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Genèse et contours d'un coup d'état 3 : Le vent des Peulhs et la saison des hyènes (Par Abdoulaye Ciré Ba)

Publié le 16 janvier 2009 par Bababe

Les communautés maures du sud du Trarza donnent aux premiers vents frais venus du sud, annonciateurs de pluies et d’hivernage, le beau nom* de "VENTS DES PEULS" (Rih’ el Voullani).

Après les initiatives présidentielles sur le retour des déportés et sur l’esclavage, l’entente cordiale entre Sidi o. C. Abdallahi et ses généraux se fissure. Le point de rupture sera atteint lorsque le président décide, dans un premier temps, le remaniement du gouvernement, puis dans un second mouvement, le limogeage de Zeine O. Zeidane et de son équipe. En devenant Premier Ministre, en avril 2007, Zeine O. Zeidane, a reçu la contrepartie de son ralliement au candidat des militaires.

Le nouveau président lui a remis une lettre de mission qui lui confère des prérogatives assimilables à celles d’un chef de gouvernement. Installé au centre du dispositif institutionnel issu de la transition et de l’élection présidentielle, il est bien placé pour déceler les premières lézardes dans ce qui apparaît encore comme une solide union. Son oreille est attentive aux noms d’oiseaux ("le vieillard", "le vieux connard") par lesquels ses interlocuteurs galonnés désignent le chef de l’Etat, et il sait donner à ces appellations méprisantes leur juste signification politique.

La détérioration des relations entre les faiseurs de roi et celui qui ne semblait être jusqu’alors que leur marionnette ouvre à ses pieds un riche champ de possibilités, et il est bien décidé à exploiter la situation à son profit. Il s’installe en rival plutôt qu’en collaborateur du chef de l’Etat.

Le peu d’intérêt qu’il montre pour la création d’ADIL (le parti présidentiel en construction), les initiatives spectaculaires et les nominations en faveurs de protégés des généraux, les postures "présidentielles" qu’il adopte sont comme les éléments d’une stratégie double, de démarcation par rapport au président et de séduction des généraux. Le conseil des ministres (février 2008) délocalisé à Nouadhibou illustre avec éclat le nouveau comportement du Premier Ministre.L’accueil qu’il se fait réserver dans la capitale économique est digne d’un monarque, et il y reçoit Sidi O. C. Abdallahi comme un chef d’Etat accueillant un pair.

Le message est destiné autant à l’opinion qu’à ceux qu’il sait être les véritables maîtres du pays, et auxquels il entend se présenter comme le premier recours.Trois mois avant le Conseil de Nouadhibou, des émeutes populaires avaient soulevé plusieurs localités de l’est (Néma, Timbédra, Djiguéni, Kankossa), et menacé de s’étendre à tout le pays. La gravité de la situation et les résistances à la mise en œuvre de son programme amènent le président de la République à réfléchir à un réaménagement du gouvernement.

Le feed back aux sondes qu’il a lancées confirme, à ses yeux, les connivences qu’il soupçonnait déjà, entre Zeine et les généraux. Le Premier Ministre est une cinquième colonne des militaires dressée dans son jardin. Exit Zeine O. Zeidane.

Manœuvres de déstabilisation

Pressé par ses multiples soutiens, Sidi O. C. Abdallahi avait raté, au lendemain de son élection, l’opportunité d’un gouvernement d’union nationale que les partis d’opposition appelaient de leurs vœux.

La réalisation de son programme exige pourtant une autre configuration politique que celle avec laquelle les circonstances l’ont obligé à composer jusqu’ici. La nouvelle alliance que concrétise le premier gouvernement Yahya O. Waghef n’est pas à proprement parler un gouvernement d’union nationale, mais une équipe d’ouverture restreinte dans laquelle le RFD de Ahmed O. Daddah et l’AJD/MR de Ibrahima Sarr refusent d’entrer. Les généraux disent sans ambages leur opposition à toute participation des anciens caciques du régime O. Taya au gouvernement.

En fait, c’est moins la présence des "roumouz el vessad" (nombreux parmi leurs propres affidés) qui révulse les généraux que l’entrée au gouvernement de l’UFP et des islamistes modérés de Tawassoul. Depuis plusieurs semaines, les conseillers politiques des militaires leur expliquent que non seulement Sidi a un projet politique qui constitue une menace pour l’équilibre du pays, mais qu’il entend, avec ses nouveaux alliés, bâtir une majorité susceptible de lui assurer une élection à un second mandat.

