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Longchamp(s)

Par Richard Le Menn

Longchamp(s) Photographie : "Modes de Paris." Planche 466 du "Petit Courrier des Dames. Boulevard des Italiens N°2 près le passage de l'Opéra. Costume de Long-Champs. Habit de cheval de forme carrée garni de boutons façonnés. Gilet de Piqué à revers, Culotte de Daim, Bottes Anglaises en Castor gris de Gérard." La ligne du dessous a été coupée sans doute originellement. Gravure en couleur, détachée d’une revue d’époque. Cette image originale est triplement intéressante car nous y retrouvons des références au boulevard des Italiens, à la mode anglaise et Longchamps. Les trois modes de promenades y sont dessinés : à pied, à cheval et en voiture. De nombreux autres éléments sur la mode d'alors y sont présents. Le Petit Courrier des Dames est publié de 1822 à 1868. C’est en juillet 1821 qu’est créé par Donatine Thierry le Nouveau Journal des Dames ou Petit courrier des Modes, des théâtres, de la littérature et des arts, publié par « une société de femmes de lettres et d’artistes ». Son titre change l’année suivante pour devenir le Petit Courrier des dames ou Nouveau journal des Modes. Il a une périodicité bidécadaire et contient 8 pages de textes et 7 gravures. Le format est en moyenne de 12,5 x 20 cm. Il continue jusqu’en 1868, après avoir publié plus de 3600 planches. Les modèles y sont présentés de face et de dos. Le Journal des Dames fait de même à la fin de 1825.

