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Gaza : l'analyse de Pierre Razoux, historien de l'armée israélienne

Publié le 09 janvier 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Pierre Razoux, historien français est l'auteur de "Tsahal, nouvelle histoire de l'armée israélienne", le livre qui fait référence sur la question. Il est responsable de recherches, chargé du Proche-Orient, au Collège de Défense de l'Otan, à Rome.

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Quel premier bilan peut-on tirer des opérations militaires à Gaza ?

Avant de pouvoir tirer un bilan, il faut d'abord s'interroger sur les objectifs des deux acteurs en présence. Car c'est un conflit voulu à la fois par le Hamas et une partie de la classe politique israélienne. Pour le Hamas, il s'agit de légitimer son pouvoir à Gaza et, à terme, dans l'ensemble des territoires palestiniens. Comme le Hezbollah au Sud-Liban, il veut apparaître comme le meilleur défenseur des Palestiniens, meilleur que le Fatah, l'Autorité Palestinienne et Mahmoud Abbas. La logique du Hamas est la suivante : tôt ou tard, il y aura des élections libres chez les Palestiniens – le mandat d'Abbas arrive légalement à son terme ce vendredi 9 janvier - et nous les gagnerons. C'est une stratégie de conquête du pouvoir et le sort de la population civile n'entre pas en ligne de comptes.

Côté israélien, c'est la logique des élections générales prévues pour le 10 février, mais qui pourraient être reportées de quelques semaines. Tous les sondages indiquent que Benyamin Nethanyahou (Likoud, droite) devrait les emporter et qu'il ne pourra gouverner qu'avec une coalition, sans doute avec le centre. Toute la question est de savoir qui sera son meilleur allié : Ehud Barack, ministre de la Défense, à la tête du parti travailliste ou Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères, à la tête de Kadima ? Chacun joue sa carte. Et pour la première fois, il y a deux manœuvres : l'une diplomatique (Livni) qui a précédé et qui accompagne les opérations militaires (Barack).


Cette guerre serait donc une sorte de campagne électorale aussi bien chez les Palestiniens que chez les Israéliens ?

Il y a de cela... Parlons plutôt de stratégies de pouvoir.

Quels sont les buts de guerre, de part et d'autre ?

Pour le Hamas, il s'agit de maintenir la pression sur Israël en tirant des roquettes et des missiles sur les villes voisines. Mais ce que ses hommes cherchent surtout sur le terrain, c'est à kidnapper des soldats, ou des civils, israéliens. Le Hamas sait qu'Israël peut supporter la mort de 500 hommes, mais pas le spectacle de 10 soldats pris en otage. L'armée israélienne fait donc tout ce qu'elle peut pour éviter ces kidnappings. D'où l'emploi d'un feu redoutable qui lui permet d'éviter d'exposer ses hommes aux enlèvements. Le Hamas pourrait également vouloir infliger des pertes sévères à Tsahal si celle-ci pénètre dans les zones urbaines. Pour l'instant, la guerre en ville n'a pas véritablement commencé. Le Hamas dispose sans doute d'armes antichars, mais il ne s'en est pas encore servi.

Et les buts de guerre d'Israël ?

Il s'agit d'empêcher le Hamas de reconstituer ses stocks de roquettes. Si l'approvisionnement est arrêté, chaque fois que le Hamas tire un missile, il affaiblit son potentiel militaire. Le pouvoir israélien le sait parfaitement : les 30 ou 40 roquettes qui tombent chaque jour sur Israël sont autant de moins dans l'arsenal du Hamas. Un arsenal dont on ignore le niveau réel. Même si l'on parle plutôt de ce qu'il se passe dans le nord de la bande de Gaza, l'axe majeur de l'effort israélien est au sud, vers Rafah, c'est-à-dire la frontière avec l'Egypte, ce que l'on appelle l'axe "Philadelphie". C'est par là, et par la mer, que peuvent arriver les armes. Israël a donc entrepris de casser les tunnels – qui permettent la contrebande – en labourant littéralement le sol avec des bombes très pénétrantes, achetées récemment aux Etats-Unis. On pensait qu'il s'agissait d'un armement destinés à cibler le Hezbollah au Sud-Liban ou les programmes nucléaires iraniens. En fait, l'armée de l'air les utilisent pour casser les réseaux souterrains du Hamas.

