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Quand sonne le glas de l'analyse

Publié le 01 janvier 2009 par Anne-Caroline Paucot


Crise des psychanalyses d'hier, émergence de l'aloganalysme, développement des logiciels d'expertise, essor de la roboanalyse... Elodie Boucheau raconte sa rencontre avec Turio Scanner. Elle a été émue par ce pro de l'insconcient qui a connu toutes ces évolutions et impressionnée par son regard critique. L'homme déplore le manque d'intelligence prospective d'une profession et estime que cette défaillance l'a conduit à sa disparition.

Turio Scanner insista pour me rencontrer à son domicile : “ Je suis un peu vieux jeu. Je préfère les contacts directs aux échanges virtuels. Je continue à penser que nos écrans affadissent les échanges en lobotomisant les dimensions sensibles. ”, dit-il en me proposant de m'installer sur un canapé en cuir fin vingtième

L'homme est bavard. Sans que j'ai besoin de lui poser des questions, il raconta les grandes phases de l'évolution de sa profession : “ Quand j'ai commencé mon activité professionnelle. Mes patients s'allongeaient sur ce divan. Je m'installais dans ce fauteuil. L'usure de nos canapés était une marque d'expérience. Plus ils étaient défoncés, plus le patricien semblait avoir suivi de patients. Dans la première décennie du XXIe siècle, les divans défoncés se vendaient même aux enchères sur Internet.

Enfin c'était l'époque où les professionnels des bogues humains se nommaient encore des psychanalystes, des psychiatres, des psychologues et ou être freudien signifiait encore quelque chose ”, ajouta-t-il avec une voix empreinte de regret.

Son principal mentor était un certain Sigmund Freud. À la fin du XIXe siècle, ce théoricien avait mis à jour le rôle de l'inconscient dans le fonctionnement de l'homme. Pour éviter qu'il continue à être un frein, les psychanalystes d'hier le faisaient resurgir en utilisant des méthodes archaïques : libre association d'idées, interprétation des rêves.... Certains s'allongeaient sur le fameux divan, plusieurs fois par semaine, pendant des années !

Freud et ses émules furent rangés au rayon des oubliettes avec l'apparition de l'algoanalysme. : “ Lorsque Miltonec présenta sa théorie au congrès de Vienne de 2016, il reçut une ovation. La profession qui n'avait pas réussi jusqu'alors à s'adapter à la technicisation de la pensée, craignait pour sa survie. Miltonec fut vécu comme un sauveur ”. La séduction s'opéra sur l'approche technicienne du rapport entre le passé et le présent que développa le penseur.

L'inconscient disparut pour faire émerger une théorie calquée sur le fonctionnement des ordinateurs, mettant en scène la notion de compactage du passé et des souvenirs. Selon Miltonec, ces données s'inscrivent dans notre disque dur cérébral par paquets fragmentés, là où il a de la place. Cette fragmentation ralentit la machine humaine et perturbe son bon fonctionnement. Pour qu'elle retrouve sa performance, il faut la défragmenter, en d'autres termes procéder au regroupement des données. L'opération ne peut se faire que si on décompacte ce passé en le faisant ressurgir.

Ce décompactage nécessite de trouver l'algorithme qui a servi à la compression. Chacun crée son algorithme personnel et le sophistique au fil de sa vie. Le praticien intervient pour aider son patient à le trouver : “ Avec le développement du binarisme culturel, des théories comme celles de Freud n'étaient plus acceptables. De plus la psychanalyste a souffert longtemps de ne pas être perçu comme une science. La théorie de Miltonec résolvait enfin ce problème. Il n'en fallut pas plus pour que la communauté, divisée jusqu'alors en chapelles, se rassemble sous cette bannière.”

Ce rassemblement n'exclut pas la présence de septiques, dont faisait partie Turio Scanner : “ Cette vision technicienne et réductionniste m'affolait. La complexité inhérente à l'homme était niée. Mais, notre profession était sinistrée. Les patients se faisaient de plus en plus rares. On a imaginé qu'avec ce renouveau théorique, ils allaient rappliquer en masse. En plus, on pensait que la théorie n'aurait aucune influence sur nos pratiques. Décompacter le passé ou faire surgir l'inconscient faisait appel à la même méthode : la parole. ” , dit-il en avouant que les anti-algoanalystes avaient fait là une grave erreur de prospective. Ils ne se sont, en effet, pas aperçue cette théorie s'appuierait sur les progrès des technologies.

Pourtant certains décisifs eurent lieu avant l'émergence de l'algoanalyste. Quatre ans auparavant, lors du développement des visioportables, les clients ont commencé à rechigner à venir s'allonger sur un divan. Ils préféraient des séances à domicile : “ La relation thérapeutique se virtualisa. Avec le renvoi d'images virtuelles, le jeu de miroir se faussa ”, dit Arturio Scanner qui résista le plus longtemps possible : “ Il a bien fallu que j'y vienne. Plus un patient acceptait de se déplacer. ”. Mais, il eut un mal fou à accepter ce changement : “ Avant l'algoanalysme, le visioportable projetait l'image de l'analyse au début et à la fin de la séance. Pendant la séance, le patient recevait l'image qu'il aurait découverte s'il avait été allongé sur le divan. C'était d'une pauvreté désolante ”.

Avec l'émergence de l'algonalysme, les changements furent rapides. Les algoanlystes ne chômèrent pas et mirent au point des logiciels qui décryptaient le contenu de ces séances et renvoyaient sur les autres. Rapidement, ils furent assez performants pour mettre en évidence les traumatismes initiaux. “ Mon travail a été facilité. ” convient Turio Scanner même si son ego a été bien souvent malmené : “ Ces systèmes experts indiquaient clairement nos erreurs d'interprétation ou sonnaient l'alarme quand le contre-transfert jouait un rôle néfaste dans l'évolution du patient. Nos superviseurs d'antan avaient plus de retenu. Sans doute parce qu'eux aussi, en tant qu'êtres humains, étaient sujets à l'erreur.

Enfin, la difficulté fut lorsque les patients purent disposer de ces analyseurs : “ Fort de ces éléments, ils se mirent à analyser l'analyste. Les donnes étaient brouillées. Le travail devint impossible. ” La suite ne se fit pas attendre. Les patients cherchèrent des analystes qui avaient des réactions similaires à ceux des robots. De là, il n'y eut qu'un pas pour que les robots remplacent les analystes.

Mais le succès de l'algoanalysme robotisé désole Arturio Scanner : “ Les robots n'ont pas d'émotion et sont logiques. Ils fonctionnent avec ce qu'ils savent et non ce qu'ils sont. Le travail s'effectue de manière aussi rectiligne que rapide. Le patient n'a pas le temps de prendre son temps. Il est polarisé sur les événements traumatiques de son passé. Il ne se réinvente pas dans l'échange, il se normalise. Il s'ampute de ses excès de folie qui lui permet de prendre des virages dangereux et de se laisser griser par des effluves de bonheur. Avec démocratisation de la roboanalyse, nous allons vers une société aussi normalisée qu'ennuyeuse.”

En revisitant l'histoire, la disparition de la profession n'étonne pas Turio Scanner : “ Nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous mêmes. Nous n'avons pas fait preuve d'assez d'intelligence prospective et de perspicacité pour prévenir ces évolutions fatales. ” , conclut-il non sans une pointe d'amertume.

Anne-Caroline Paucot


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