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Vie et mort d'un écosystème en temps réel

Publié le 24 décembre 2008 par Thedailyplanet
Depuis qu'elle est sortie des eaux, il y a quarante ans, l'île de Surtsey sert de laboratoire grandeur nature aux chercheurs.

Votre ceinture est bien attachée ? Votre gilet de sauvetage en place ? Les bouchons antibruit logés au fond de vos oreilles ? Pas de trace de semences dans vos bagages ? Sûr ? Alors vous êtes prêt à décoller à bord de l'hélicoptère des gardes-côtes islandais pour découvrir un trésor national jalousement gardé : j'ai nommé l'île de Surtsey.

Contrairement aux merveilles de la nature comme la Grande Barrière de corail, les Galápagos ou le parc de Yellowstone – qu'elle a rejoints cet été sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO –, cette île ne deviendra jamais une attraction touristique. Située à une trentaine de kilomètres au sud des côtes islandaises, l'île de Surtsey – baptisée ainsi en l'honneur de Surt, le Vulcain de la mythologie nordique – n'est pas née d'une éruption volcanique datant de plusieurs millions d'années, mais d'un magma sorti de terre le 14 novembre 1963. Spécimen géologique et biologique vierge, l'île fut classée zone protégée par le gouvernement de Reykjavík dès 1965, alors que le volcan n'était même pas encore éteint. Cette langue de terre était destinée à devenir le domaine réservé des scientifiques, un laboratoire où ils auraient tout le loisir d'étudier l'évolution de la vie, roche par roche, lamelle par lamelle, oiseau par oiseau.

Sturla Fridriksson, généticien, est là depuis le début. A peine ai-je posé le pied sur l'île que cet homme à barbe blanche me lance en riant qu'il est “deux fois plus vieux que ces collines. En Islande, on parle toujours de la très grande longévité des trolls. Ici, les trolls sont aussi vieux que les montagnes.” A l'aube de ce matin de novembre 1963, alors que l'éruption vient de commencer, Fridriksson loue un avion pour survoler la zone d'où émerge un morceau de terre au-dessus du niveau de l'océan. Aujourd'hui âgé de 87 ans, le scientifique a pratiquement participé à toutes les missions organisées chaque été sur l'île.

Surnommé le “duc de Surtsey” par ses collègues, il se promène rarement sans une caméra, la meilleure façon pour lui d'enregistrer l'apparition d'un nouveau nid de bruants des neiges ou d'une nouvelle touffe d'herbes. “Quand j'ai vu cette nouvelle île apparaître dans l'Atlantique Nord, j'ai immédiatement compris que c'était un modèle réduit de l'Islande, dit-il. Le printemps suivant, quand je m'y suis rendu pour travailler, j'ai découvert plusieurs graines qui avaient dérivé jusque-là et j'ai attrapé une mouche.” Une poignée de graines et une mouche ? Ce butin prête peut-être à sourire mais, pour les scientifiques qui ont consacré leur vie à l'étude de ­Surtsey, ces données forment un puzzle complexe retraçant l'évolution de l'île. “Perdre la trace d'une espèce sur cette île n'a rien de remarquable, ce n'est pas une grande perte, mais en découvrir de nouvelles, ça, c'est un scoop”, m'explique Fridriksson alors que nous marchons sur une côte sableuse de l'est de l'île. “Pouvoir ainsi étudier la colonisation d'un nouveau territoire, depuis sa formation – quand ce n'était encore qu'un tas de cendres – jusqu'à aujourd'hui, et assister au développement de centaines et de milliers d'espèces végétales et animales, c'est quelque chose de très rare”, explique Borgthór Magnússon, l'un des principaux responsables scientifiques de l'île. Des plantes, des mouches et quelques oiseaux Magnússon a participé à plus de 25 missions, la plupart sous l'égide de, Fridriksson, pour étudier l'apparition et la disparition de la faune et de la flore sur l'île. “Au début, nous connaissions individuellement presque chaque spécimen de plante”, poursuit Magnússon à propos de ses premiers travaux sur Surtsey. “Elles étaient comme des personnes pour nous... Il y en avait tellement peu. Mais, à mesure que le temps a passé, c'est devenu impossible.” Les premières plantes sont apparues sur la côte nord de l'île en 1965. En 1985, on dénombrait plus d'une vingtaine d'espèces et, aujourd'hui, on en dénombre 69, contre 490 en Islande. Cette année 2008, l'événement majeur fut la découverte d'un nid de corbeaux, la quatorzième espèce d'oiseau identifiée depuis la naissance de l'île.

