Magazine Humeur

Clic clac

Publié le 14 janvier 2009 par Jlhuss

soulages.1231787274.jpg- J’aurais jamais dû t’écouter. J’étais pénard dans mon deux pièces. Des fins de mois limite, mais je vivais. Pas de bagnole. Je me sapais sans drame chez Tati. A midi le plat du jour à 9,50 à la brasserie du coin. Le soir dînette at home, des pâtes, du chinois décongelé. Pour le sexe je me débrouillais comme un autre, un coup de main par ci, une petite pute par là. Je vais pas dire que c’était l’éden, mais maintenant, hein ? comment ça s’appelle ?
- Ecoute, Adam, c’est quand même pas moi qui t’ai dit d’installer ce mec dans tes meubles. D’accord, je te l’ai présenté, un vieux pote de lycée. Bon… Tu dis pénard, enfin tu déprimais pas mal, je te rappelle, Julie t’avait largué. Lui venait de perdre son job et plus d’appart’. Paumés tous les deux. Tu l’as trouvé sympa, tu étais content d’avoir quelqu’un pour parler foot et boire une bière le soir en jouant au backgammon.
- Pas pour bouffer les conserves pendant mes heures de bureau, empiler son linge pourri dans la salle de bains, et maintenant tirer des meufs dans le clic clac tout propre où dormait maman quand elle descendait encore me voir à Paris. On peut rester correct, même dans la dèche ! Ça m’apprendra à être brave type.

- Reconnais que ça t’arrangeait aussi, tu comptais un peu sur son RMI pour les charges, ou dans le genre colocation, tu disais, non ?
- Il a payé une fois, la première, il y a un an. Quand je lui rappelle l’accord, il ricane que ça va venir, et même avec les arriérés, les intérêts de retard, juré craché, dès le premier petit boulot. Et si j’insiste, il me plante un regard d’acier, sans un mot, jusqu’à ce que je tourne les talons pour aller faire chauffer l’eau des spaghetti. En fait maintenant je paie tout pour deux, l’appart’, la bouffe, l’autre soir même le cinéma. Il sort jamais une thune. Hier, il m’a fait remarquer que ses pompes prenaient l’eau. J’ai dit : « Tu as quand même ton alloc ! dans quoi elle passe ? » Il a répondu avec son petit rire : « Je thésaurise pour mes vieux jours. »… J’en peux plus, Dan. Ca va plus loin que tu crois. Ce type me saigne, je sens que c’est son plaisir, ou même sa mission, oui, un peu comme si son devoir était de me vider, de me pomper le souffle et de rejeter la carcasse sur le trottoir, avec un carton l’hiver, mûr pour finir de crever au premier gel.
- Fous-le dehors, t’es pas marié avec. On lui doit rien, à ce type, après tout. C’est pas si difficile. Tu lui dis « Bon je t’ai pas mal dépanné, mais maintenant basta, mon pote, tu dégages, j’ai besoin du clic-clac. » T’inventes un truc imparable, genre petite soeur qui rapplique de province pour ses études… Ma parole, Adam, ne me dis pas t’as les foies ?
- Oui, j’ai peur, oui. Ce type-là, c’est devenu un peu comme mon ombre, mon négatif, un double. On se colle, on s’enchaîne. Je vais pas dire qu’on s’aime, non, ou alors c’est comme chien et maître, un de ses chiens couchés qui déglutissent toutes les vingt secondes en te regardant par en dessous, il te lèche la main devant, mais dans la glace tu le vois qui guette ton faux pas pour te sauter à la gorge.
- Mais quoi ? qu’est-ce tu dis ? C’est qui le maître ? le chien ?
- Je sais pas. Les deux. C’est compliqué… Je veux pas qu’il parte, pas qu’il reste. En fait, je veux pas qu’il existe… Dan, il ne faut plus que ce mec existe, faut qu’il s’efface, qu’il soit comme le souvenir d’un mauvais rêve… On va le tuer, Dan, tu vas m’aider.
- Mais t’es malade ! Depuis que Julie est partie, ma parole, tu deviens dingue à faire peur. Ou alors c’est parce que tu devenais dingue qu’elle est partie… Allez, lâche ça, arrête tes conneries, Adam !
- Faut faire vite. Il va rentrer d’une minute à l’autre. Il rate jamais l’heure du dîner. Je vais m’asseoir là, sur le clic-clac. Toi tu te planques dans la cuisine, porte entrebâillée. Il entre, se plante devant moi, demande ce qu’il y a à bouffer, je le fixe sans baisser les yeux ce coup-ci. Toi tu arrives doucement par derrière, tu lui mets ce cutter sous la gorge histoire de lui passer l’envie de bouger ou de gueuler, alors moi je me dresse et je le crève, d’un coup de ce couteau, regarde, au coeur, un seul coup en plein coeur surtout, sinon ça compte pas… Tu vois, Dan, je te demande pas grand chose. C’est quand même un service qu’un ami peut rendre… Range ton portable, Dan, c’est pas le moment de téléphoner… C’est pas gentil, Dan… Je t’ai pas demandé de téléphoner… T’aurais pas dû… T’aurais pas dû, Dan… Qu’est-ce que je vais faire, maintenant, moi ?… Qu’est-ce que je vais faire ? Hein ?

Arion

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