  marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans  vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être  solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le  monde.
Colossal programme que celui de la Troisième  Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.


Encore  qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux  qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement  satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir  venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la  paix soit là, à condition que nous contenions le retour de  la
barbarie "une autre des grandes spécialités" de  l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous  réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous  danserons, autrement sans doute, mais nous danserons  encore.

Fred  Vargas
Archéologue et  écrivain


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