Outre les fondations d'un phare abandonné sur une colline à 150 mètres au-dessus de la mer, la seule construction visible sur l'île consiste en un préfabriqué perpétuellement battu par les vents. A l'intérieur, le mobilier se compose de lits superposés, d'un jeu de fléchettes, d'une radio de secours et d'un panneau solaire pour alimenter le lieu en énergie. Les scientifiques, réunis autour d'une table ovale, discutent des découvertes du jour, notamment de vulpins des prés et de Dryopteris disjuncta [gymnocarpe fougère-du-chêne]. Parmi l'assistance se trouvent un spécialiste du volcan du mont Saint Helens, professeur à l'université de Washington, et un entomologiste, Erling Olafsson, absorbé dans la conservation de ses mouches. Ce dernier ne dit mot et se contente de sourire quand Fridriksson glisse entre deux gorgées de café : "Pendant la journée, [Olafsson] chasse les mouches et, la nuit, il s'en fait des amies.”

Fridriksson a beau avoir passé le relais à ses anciens assistants, il semble demeurer le centre de gravité de cette confrérie scientifique, et ses chaussures de randonnée fatiguées témoignent de sa connaissance des sentiers de l'île. “Un jour, nous avons découvert d'étranges plantes poussant dans le sable autour du refuge. Nous étions très excités, parce qu'il est rare de trouver une espèce aussi abondante, se souvient Magnússon. Nous avons donc commencé à creuser et nous avons très vite compris de quoi il s'agissait : c'étaient des pommes de terre. Il était évident que les semences n'étaient pas arrivées en dérivant sur les courants, elles avaient manifestement été plantées dans le sable.” Les courants marins détruisent l'île petit à petit Il s'avéra qu'une bande de garnements vivant sur les Vestmann, des îles voisines, avaient ramé jusqu'à Surtsey au début du printemps et semé quelques plants de pomme de terre restant de leurs réserves. Et que dire des tomates découvertes auparavant ? Magnússon s'était dit que quelqu'un avait dû faire sa pause-déjeuner au mauvais endroit. “Il a dû y avoir beaucoup d'engrais autour des graines”, dit-il en riant. Cette histoire n'avait toutefois rien de drôle à l'époque, et les pommes de terre et les tomates avaient rapidement été arrachées. Les scientifiques respectent des règles strictes pour ne pas apporter de semences sur Surtsey, l'objectif étant d'étudier les phénomènes de colonisation et de disparition des espèces avec le moins d'interférences possible sur le milieu. Le nombre d'espèces sur l'île devrait encore augmenter pendant les vingt ou trente prochaines années, avant de commencer à diminuer à cause de l'érosion progressive des sols, déclare Magnússon. De puissants courants marins grignotent les côtes de l'île depuis son apparition et les deux petites sœurs de Surtsey, nées de la même éruption, ont déjà disparu. Les scientifiques estiment que l'île perd un peu plus de 1 hectare par an et a déjà vu sa taille réduite de moitié depuis les années 1960.

Si, d'un point de vue géologique, l'événement le plus important dans l'histoire de Surtsey est l'éruption qui lui a donné naissance, pour les scientifiques qui étudient l'endroit, c'est le cycle des saisons et les changements qui en font la valeur. “La première fois que j'ai mis les pieds à Surtsey, c'était il y a plus de trente ans, et en l'espace de toutes ces années j'ai observé des évolutions dont je n'aurais jamais pu imaginer l'ampleur ou la nature. La moitié de l'île a aujourd'hui disparu. Toute cette terre que nous avons arpentée pendant vingt-cinq ans a été engloutie par les flots. C'est incroyable de voir avec quelle facilité la mer parvient à broyer les roches volcaniques, dit Magnússon. C'est dans ces moments-là qu'on prend conscience de la puissance de la nature.”

Sara Blask The Christian Science Monitor

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