Les conseillers des généraux prêchent des convaincus ; il y a déjà quelque temps que le siège de ceux-ci est fait. Selon diverses sources, les fréquents séjours du général O. Abdel Aziz en France et au Maroc (où il a été reçu par le roi Mohamed VI en personne) lui ont permis de persuader ses interlocuteurs que Sidi n’était pas l’homme de la situation. Faible et incapable de maintenir la stabilité du pays, c’est aussi un chef d’Etat laxiste, qui a franchi les lignes rouges tracées par le CMJD durant la "transition" (légalisation du parti islamiste, complicité avec les terroristes alliés au Polisario).

L’idée d’une action de déstabilisation de Sidi semble avoir été mûrie au cours de cette période. Il ne restait plus qu’à attendre la meilleure opportunité, et à créer les conditions de sa mise en œuvre. Le premier gouvernement Yahya O. Waghef, alliance improbable d’anciens barons du PRDS, d’islamistes et d’ex-communistes allait fournir aux généraux l’occasion de régler les comptes.

L’organisation par les généraux de la fronde des députés d’Adil est la première phase de leur plan de déstabilisation de Sidi O. C. Abdallahi. Le noyau dur de la conjuration parlementaire est constitué de ce que certains appellent "le cercle d’Aoujeft" (les députés de l’Adrar O. Maham, O. Zamel, El Arbi O. J’dein, Yahya O. Abdel Kahar, auxquels le colonel O. Hadi, directeur général de la Sûreté nationale, prête, de temps à autre, main forte). L’objectif de l’opération est la destitution du président de la République par des voies légales ou, tout au moins, par des moyens juridiquement acceptables.

C’est à ces conditions que certains des partenaires extérieurs à l’opération ont donné leur aval. Au dépôt d’une motion de censure et à la demande d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale, le président de la République réplique par une menace de dissolution du parlement.

Coup de force

Le premier gouvernement O. Waghef aura vécu moins de deux mois.

Le Premier Ministre, qui ne fait pas partie des cibles des militaires et des frondeurs, est reconduit dans ses fonctions, et compose une nouvelle équipe gouvernementale. L’UFP et Tawassoul n’en font pas partie. On est pourtant encore loin de la fin de la crise. Les frondeurs reprennent leur agitation de plus belle. Selon des informations non confirmées, un accord de non-agression est conclu entre les deux parties, à l’initiative d’une ou deux ambassades européennes : Le président de la République renonce à dissoudre l’Assemblée, et les militaires s’interdisent toute initiative politique, en particulier auprès des parlementaires.

Puis, en quelques jours, le rapport de forces qui semblait favorable aux frondeurs s’inverse. Sidi O. C. Abdallahi réussit à débaucher plus d’une vingtaine de députés signataires de la motion de censure. C’est à cet épisode que fait allusion le général O. Abdel Aziz lorsque dans ses meetings il accuse Sidi O. C. Abdallahi d’avoir acheté des parlementaires, sans jamais donner de détails sur cette action corruptrice.

Le retournement des députés frondeurs signifie la perte de la majorité parlementaire qui, seule, donnait à l’action des parlementaires insurgés une apparence de légitimité. Un vent de panique souffle sur le camp des frondeurs. Dans l’après midi du 5 août, une réunion de crise du "cercle d’Aoujeft" , élargi à certains de ses commanditaires, décide une " rectification " de la stratégie de déstabilisation.

La destitution du chef de l’Etat par la voie parlementaire étant devenue impossible du fait de la défection d’une partie des députés frondeurs, un plan B est élaboré à la hâte. Il comprend deux phases. La première est à la charge des civils. Elle consiste à organiser des manifestations populaires, à partir du samedi 9 août, qui culmineront, le lendemain, par une insurrection conduisant les manifestants jusque dans les jardins de la présidence dont les portes leur seraient complaisamment ouvertes.

La seconde phase (le 10 août) est placée sous la responsabilité de l’armée qui, à l’appel du peuple, et face à l’exigence de maintenir la paix civile, se verrait contrainte d’intervenir et d’assurer, provisoirement, le fonctionnement de l’Etat. Sidi O. C. Abdallahi est informé du complot quelques heures après sa mise au point. Encore une fois, sa réaction –naïveté maladive ou pusillanimité – se traduit par une demi-mesure : le limogeage " radiophonique ", à l’aube du 6 août, des trois généraux de l’armée, sans aucune disposition sécuritaire susceptible de la traduire en acte effectif.

Moins de deux heures plus tard, les généraux passent à l’acte, et renversent le président de la République.