Sur le terrain, l'armée israélienne – qui a déployé cinq brigades, trois d'infanterie (Paras, Golani, Givati) et deux de blindés – n'a pas pénétré dans les villes. Elle occupe des axes perpendiculaires à la mer qui lui permettent de compartimenter, de saucissonner littéralement, la bande de Gaza. A partir de ses axes, l'armée israélienne coupe les réseaux d'approvisionnement du Hamas qui traversent le territoire. Le Hamas a transformé Gaza en une termitière avec de nombreux tunnels. Voilà ce que détruit aujourd'hui Tsahal. Si une force internationale crédible accepte de contrôler la frontière avec l'Egypte, empêchant le Hamas de se réarmer, Israël acceptera aussitôt de négocier.

Négocier avec le Hamas ?

Les dirigeants israéliens sont partagés. Beaucoup d'observateurs savent qu'à terme, il faudra négocier avec le Hamas – qui sera sans doute maître de l'ensemble des territoires palestiniens. C'est ce que pensent les réalistes et les pragmatiques. Il y a donc un autre but de guerre : montrer aux responsables du Hamas que l'armée israélienne est redevenue une force redoutable. L'intensité des combats actuels n'a comme équivalent que la campagne de 1967, lors de la conquête de la bande par Israël. Autant dire que les jeunes générations de Gaza n'ont jamais vu l'armée israélienne agir de cette manière. Cela n'a rien à voir avec l'Intifada.

L'armée israélienne d'aujourd'hui n'est plus la même que celle d'hier, de la guerre du Liban de 2006, par exemple ?

Elle a beaucoup changé, mais elle n'a sans doute fait que la moitié du chemin. L'homme qui incarne ce changement est son chef d'état-major, le général Gaby Ashkenazi, nommé il y a deux ans. Tsahal revient aux fondamentaux de la guerre aéroterrestre, telle qu'elle les pratiquait jusqu'en 1982, lors de la première guerre du Liban. C'est la coordination traditionnelle du choc, du feu et de la manœuvre. Elle a réappris le combat d'infanterie, elle a dû remotiver ses cadres, qui ne restent plus à l'arrière pour commander derrière leurs ordinateurs. Les leçons de la guerre du Liban (2006) sont en train d'être tirées.

L'une des leçons ne concerne-t-elle pas la communication ?

Le contrôle de l'information est très strict. Rien ne filtre, même auprès des journalistes spécialisés en Israël. En 2006, il y a avait de nombreuses fuites de la part des officiers. Cette année, rien. Les ordres sont stricts et l'état-major a interdit l'usage du téléphone portables aux militaires. Même chose avec l'emploi des réserves : auparavant, on rappelait des milliers d'hommes et on se demandait ce qu'on allait en faire. Là, l'armée ne rappelle que les spécialistes dont elle a besoin.

Autre armée, mais également autre ennemi : le Hamas n'est pas le Hezbollah...

En effet, les combattants du Hamas n'ont ni le même entraînement, ni la même discipline que ceux du Hezbollah. Ils sont motivés, mais cela ne suffit pas, d'autant qu'ils sont moins bien équipés. Si le Hezbollah est devenu ce qu'il est, c'est parce qu'il a combattu l'armée israélienne au Sud-Liban de 1982 à 2000. Le Hamas n'a pas du tout cette expérience. Ajoutons que le terrain n'est pas le même. Israël dispose d'un renseignement remarquable à Gaza, un territoire qu'il a occupé pendant 35 ans. Il bénéficie de sources humaines palestiniennes, notamment de la part du Fatah – qui est en guerre contre le Hamas. C'est par ailleurs un terrain plat – le Sud-Liban est montagneux, facile à segmenter et qui peut être verrouillé.

Quels sont les objectifs stratégiques fondamentaux d'Israël ?

J'en vois trois à moyen terme : éviter à tout prix que l'Iran ne deviennent une puissance nucléaire. Eviter, en cas de conflit avec l'Iran, d'avoir une menace dans son dos, sous la forme du Hamas et du Hezbollah. Et maintenir l'unité de la coalition occidentale dans la lutte contre le terrorisme islamique. J'ajouterai qu'Israël veut rétablir le gap technologique entre son armée et celles des pays arabo-musulmans. Il existe toujours mais il s'est réduit ces dernières années.

A court terme, l'objectif d'Israël est d'éviter l'ouverture de deux autres fronts : au sud-Liban avec le Hezbollah et en Cisjordanie avec une troisième Intifada. C'est pourquoi Jérusalem relâche aujourd'hui la pression sur les Palestiniens de Cisjordanie. Quoi qu'il en soit, Israël sait qu'il lui reste peu de temps pour agir et va donc continuer à frapper fort à Gaza. L'entrée d'Obama à la Maison Blanche, dans deux semaines, devrait modifier la donne.

Propos recueillis par Jean-Dominique MERCHET du blog SECRET DÉFENSE


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