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L’inhumanité de la détention d’un mineur dans une prison pour adultes (CEDH, 20 janv. 2009 Güveç c. Turquie) par N. HERVIEU

Publié le 22 janvier 2009 par Combatsdh

Un adolescent a été arrêté à l’âge de quinze ans au titre de sa participation présumée à des actes liés au PKK (Parti des Travailleurs Kurdes - interdit en Turquie). Il fut interrogé par la police puis, en compagnie d’autres personnes, placé en détention provisoire dans la perspective de poursuites pénales pour « activités sécessionnistes », infraction punie à l’époque par la peine de mort. Il fut finalement condamné à huit ans et quatre mois de prison pour appartenance à une organisation illégale.

Entretemps, de graves problèmes psychiatriques l’ont affecté et il tenta à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours. Ses demandes de libération lui furent pourtant refusées et il ne fit qu’un bref séjour dans un hôpital pour soigner les blessures consécutives à ses tentatives de suicide. Il est aujourd’hui sorti de prison et a obtenu le statut de réfugié en Belgique.

La réponse de la Cour aux multiples allégations de violation de la Convention se présente sous la forme d’une véritable cascade de condamnations, au surplus sévèrement justifiées.

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Güveç c. Turquie (Cour EDH, 2e sect. 20 janvier 2009, requête n° 70337/01 ) - En anglais [le lien définitif sera ajouté dès que possible]

Lettre Droits-libertés par Nicolas Hervieu

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Conditions de détention d’un mineur et problèmes psychiatriques liés à cette détention (art. 3)

La Cour a constaté en l’espèce l’existence de traitements inhumains et dégradants (Art. 3 CEDH) au titre de deux éléments différents mais néanmoins liés :

Le principe même de la détention d’un mineur dans une prison en compagnie d’adultes

Sur ce principe et sur ses conséquences, la juridiction strasbourgeoise affirme que cette situation viole les engagements internationaux de la Turquie (« the applicant’s detention in an adult prison was in contravention of the applicable Regulations which were in force at the time […] and which reflected Turkey’s obligations under International Treaties » - § 88 ; voir aussi les références faîtes à divers instruments internationaux et rapports d’organisations européenne ainsi que non-gouvernementales - § 58 à 64).

Dès lors, la Cour estime que cette détention, au regard de l’âge du requérant, de la peine de mort initialement encourue et de l’absence d’accès à un soutien juridique adéquat, a atteint le seuil de gravité d’un traitement prohibé par l’article 3 (§ 91). De plus, le juge souligne que ces conditions de détention sont à l’origine de ses problèmes psychologiques et tentatives de suicides (« his detention undoubtedly caused the applicant’s psychological problems which, in turn, tragically led to his repeated attempts to take his own life » - § 92).

Les soins médicaux

La Cour estime que les autorités turques n’ont pas apporté au requérant les soins médicaux appropriés (§ 93) et qu’en tout état de cause, la prison n’était pas le lieu adéquat pour de tels soins (§ 94). La Cour rappelle d’ailleurs sa jurisprudence classique selon laquelle l’article 3 n’impose pas nécessairement une libération pour cause médicale mais au moins un obligation de fournir une assistance médicale : « although Article 3 of the Convention cannot be construed as laying down a general obligation to release detainees on health grounds, it nonetheless imposes an obligation on the State to protect the physical well-being of persons deprived of their liberty, for example by providing them with the requisite medical assistance » - § 96 - Cour EDH, 1e sect. 4 novembre 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01, § 40).

Enfin, l’absence de mesures destinées à prévenir la répétition des tentatives de suicide est également pointée par la Cour (§ 97).

La conjonction de tous ces éléments (§ 98) conduit à la condamnation de la Turquie pour traitements inhumains et dégradants.

 Détention provisoire et équité du procès (article 5§§ 3 et 4)

La juridiction strasbourgeoise condamne également la Turquie pour violation de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) en son paragraphe 3 pour la longue détention provisoire du mineur.

La Cour rappelle d’ailleurs explicitement les précédentes condamnations de la Turquie à ce sujet (§ 109).

Une violation de l’article 5 § 4 est aussi constatée au titre de l’absence de voies de recours effectives ouvertes au requérant afin de contester cette détention provisoire (§ 112 - élément déjà relevé dans l’examen de la recevabilité au titre de l’article 3 - § 79).

Juridictions d’exception: manque d’impartialité, d’indépendance et d’équité (art. 6)

Enfin, autre contentieux récurrent avec la Turquie, l‘absence d’impartialité et d’indépendance des « State Security Courts » (juridictions d’exception compétentes pour juger, notamment, certains actes censés porter atteinte à l’intégrité de l’Etat). Ici, la Cour condamne la Turquie pour violation de l’article 6 (droit à un procès équitable) au terme d’un examen qui est, de son propre aveu (§ 122), rare : l’équité même de la procédure devant ces juridictions. Or, ici, l’insuffisante assistance d’un avocat et l’absence de prise en compte de l’âge de l’accusé ainsi que de son état médical ont aussi constitué la violation du droit à un procès équitable (§ 132).

Güveç c. Turquie (Cour EDH, 2e sect. 20 janvier 2009, requête n° 70337/01) - En anglais

en word

le communiqué de presse du greffe

v. s’agissant de la France, sur le suicide de mineurs en prison:

  • Dadouche, Le dégoût , Journal d’un avocat, 12 octobre 2008
  • Un garçon de 16 ans s’est pendu dans sa cellule à Meyzieu, Libé Lyon, 5 février 2008
  • Suicides de mineurs en prison: «C’était: tu veux obtenir quelque chose, une nouvelle cellule, et bien pends-toi» , 20 minutes, 09 octobre 2008

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