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Magie noire

Publié le 23 janvier 2009 par Malesherbes
Mardi 20 janvier, John Roberts, le Président de la Cour Suprême des Etats-Unis, s’est trompé en prononçant la formule sacramentelle consacrant l’accession du nouveau Président à la magistrature suprême. Il a ainsi conduit Barack Obama à commettre l’erreur que celui-ci avait pourtant remarquée. Contrairement à ce que l’on a pu lire ou entendre dans certains médias, toujours approximatifs dans leur relation des faits, il n’a pas inversé un mot. D’ailleurs, que veut dire inverser un mot ? On ne peut guère inverser que deux éléments ! En fait, le mot fidèlement n’a pas été prononcé à la place où il devait se trouver dans la phrase. Certains craignant une contestation ultérieure, la prestation de serment a donc été recommencée le lendemain à la maison Blanche et, à la demande du Président, cette fois … lentement.
Ceci me conduit à réfléchir sur ce que les linguistes appellent la parole performative. Il s’agit d’une parole qui est en elle-même une action. Lorsqu’un supérieur dit à un subordonné : « je vous autorise à partir », cette phrase manifeste la licence qui est ainsi donnée et elle se suffit en elle-même, elle est action sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter quelque chose. Ce qui s’est passé à Washington laisse penser que la formule du serment serait performative. Le président élu se présente devant le juge en n’étant que cela, un président élu. Par une opération qu’on pourrait qualifier de magique, le fait de prononcer les paroles prescrites le transmute en Président. La formule prévue n’ayant pas été prononcée dans le bon ordre, l’investiture ne courait-elle pas le risque d’être nulle et non advenue ? Par précaution, Barack Obama a prêté à nouveau serment le lendemain.
Pour ma part, je ne souscris pas ici à cette notion de parole performative. Considérons par exemple la formule par laquelle un prêtre termine la cérémonie de mariage : « je vous déclare mari et femme ». Si je m’adresse à un couple quelconque et prononce cette parole, celui-ci ne se trouvera pas marié pour autant. C’est bien selon moi la preuve que cette parole à elle seule ne saurait être performative. Pour qu’elle soit effective, il lui faut être accompagnée d’autres éléments : un prêtre habilité par l’Eglise à donner le sacrement de mariage, un couple de fiancés non encore mariés, etc.
Le cérémonial d’investiture du Président des Etats-Unis est en fait une résurgence des temps où l’autorité suprême ne pouvait être que d’origine divine. Les rois de France se faisaient couronner par un évêque à Reims. Ils se trouvaient alors oints par le Seigneur et, au passage, l’Eglise affirmait ainsi sa primauté sur le pouvoir temporel. A Washington, on a laïcisé la cérémonie mais pas complètement puisqu’on a conservé la Bible. On a remplacé le dignitaire religieux par l’autorité suprême en matière de justice, symbole renforcé par le fait que ce juge, comme d’autres en anglais, est appelé Justice. Comme je n’ai pas remarqué de Livre saint dans le bis effectué par M. Obama, je ne puis m’empêcher de nourrir des doutes sur la validité de sa seconde prestation.
En forçant un peu le trait, j’ai le sentiment qu’on nous a joué le sketch suivant : un grand sorcier s’est écrié «abradacabra ! ». Catastrophe, il devait dire : « abracadabra ! ». Le tour est raté, vite, recommençons. Mais est-ce plus efficace ?
Heureusement, une fois accomplis ces rites d’un autre âge, Barack Obama a, par ses premières décisions, démontré qu’il était bien un homme de rupture.

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