Magazine Humeur

Mécompte d’auteur

Publié le 21 janvier 2009 par Jlhuss

sans-titre-1.1232313090.jpg- « Le soleil me coulait son miel par la fissure lambdoïde
Sa blondeur infiltrait tout le crâne
Passait des gencives au sourire
Les gens me trouvaient soudain fréquentable
L’odeur de mort autour de moi se dissipait
Les veuves m’invitaient à danser …»
- Et tu t’étonnes qu’on te réponde invariablement : Votre texte n’entre pas dans le cadre de nos collections ?
- J’envoie quand même, juste pour vérifier à quel degré de bassesse est tombée l’édition française.
- Les oeuvres ambitieuses sont toujours nées au forceps. Accouche à compte d’auteur.
- Oh là ! Je peine déjà à persuader Sandrine que j’emploie mieux mon temps à chercher le mot juste que le petit chez la nourrice. Si elle apprend que je débourse pour imprimer de l’in petto, alors qu’elle hésite à changer le lave-linge… Et voilà comment stagnent au port, dans l’indifférence des populations, toute une flottille qui pouvait porter loin la pensée.
- Vincent, pourquoi t’es-tu marié ?
- Tu touches le point vif de mon paradoxe. Récent ami, te plaît-il d’en savoir le dédale ?
- Rien de ce qui est humain ne m’est indifférent.

- Sache donc qu’avant de rencontrer Sandrine je dédaignais viscéralement la littérature. Je lisais un livre par an pour ne pas désespérer ma mère. La lecture, ne parlons même pas de l’écriture, me semblait être l’indice de la féminisation du monde, si ce n’est de sa décadence. Les poètes surtout méritaient le ridicule des délicats. Je me prenais à rêver d’un Mao français qui enverrait tout ce beau monde aux champs. Et puis j’ai rencontré Sandrine. Elle apportait des caisses de livres chez Emmaüs, où je chinais une combinaison de ski.
- Tous les livres qu’elles avaient lus dans le mois ?
- Pas un. Le débarras d’une tante. Elle n’en avait que faire, ne lisant jamais, me dit-elle tandis que je ramassais à ses genoux une pile de Balzac qu’elle avait échappée en me
heurtant. Et nous devisâmes sur le néant de l’activité littéraire, pâle reflet du monde, quand il y a tant à y faire de concret. Cette conformité de vue générale, jointe à l’aiguillon particulier du désir, nous fit publier les bans dans les six mois.
- Tout semblait donc te mettre à couvert du virus poétique.
- C’est dès le voyage de noces que sont apparus les premiers symptômes. Au petit matin de la seconde nuit, m’étant levé pour boire dans la salle de bain après les chauds exercices que l’on sait, au retour je vois ma femme assoupie dans une posture ambiguë, sensuelle par l’écartement des cuisses, spirituelle par la pose d’un doigt sur la bouche et l’ombre du sourcil froncé, comme d’une penseuse qui ferait réflexion sur la course effrénée d’Eros et Thanatos. Je n’avais pas mon numérique, je sentais d’ailleurs qu’une photo serait le degré zéro du mémorial. Et c’est alors que brusquement m’aveugla l’évidence que les mots seuls pourraient rendre compte de mon émotion en cet instant de notre vie commune, comme en tous ceux qui suivraient. Ce fut mon chemin de Damas. Tout est parti de là.
- Et tu as rédigé ton premier texte, assis d’une fesse sur le lit de bataille, un poème d’amour torride, hélas perdu…
- Que non ! Le texte me sidéra pas son manque d’à propos : une sorte de pochade rustique, que j’ai bien sûr gardée, griffonnée d’un seul jet sur la fiche d’hôtel, et dont voici le dernier vers : « Les troupeaux alanguis cheminaient dans l’herbage ». Tu mesures la distance séparant le vécu de l’écriture, par des cheminements qu’il serait vain de cartographier… Et ainsi de la troisième nuit, des suivantes, de tous les jours de mon couple depuis trois ans. Il suffit que je regarde Sandrine cuisinant, passant l’aspirateur, repassant, douchant Théo, pour que je compose une nature morte, une bataille épique, une plainte élégiaque. Le moindre de ses gestes m’inspire. J’écume les chefs-d’oeuvre de la littérature mondiale pour déchiffrer cette alchimie. Et quand je cesse de lire (en moyenne trois livres par semaine), j’écris, au rythme de deux poèmes par jour, un versifié et un en prose. Très accaparant. Sandrine s’agace, elle dit que c’est en violation du contrat et que mon chômage a bon dos. Ah ! Fred, Fred, misère du verbe au pays des actes.
- Bref, l’épouse est ta muse et ça ne l’amuse pas ?
- Ca n’amuse pas non plus mes potes, qui désespèrent de me revoir la balle au pied ou la selle aux fesses. Ils ne me croisent plus qu’au sortir de la bibliothèque, s’étonnent de mon vocabulaire, de mon discours rythmé. Ils pensent que j’ai viré pédé après le mariage. Ils regardent Sandrine de travers, la soupçonnent de mal baiser.
- Ah ça, non, je veux bien témoigner… Ecoute, Vincent, je ne vois qu’une solution pour que tu guérisses : divorce. J’accepte le bébé. Ta santé nous importe avant tout. Sandrine sera forte, parole d’ami, je me dépenserai pour la consoler.

Arion

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