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« introduction À la stratÉgie » par andrÉ beaufre – 10

Par Francois155

Le facteur variabilité :

En plus des facteurs définissant une situation instantanée (« le temps, le lieu, la quantité de forces matérielles et morales ») et du facteur complexe (que Beaufre appelle la « manœuvre »), tous deux détaillés dans la partie précédente, l’auteur s’attarde désormais sur un autre facteur essentiel dans l’élaboration du concept stratégique : celui de « la variabilité des moyens et du milieu ».

L’évolution, la transformation rapide du monde, des opinions, des moyens techniques à disposition des forces, font qu’aujourd’hui « le stratège ne peut s’appuyer surement sur aucun précédent et qu’il ne peut disposer d’aucune unité de mesure stable ». Cette « difficulté supplémentaire considérable » lui impose une agilité intellectuelle particulière : « au lieu de déductions fermes et objectives, la stratégie se doit de procéder sur des hypothèses et de créer ses solutions par de véritables inventions ».

Pourquoi des hypothèses ? Car, « si la méthode historique conserve certaines possibilités, elle est loin d’être suffisante » : « contrainte aux hypothèses, la stratégie se doit de manœuvrer dans le temps comme elle avait appris à le faire dans l’espace ». Si Beaufre récuse certaines théories américaines reposant sur « une analyse mathématique des probabilités », il en appelle à fonder la stratégie « sur un faisceau de possibilités et s’organiser de telles sortes que ces possibilités soient surveillées pour déterminer à temps celles qui se vérifient et se développent et celles qui disparaissent ». Dans le cours de cette réflexion, le facteur « manœuvre » déjà évoqué interviendra sous la forme de « prévisions contraléatoires » qui permettront « de coller au plus prés de l’évolution ».

Pourquoi l’invention ? Car elle est « indispensable pour trouver, avec des outils nouveaux ou renouvelés, la solution future correspondant à une situation future ». Beaufre note que cette capacité d’invention, si elle « échappe à toute règle », doit néanmoins respecter quelques impératifs : « elle doit exclure la routine –si fortement ancrée dans les traditions militaires fixées par les « règlements » - et faire appel à l’imagination et à la méditation ».

De cette incertitude nouvelle, fruit des évolutions de plus en plus rapides que connaissent tant les sociétés que leurs outils militaires, l’auteur tire une conclusion qui est aussi un avertissement : « la préparation prend le pas sur l’exécution ». D’où la nécessité impérieuse « d’être renseigné et de prévoir ». Ceci passe bien sûr par la mise ne place « de puissants organes de renseignements et d’études capables de suivre la conjoncture et de mener la manœuvre d’évolution des forces par des décisions calculées prises à temps ».

Pour illustrer son propos sur la difficulté de l’élaboration du plan stratégique en tenant compte de ce facteur si perturbateur de la variabilité, Beaufre tente une comparaison qui vaut d’être citée en entier, aussi pertinente que vertigineuse :

« Le stratège est analogue à un chirurgien qui devrait opérer un malade en état de croissance constante et extrêmement rapide, sans être sur de sa topographie anatomique, sur une table d’opération en perpétuel mouvement et avec des instruments qu’il aurait dû commander au moins cinq ans à l’avance… »

Conclusions :

Au moment de clore ce chapitre sur « Les principes de la stratégie », l’auteur revient sur la complexité de cette « partie d’échecs » : « elle se déroule en même temps avec le même nombre d’alternatives au niveau de chacune des stratégies qui doivent se combiner pour une même décision ».

Au final, et puisque « le stratège a dû apprécier à l’estime les facteurs très nombreux qui seraient essentiels et limiter son raisonnement à ces facteurs », la stratégie est bel et bien un art et non une science : « aucun artiste n’a jamais peint un tableau, en partant d’une liste complète de règles théoriques. Parfois seulement, il s’est référé à certaines règles pour vérifier si son œuvre « tenait debout ».

Cette dimension intrinsèquement artistique de la stratégie explique tout à la fois sa complexité, souligne la responsabilité de celui qui s’y livre et le fait « qu’on ait pu y commettre tant d’erreurs ».


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