On lit dans Les Merveilles du nouveau Paris datant de 1867 "L’allée de Longchamps est célèbre par la promenade qui s’y fait le mercredi et le jeudi de la semaine sainte, et qui a pour but d’étaler les modes nouvelles du printemps …" Longchamp fait partie du bois de Boulogne. Il s’agit préalablement d’une abbaye de religieuses fondée au XIIIe siècle par Isabelle de France, une soeur de Saint-Louis. Plusieurs princesses françaises prennent des voeux dans ce monastère et les rois viennent y séjourner. Les moeurs n’y sont pas austères et certaines soeurs y font monstre d’élégance et de galanterie. L’abbaye devient donc une maison de retraite religieuse pour femmes fortunées qui peuvent y recevoir des visites. On y donne de grands concerts où on se rend en foule. Interdits, la promenade de Longchamp perdure. On s’y montre et se tient au courant des dernières tendances tout en pouvant y voir le high-life s’exhiber. C’est le cas durant les offices de la Semaine Sainte auxquels la haute société vient assister en grand appareil en déployant les modes nouvelles dans la plus grande parade de l’année où le peuple se plaît à mirer les nouvelles toilettes, les voitures somptueuses et les gens les plus en vue (prince(sse)s …). Déjà très populaire au XVIIe siècle, ‘la promenade de Longchamps’ est interdite à la Révolution. Elle reprend durant le Consulat mais n’allant plus jusqu’au monastère détruit par les révolutionnaires. Les professionnels de la mode préparent pour la promenade les tenues qui donneront le ton à la mode à venir. Il s’agit d’un véritable défilé du bon ton où s'insinue petit à petit la publicité. Dans ses Mémoires, Paul Charles François Adrien Henri Dieudonné Thiébault (1769-1846) décrit des promenades de Longchamp avant et après la Révolution en y dépeignant le faste de certains équipages et l’engouement du peuple de Paris pour ce divertissement. En voici un passage : "Au milieu d’une innombrable quantité de voitures remarquables, brillaient chaque année une cinquantaine d’équipages éblouissants, dans le nombre desquels une dizaine paraissaient plutôt les chars des déesses que ceux de simples mortels. Le monde semblait entrer en liesse durant ces trois journées […] Si l’on admirait les calèches des princes et de la Reine, les équipages de quelques grands personnages français et étrangers, il n’en reste pas moins vrai que tout cela le cédait à l’extravagante recherche de quelques Phrynés. Je me rappelle à ce sujet, mais sans plus rien savoir des détails, si ce n’est que les jantes des roues étaient en flèches, une calèche bleu de ciel, sur laquelle et à travers de légers nuages voltigeaient des Amours ; calèche montée par deux femmes éblouissantes de parure et de beauté, et traînée par quatre chevaux isabelle, queue et crinières blanches, tout harnachés en argent ciselé ou en broderies d’argent, les rênes y comprises. En fait d’élégance, je n’ai jamais rien vu de comparable à cet équipage, qui fixait tous les regards, arrachait à chaque pas des bouffées d’applaudissements. Je le vis passer de mes fenêtres, au moment où, débouchant de la rue Royale, il continuait sa marche triomphale vers les Champs-Elysées, et je guettais son retour pour lui payer un dernier tribut d’admiration." Au XIXe siècle, la promenade se fait sur l’allée de Longchamp (allée des Acacias) du bois de Boulogne (décrit dans Les Merveilles du nouveau Paris comme "l’orgueil et le lieu de prédilection de tout véritable Parisien"). Le défilé passe par les Champs-Elysées, puis l’avenue du bois de Boulogne (l’actuelle Avenue Foch) avant d’arriver dans le bois. Mais cette promenade perd petit à petit au XIXe de son faste comme le montre ce passage d'Ohé ! La Grande Vie !!! de Gyp (nom de plume de Sibylle Aimée Marie Antoinette Gabrielle Riquetti de Mirabeau, par son mariage comtesse de Martel : 1849-1932), intitulé ‘FEU LONGCHAMP’, datant de 1891, qui marque avec élégance et ironie l’ambiance de la promenade de Longchamp de 1888. L’intérêt de ce passage se situe aussi dans la description de certains types d’élégants comme la cocodette, le cocodès, la petite femme moderne ou le gommeux ; et la description de cette passion française pour la mode et le style. "Dans l’allée des Acacias à cinq heures. / UN GOMMEUX, épaules et vêtements étroits ; col très haut ; bottines à pointes aiguës et relevées ; parapluie roulé dans son étui ; pantalon retroussé ; chapeau à bords plats ; marche en fauchant, les bras écartés du corps avec affectation. / […] UN COCODES DE L’EMPIRE, épaules et vêtements larges ; cravate bleue à pois blancs ; redingote très bien faite ; pas de pardessus ; bottines à bouts arrondis ; guêtres blanches ; chapeau à bords gondolés. / UNE PETITE FEMME MODERNE, l’air vigoureux ; cheveux courts frisés au petit fer ; jupe de drap vert bouteille ; jaquette mastic ; col droit ; rose à la boutonnière ; chapeau de feutre gris sans aucun ornement ; souliers vernis à bouts pointus et talons absolument plats ; marche à grands pas. / UNE COCODETTE DE L’EMPIRE, encore jolie ; toilette de pékin gris perle ; capote de dentelle noire couronnée de violettes ; bottines de chevreau à talons Louis XV ; marche à petits pas en se berçant légèrement. / […] Sont descendus de voiture et se promènent en causant dans l’allée des piétons. / LE GRINCHEUX, montrant le maigre défilé de voitures. – Quel joli Longchamp !!! quelle élégance !... Ah !... je m’en souviendrai, du Longchamp de 1888 !... / LE GOMMEUX. – C’est infect !... (Il fait une grimace de dégoût.) / LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841, relevant précipitamment sa robe. – Où donc !... fi !... (Elle regarde à