Rectification conservatrice

Paradoxalement la réussite du putsch signe l’échec de la stratégie de destitution " légale " du président de la République dans laquelle le camp anti-Sidi a investi, au cours des derniers mois, des efforts et des moyens considérables. En parant au plus pressé, les généraux sont tombés dans le scénario catastrophe qu’eux-mêmes, leurs troupes parlementaires et quelques uns de leurs appuis extérieurs redoutaient le plus : le coup d’état militaire qui leur mettrait à dos une opinion africaine et internationale hostile à toute forme de conquête du pouvoir par des voies illégales.

Quelles qu’aient été ses faiblesses et ses hésitations, Sidi O. C. Abdallahi a opéré, en des domaines sensibles, une véritable rupture par rapport aux orientations et aux pratiques dominantes depuis plus de deux décennies. Il le fit peut-être trop tôt et dans un style inapproprié, et son malheur fut probablement d’avoir été trop sincère au point d’en paraître naïf.

Les quinze mois de la présidence de Sidi O. C. Abdallahi, en dépit de leur ambigüité, auront été plus qu’une césure. Ils ont creusé une profonde faille aux bords de laquelle, dès le début de la crise, deux camps férocement antagonistes se regardent en chiens de faïence. Entre les deux, et au dessus du vide, une (ex-) "opposition démocratique" en rupture avec son passé esquisse des déhanchements lascifs d’une danse du ventre comique et vaine, sous le regard amusé d’un général assuré de son sacre futur.

L’existence des deux camps est confirmée par Moustapha O. Abeïdarahmane, un des principaux conseillers des généraux putschistes. Dans une interview au quotidien Biladi (31 juillet 2008), il répartit les protagonistes de la crise en deux camps : "le camp du statu quo" (Sidi et ses alliés) et celui du "redressement" (généraux et frondeurs).

Que O. Abeïdarahmane se trompe délibérément sur la caractérisation des deux camps est tout à fait normal, comme c’est évidemment un détail si les généraux préfèreront par la suite parler de " rectification ". Les deux mots disent la même chose ; l’effacement des changements d’orientation et de pratiques introduites par Sidi O. C. Abdallahi. Trois semaines après le coup d’Etat, un autre stratège politique proche des putschistes, Ahmed Baba Miské, confirme cette analyse, avant d’ajouter, sur un ton hautain aux accents d’hystérie conservatrice, que la " rectification " était irréversible, quoi que cela puisse coûter (débat télévisé, 24 août 2008).

Les courants profonds

Ce n’est donc pas le coup d’Etat qui divise la classe politique. Tout au plus, consacre –t-il une fracture dont les premiers signes apparaissent dès l’intervention du président de la République à la télévision, le 27 juin 2007. Les initiatives du chef de l’Etat suscitent des réactions hostiles qui prennent, au fil des semaines et des mois, les allures d’une contre-révolution qui se développe en plusieurs niveaux et phases. La culture de la sujétion au pouvoir ou l’opportunisme massif ne peuvent, à eux seuls, expliquer les manifestations de soutien au putsch, les propos haineux à l’endroit de Sidi, la large mobilisation de la "Mauritanie des profondeurs" .

C’est plus probablement une conjonction de courants profonds et de puissants intérêts qui constitue le moteur véritable du mouvement de retour vers le passé dont le putsch du 6 août est la consécration et le symbole. Sans qu’on puisse l’affirmer avec certitude, les émeutes qui ont éclaté dans plusieurs villes de l’est du pays (novembre 2007) ont peut-être des causes autres que socio-économiques. Selon l’enquête conjointe PAM-CSA sur la situation alimentaire des ménages (2006-2007), les moughataa qui furent le théâtre de ces émeutes figurent parmi celles qui produisent au moins 60% de leurs besoins en alimentation. Elles auraient dû, objectivement, être les moins sujettes à des émeutes de la faim.

Et étrange coïncidence, au moment des faits, ces moughataa étaient administrées, dans leur majorité, par des préfets négro-africains, à l’exception de celui de Kankossa, un haratine au nom trompeur de Moussa Samba NDiaye. Les journées de concertation (novembre 2007) autour des questions du retour des déportés et du passif humanitaire sont le prétexte à une intense campagne de désinformation animée par des courants nationalistes arabes sur le thème du retour des Sénégalais, et dont la principale cible est le ministre de l’Intérieur, Yall Zakaria.

Ce dernier dont le contrôle sur les services de renseignement (profondément infiltrés par les groupes chauvins et marqués par l’héritage du régime O. Taya) n’a qu’une vision partielle et anecdotique des événements, ce qui contribue à biaiser l’analyse que le président de la République fait de la situation.

