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Adam Phillips : “Soyons fous pour rester sains !”

Publié le 28 décembre 2008 par Colbox

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Libé 24 déc
Les vertus du mal-portant
Adam Phillips, biographe de Winnicott, prescrit une dose de folie.

GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL

Adam Phillips, l’un des plus importants psychanalystes britanniques, est bien connu du public français : sur les quinze livres qu’il a écrits pendant la décennie 1995-2005 (il est né en 1954), pas moins de six d’entre eux ont été traduits (le premier, Monogamie, en 1995 chez Bayard). Or, il se trouve que la traduction de Soyons fous pour rester sains ! coïncide avec celle de sa biographie intellectuelle de D.W. Winnicott, son premier ouvrage. Précisons qu’outre son job de psychanalyste d’enfants, puis d’adultes, dans le National Health Service, Phillips est aussi Visiting Professor au département de littérature de l’université d’York ; il dirige chez Penguin la nouvelle traduction des œuvres de Freud ; sans négliger le fait qu’il a été capitaine d’une équipe de tétrathlon (dressage équestre, course équestre d’obstacles, course à pied et marathon). Mens sana in corpore sano, on croit comprendre.

«Mères». Commençons par l’ordre chronologique : son Winnicott est une véritable ode savante et poétique (la chronique littéraire dit de Phillips qu’il est un Voltaire for our times), un hommage à ce pédiatre-psychanalyste hors du commun qui en a fasciné plus d’un. Le pédiatre fut d’abord un jeune chirurgien sur un porte-avions en 1917 - guerre qui tua la plupart de ses amis -, puis, psychiatre en 1940, il était consultant au plan gouvernemental d’évacuation. Il a tiré de ces deux guerres des enseignements précieux sur les bébés et les enfants séparés de leurs familles, sur ces familles elles-mêmes, sur leurs mères avant tout. Phillips écrit : «Dans la psychanalyse britannique après la guerre, il n’y eut pas tant un retour à Freud, comme en France sous l’influence de Lacan, qu’un retour aux Mères.»L’œuvre de Winnicott eut un retentissement immense dans le grand public, et il n’est guère de parent britannique - ou même français - qui ne connaisse l’objet transitionnel (le doudou), l’idée de «mère suffisamment bonne» (même si cette notion a été a mal comprise), le jeu du «squiggle» (l’innovation technique la plus célèbre :Winnicott proposait à l’enfant de compléter un griffonnage rudimentaire qu’il venait de tracer sur une feuille blanche). Phillips commente avec empathie cette œuvre théorique, admiratif de la distance que D.W. a su prendre avec Freud et, plus tard, aussi bien avec Anna Freud qu’avec Melanie Klein : il a fondé le middle group (bien nommé), restant douze ans à la présidence de la Société psychanalytique britannique. Phillips (ainsi que Michel Gribinski dans sa belle préface à la traduction du Winnicott) entrelace discrètement l’œuvre et la vie elle-même, ironiquement paradoxale, de Winnicott (son nom lui-même, «berceau-du-petit-ours», fait signe !) : il n’a jamais eu d’enfants, son premier mariage fut peu heureux, et il a été quelque peu maternant de sa seconde épouse, malade. Quant à sa mère, elle semblait plutôt terne, voire dépressive selon Gribinski, peu douée en tout cas pour le «holding», concept majeur de l’œuvre winnicottienne qu’il faut comprendre tant dans son usage littéral de «porter un bébé», que métaphorique.

Il existe à l’évidence un lien très fort entre Winnicott et Phillips, qu’une demi-génération sépare (ce dernier était adolescent à la mort de Winnicott). Proximité dont témoigne cette citation que Phillips met en exergue de la deuxième édition de son Winnicott : «Il est beaucoup plus difficile de s’arranger avec la santé qu’avec la maladie.» S’il y a des winnicottiens - gageons que Phillips en est un -, ils iront sans doute dans le sens de ce que D.W. écrivait dans la critique d’un livre de Carl Gustav Jung, en référence à lui-même : «J’étais en bonne santé et, grâce l’analyse et à l’autoanalyse, j’ai gagné une dose de folie» (traduction de Gribinski dans le Winnicott). Phrase à nouveau citée dans le livre actuel, Soyons fous pour rester sains !, et dont nous ne résistons pas à donner la version de Jean-Luc Fidel : «J’étais sain et, par l’analyse et l’autoanalyse, je suis parvenu à une certaine démence.» Ce qui montre à quel point la pensée de Winnicott est subtile et parfois difficile à saisir (encore plus à traduire !).

Magique.On lit ce livre avec le même plaisir que les précédents. L’auteur examine de très près toutes les faces de la question de la définition de la santé : «Sommes-nous fous de naissance ?», «Que serait une sexualité saine ?», «Quelle dose de folie pouvons-nous nous permettre ?» (cette préoccupation, récurrente, relie manifestement Winnicott et Phillips). Mais l’époque donne envie d’insister sur un chapitre particulièrement savoureux : «L’argent qui rend fou.» L’auteur part de l’analyse faite en 1932, après la crise de 29, par le grand économiste J.M. Keynes qui écrivait : «Quand l’accumulation de richesses n’aura plus une forte importance sociale, il se produira de grands changements dans le code moral […]. L’amour de l’argent qu’on possède - à la différence de celui de l’argent en tant que moyen pour accéder aux joies et aux réalités de la vie - sera reconnu pour ce qu’il est, à savoir une propension semi-pathologique qu’on livre en frissonnant aux spécialistes de la maladie mentale.» Keynes précise que le goût de l’argent est un acte magique en vertu duquel le mal paraît être le bien, «une forme de folie qui nous a temporairement assaillis». Du pain bénit pour Phillips, qui tire brillamment ce fil, en psychanalyste : «Désirer l’argent plus que tout, ou faire qu’il remplace tout ce que nous désirons, nous en apprend plus sur le fait de désirer que sur l’argent.» Il ajoute, bizarrement entre parenthèses : «Nous devons souvent inventer un objet de désir afin de comprendre quelque chose de nouveau dans notre désir.» Une phrase que n’aurait sans doute pas désavouée Lacan.

De Keynes, Phillips passe à Dickens qui, comme d’autres romanciers du XIXe siècle, ont montré que le passage de l’amour des parents à celui de l’argent est devenu un emblème du fait de grandir qui n’est, dit-il, pas simplement une perte de l’innocence, mais une perte de la santé (on y revient toujours). Regrettons quelques aphorismes parfois redondants mais, somme toute, le dernier Phillips est un bon cru. Quant au Winnicott c’est un must.

GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL

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