terre et marche avec précaution.) / LE GRINCHEUX. – Non, non !... ce n’est pas ce que vous croyez !... cette exclamation moderne signifie tout bonnement que ce Longchamp n’est pas réussi !... LA COCODETTE. – Vous rappelez-vous en 1867 ?... quel défilé !... la princesse de Metternich dans sa calèche jaune !... et l’impératrice !... si jolie sous son ombrelle vert pomme !... c’était toujours à Longchamp qu’elle l’arborait, sa fameuse ombrelle vert pomme !... / LE GRINCHEUX. – Comment voulez-vous que je me rappelle ça !... / LE MONSIEUR AIMABLE. – Vous étiez encore au collège ?... / LA PETITE FEMME MODERNE, protestant. Au collège ?... Ah !... voyons ! (Elle rit ; tête du grincheux.) / LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841. – C’est le Longchamp de 1842 qu’il fallait voir !... Palmyre lançait cette année-là les robes à la captive !... la taille très basse… marquée de soie négligemment nouée… […] / LE COCODES – Ici… le défilé sera toujours affreux !... autrefois on allait au lac… c’était gai, riant !... à la bonne heure !... tandis que, dans cette bête d’allée !... / LE GOMMEUX. – C’t’infect !!! / LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841, suivant toujours son idée. - … Avec la robe à la captive, on portait le bibi blanc ou rose de Chine… surmonté d’un pouf de plumes… dessous, une guirlande de roses du Bengale… les élégantes ajoutaient une ferronnière en diamants… on portait aussi le turban à la juive, orné d’un oiseau de paradis… / LE GRINCHEUX. – Ca devait être d’un goût exquis !... / LE MONSIEUR QUI A SIEGE A LA CHAMBRE DES PAIRS. – N’est-ce pas, monsieur ?... c’était autrement gracieux que les modes d’aujourd’hui ?... voyez les portraits qui reproduisent les femmes de cette époque… […] LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841. - … Ce fut cette année là que le duc d’Orléans parut à Longchamp en Jaunting-car… LE GRINCHEUX. – Hein ? LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841. – En Jaunting-car… c’était une voiture… / LE GOMMEUX, interrompant. – Infecte !... / LA COCODETTE. – Les toilettes de cette année sont inélégantes !... du drap… du drap… et toujours du drap… / LA PETITE FEMME MODERNE. – Dame ! il n’y a guère que ça de pratique !... / LE COCODES. – Pratique ! voilà bien les femmes d’aujourd’hui !... mais il ne faut pas qu’une femme soit "pratique" ! c’est sa perte !... c’est sa fin !... c’est affreux, une femme pratique !... affreux !... / LA PETITE FEMME MODERNE, riant. – Merci !... LE COCODES. – Parlez-moi des femmes qui avaient des notes de quatre-vingt mille francs chez leur lingère !... voilà des femmes !... des vraies !... mais il n’y en a plus comme ça !... ou, quand il y en a, les maris divorcent !... ils n’en veulent plus, des notes de quatre-vingt mille francs !... […] / LA PETITE FEMME MODERNE, au grincheux. – Qu’est-ce que vous regardez donc si attentivement ?... / LE GRINCHEUX. – Quatre-vingt-seize.. quatre-vingt-dix-sept… je compte quelque chose !... Quatre-vingt-dix-huit… quatre-vingt-dix-neuf… / LA PETITE FEMME MODERNE. – Vous comptez … quoi ?... / LE GRINCHEUX. – cent … Et allons donc !... j’ai les cent !... en sept minutes et demie … / LA COCODETTE. – Les cent quoi ?... / LE GRINCHEUX. – Boa !... c’était les boas que je comptais !...Oui !... on en est littéralement inondé !... cette mode jolie au début, commence à devenir … / LE GOMMEUX - … fecte !!! / LE COCODES. – La mode est aux choses qui engoncent !... autrefois … / LA PETITE FEMME MODERNE, riant. – sous l’Empire !... c’était bien mieux ! / LE COCODES. – Eh bien, oui, là !... Sous l’Empire, les femmes avaient un cou !... à présent elles n’en ont plus !... ou du moins elles nous le cachent … boas, cols officier, cols carcan … / L’HOMME AIMABLE. – Si elles nous cachent leur cou, elles nous montrent tant d’autres jolies choses !... / LA COCODETTE. – Il n’y a pas une seule jolie voiture !... des fiacres, des voitures de cercles, des Victorias mal attelées … / LE COCODES. – Et pas un cavalier présentable !... vous souvenez-vous du persil d’autrefois ?... quand nous étions tous alignés près du mélèze pour regarder tourner les voitures au bout du lac ?... / LA COCODETTE. – Ah !... oui !... je m’en souviens ! […] / LA PETITE FEMME MODERNE. – C’est passé de mode, voilà tout !... aujourd’hui on ne fait plus ça !... on fait autre chose !... / LE COCODES. – Quoi ?... / LA PETITE FEMME MODERNE. – Eh bien, je ne sais pas, moi !... on fait de la musique !... on va aux petits cinq heures !... aux expositions !... on va voir les manifestations … / LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841. – Nous aussi, nous portions le boa !... cela accompagnait à ravir le Vitchoura et le manchon chancelière … / LE GRINCHEUX. – Et quand vous portiez tout ça … est-ce que vous pouviez encore remuer ?... / LA DAME QUI ETAIT JOLIE EN 1841. – Nous ne marchions jamais !... une femme comme il faut ne sortait pas à pied… ainsi, moi… je n’ai appris à marcher qu’après la révolution de Février !... / LE GRINCHEUX, à part. – Pauv’vieille !... elle a commencé trop tard, c’est pour ça qu’elle marche si mal !..." L’Hippodrome de Longchamp ouvert en 1857 attire toujours une certaine élégance qui n’a évidemment rien à voir avec les fastes d’antan. Dans Les Merveilles du nouveau Paris (1867) on lit : "les courses de Longchamps sont toutes modernes et datent de l’importation en France de la mode anglaise de faire courir les chevaux."

A la parade de Longchamp, la distraction est dans la promenade, la galanterie (les oeillades...), le sport, l'élégance, les rencontres et le défilé.


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