La vieille alliance

Le front idéologique de l’offensive conservatrice s’inscrit dans le registre de l’incantation nationaliste chauvine. Elle est animée, comme il se doit, par Mohamed Yehdih O. Breidleïl, vieux chantre de l’arabité exclusive de la Mauritanie. Dans une série d’articles publiés au mois de mars 2008 dans Nouakchott Info, O. Breidleïl, bat le tambour de guerre. Il dénonce le déferlement des hordes noires venues de l’autre rive du fleuve, et met en garde contre toute tentative de porter atteinte à l’identité profonde de la Nation arabe mauritanienne. Les nationalistes arabes et leurs congénères négro-africains ont en commun une conception de la nation parfaitement conforme à la définition acide qu’en donne Karl W. Deutsch : "une nation est un groupe de personnes unies par une erreur commune sur leurs ancêtres et une aversion commune envers leurs voisins".

Les négationnistes de toutes sortes comptent parmi les auditeurs les plus attentifs des théoriciens et des agitateurs de l’exclusion nationale : les sincères qui, vingt ans après, ne sont toujours pas convaincus de la réalité des massacres et des exactions des années 89-91 ; les idéologues qui à défaut d’oser revendiquer la paternité des faits les nient systématiquement ; les exécutants, enfin : ceux qui, même à un degré infime, ont été impliqués, et que les intentions prêtées à Sidi emplissent de crainte.

Les courants chauvins sont loin d’être la composante principale du mouvement suscité par la politique de Sidi, mais leur idéologie a l’avantage d’être simple et mobilisatrice, et elle a la capacité de fédérer les différents segments de la nébuleuse conservatrice. Mais si O. Breidleïl et ses comparses apportent à ces segments le carburant idéologique nécessaire à leur action, tous ne se reconnaissent pas dans le discours nationaliste, même s’ils y voient un raccourci commode susceptible de précipiter la réalisation de leurs desseins.

Vers un Etat maffieux

Ceux qui mènent la danse sont les membres de la vieille alliance entre l’aristocratie militaire et quelques hommes d’affaires richissimes et influents, installés au sommet d’un système prédateur pyramidal qui depuis trois décennies a mis le pays en coupe réglée. Autour et en dessous d’eux gravitent la nuée des privilégiés et des profiteurs de tout acabit, prompts à servir tout pouvoir leur assurant des profits substantiels.

Ainsi que l’écrivait Le Calame, il y a cinq ans (n°419, du 19 novembre 2003), c’est le monde de ceux qui veulent "que rien ne change. Surtout pas l’injustice tant qu’elle les avantage. Surtout pas la soumission tant qu’ils demeurent les maîtres. Surtout pas la pauvreté tant qu’elle reste celle des autres. Surtout pas la démocratie tant qu’ils tirent les ficelles" . Les plus actifs et les plus dangereux de ces segments sont les milieux affairistes et les réseaux maffieux (la frontière entre les deux est des plus poreuses). Il y a longtemps que les premiers font partie du paysage local. Ils ont toujours constitué le gros des troupes prédatrices.

Les seconds ont connu une forte progression ces dernières années, et ont fait de la Mauritanie une des plates formes les plus sûres et les plus actives du narcotrafic transatlantique. Les réseaux de trafic de la drogue et des cigarettes ont étendu leurs ramifications jusqu’au cœur de l’Etat, et sont devenus une menace mortelle pour l’économie et pour la société.

De nombreux indices donnent à penser que la Mauritanie est entrée dans une phase avancée de mutation en Etat maffieux absolu, une république de narcotrafiquants et de contrebandiers. Nous n’assistons pas seulement à un dramatique retour vers le passé, nous sommes déjà engagés dans un sombre avenir programmé, aux forts relents de tabac et de cocaïne. Les communautés maures du sud du Trarza donnent aux premiers vents frais venus du sud, annonciateurs de pluies et d’hivernage, le beau nom* de "Vent des Peulhs" (Rih’ el Voullani).

La transition démocratique et une année d’une présidence nouvelle donnaient à espérer qu’un "vent des Peulhs" se levait sur tout le pays. Le coup d’Etat du 6 août 2008, et les pitoyables "états de la démocratie des généraux" nous replongent, sans aucun doute possible, dans le "ventre encore fécond d’où a surgi la bête immonde" , au plein cœur de la saison des hyènes.

Abdoulaye Ciré BA

*A propos du Vents des Peulhs,  Beau nom, parce qu’à elle seule, l’expression est une réfutation de tous les discours particularistes ; parce qu’elle flatte mon ego de Peulh ; parce que je l’ai apprise de l’homme admirable qu’était Habib Ould Mahfoud.

Biladi (Mauritanie)


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