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Dans la campagne pakistanaise

Publié le 14 janvier 2009 par Argoul

A Peschawar, nous sortons de l’hôtel dans le marché qui s’installe déjà. Les gamins encore ensommeillés ont enfilé au réveil leur kamiz sans attacher aucun bouton, c’est cocasse. Les petits vendeurs de tissus, au bas de l’hôtel, nous saluent d’une voix claire. Une fois dans le bus, Karim notre guide d’Islamabad recommence aussitôt son discours fleuri (en anglais) qui débute toujours par « ladies and gentlemen, salam aleikum ! ». Il poursuit : « We are in Pakistan, now », comme si nous ne le savions pas. Cela meuble le discours. Et il poursuit ainsi durant de longues minutes. pakistan-camion-afghan.1231924227.jpg

Défilent les kilomètres, lentement. Les chiffons de couleur qui pendent des véhicules (ils ne sont jamais blancs) sont destinés à protéger du mauvais œil. Les camions ont les pare-chocs ornés de chaînes d’où pendent de petits cœurs ; le mouvement et les cahots les font s’entrechoquer et cela sonne à basse vitesse en carillon ferraillant. Les chauffeurs disent alors – faute de femme à bord - qu’ils valsent avec leur dancing queen. Chaque propriétaire décore son camion comme il l’entend, et ce ne sont que plaques de métal martelé, brillantes, vernis rutilant, ampoules multicolores… La conduite est toute en débrouille. Il n’existe aucune règle sauf d’éviter ceux qui viennent en face. Le permis de conduire existe, mais il n’est qu’une taxe, on apprend sur le tas. C’est pourquoi chaque chauffeur adulte est accompagné d’un adolescent, souvent très jeune, qu’il éduque à la conduite – surtout par l’exemple.

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Le gamin lui sert d’esclave à tout faire - et de giton dans les moments de solitude. Quant aux Afghans, soumis à privilèges particuliers, ils ne sont pas obligés de l’avoir, ce permis. Nombre de voitures sans plaques d’immatriculation viennent d’Afghanistan, nous apprend Karim. La frontière est une véritable passoire, l’ethnie pachtoune (pathan) étant la même de part et d’autre de la frontière, nombre de Pakistanais ont des cousins afghans et réciproquement. S’ils se font arrêter par la police, ils payent un bakchich et c’est bon.

Les Afghans ont la mainmise quasi totale sur le transport routier pakistanais, favorisé par leur appartenance à la même ethnie pachtoune. L’Afghan Transit Trade, signé en 1950 stipule que tout ce qui transite par le Pakistan pour aller en Afghanistan ne paie aucune taxe. La contrebande est donc massive et la fraude sans précédent. D’ailleurs l’économie parallèle est la plaie du Pakistan. On l’estime à l’équivalent du PIB officiel. La crise politique a engendré la crise économique, qui produit la crise sociale, et le tout sombre dans la violence : coup d’Etat et régime militaire, travail au noir et corruption, violence et évasion fiscale… La seule culture du pays n’est pas celle des lettrés ou des penseurs, mais celle de l’héroïne et de la kalachnikov, sur fond de conflits ethniques et sectaires. L’islam s’y pétrifie dans le pur légalisme et les fantasmes communautaires. Dieu est isolé comme une idole séparée qu’on adore en grandes démonstrations unitaires. La créature humaine n’a-t-elle pas, pourtant, une dignité propre qui lui vient de Dieu lui-même ? N’était-ce pas justement le message révolutionnaire du Prophète Mahomet, contre l’idolâtrie régnant à son époque ?

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Nombre de jeunes garçons se baignent dès qu’un canal offre son eau terreuse. C’est un plaisir campagnard évident par cette chaleur. Ils paraissent plus vigoureux que les gamins des villes, le torse mince et gracieux comme les Indiens sculptés sur les murs des temples. Le réseau d’irrigation du Pakistan a été créé par les Britanniques avant l’indépendance. Il est depuis très mal entretenu, ce qui engendre une faible productivité de l’agriculture. On estime que seuls 35% de l’eau qui entre dans les canaux arrivent à la plante. Un homme muni d’un drapeau arrête les voitures ; c’est un quêteur d’offrandes « pour une mosquée en construction » nous dit Karim – ou pour quelque « guerre sainte » peut-être, mais il ne tient pas à le dire. D’immenses cimetières s’étendent parfois le long de la route. Les tombes sont empierrées, la plus grande pierre indique l’âme à la tête, l’opposée sur les pieds le corps, qui n’est rien.

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Nous visitons les restes du monastère de Takht i Bahi, qui signifie « source sur le plateau ». Il date du 1er siècle avant et a duré jusqu’au 7ème siècle après. Ses sculptures Gandhara les plus remarquables sont au musée de Peshawar, nous ne voyons que les murs construits en schiste, sans mortier. Le monastère a été bâti sur un lieu élevé – 150 mètres - « pour être plus près du ciel » (Karim) et entouré d’une rivière « pour avoir de l’eau pour la cuisine et les cérémonies » (plus terre à terre). Il était sur l’itinéraire de passage des caravanes et le moine chinois Hun Tsen, au 5ème siècle, l’a décrit. Un escalier monte au grand stupa, placé au centre, puis vers les constructions du sommet. Les trois niches d’un bâtiment semblent indiquer qu’il s’agit au moins d’un temple. Un stupa à base octogonale a une forme unique. La salle cadenassée appelée pompeusement « museum » rassemble derrière un grillage les restes en vrac de tout ce qui semble taillé de main d’homme. Les seuls Bouddhas visibles sont sans tête, obsession islamique de détruire les représentations humaines dans l’histoire. Les rares qui soient préservées sont au musée de Peshawar. Le site est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO , ce qui lui permet de bénéficier de subventions pour son entretien. D’en haut, la vue est étendue sur la campagne et sur les cours d’eau de la vallée où l’on imagine sans peine les très jeunes tremper leur peau brune dans l’eau brune, puis sécher, tout luisants, sur les rives. Nous en croiserons ainsi plusieurs.

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Le chauffeur coupe la climatisation pour passer le col Lowari, le bus perdant de la puissance quand le compresseur fonctionne. Le fort de Malakand, situé au sommet, a résisté au « mollah fou » lors du soulèvement tribal de 1897. Ses mille Sikhs commandés par des officiers britanniques ne se sont pas laissé faire. Winston Churchill jeune y a participé, sous les ordres du général Jeffery, commandant de la deuxième brigade opérant au Malakand. Il le raconte dans ‘Mes jeunes années’ (chronique sur fugues).

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Nous traversons la ville de Chakdarra où Churchill fut en garnison. Les écoliers ont des kamiz de toutes couleurs : blanc, brun, bleu marine, bleu ciel, safran, vert pastel, ocre, parme… Ceux qui se baignent sont tout nus (les plus jeunes et les plus pauvres), certains en pagne restreint passé entre les fesses comme on en voit sur les stèles de l’Egypte antique. La plupart gardent leur pantalon pour se tremper, à l’islamique. J’aperçois fugitivement – fait très rare, donc digne d’être noté – le visage pur d’une très jeune fille, au teint pâle et délicat, aux yeux noircis de khôl. Nous abordons la vallée de la Swat où les populations ne sont pas toutes musulmanes, telle est peut-être la meilleure explication.


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