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"Jindabyne" : pauvres pêcheurs

Par Vierasouto

Adapté d’une nouvelle de Raymond Carver, spécialiste, en deux mots, des situations extraordinaires à potentiel monstrueux, faisant irruption dans des existences ordinaires, "Jindabyne" est un faux thriller social au rythme immensément lent et oppressant à dessein. Le début du film est quasiment le même que celui de "La Nuit des Tournesols", une campagne déserte, deux véhicules, une jeune femme métisse, un homme blanc âgé qui l’agresse, la violente, et demeurera impuni. Contrairement à "La Nuit des tournesols" où la scène de viol est insoutenable, la jeune femme rescapée, sauvée par son fiancé, dans "Jyndabyne", la scène n’est pas montrée. En revanche, le groupe des quatre pêcheurs partis en excursion sportive pour le WE, va trouver le cadavre de la jeune femme dans la rivière. C’est ici que la méthode Carver intervient : dans cette situation traumatisante par excellence, les quatre hommes vont réagir de façon monstrueusement indifférente : il vont poursuivre leur partie de pêche et donner la priorité à leurs loisirs…

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Leur retour à la ville va les réveiller en sursaut. L’épouse américaine de l’un d’entre eux, Stewart Kane, dont le couple ne va pas fort, claque la porte, révoltée. La nouvelle de la mort de la jeune femme, appartenant à une tribu aborigène, va alors susciter l’opprobre et la colère de la population, puis la diviser sur la conduite à tenir pour les obsèques, réveillant les rancoeurs et le racisme. Un drame qui va agir en révélateur du malaise social des autochtones, avec l’intégration approximative d’une population blanche mal à l’aise avec des rites aborigènes lui demeurant étrangers et inquiétants quand les blancs sont toujours considérés, pour leur part, comme des étrangers hostiles pour le peuple aborigène. Un événement révoltant, qui va révéler aussi, au delà de la dimension collective, les drames intimes qu’on taisait, comme la crise d’un couple.

Du point de vue de la photo, le film est splendide dès la première image et l’immensité des paysages désertiques du bush australien, à la fois inhospitalier et fascinant, la servent. Cependant, le parti pris de gommer tout artifice et tout effet de mise en scène pour encercler de vide, comme un diamant noir, le miroir des pulsions sombres, le comportement des personnages, dans une sorte de contre mise en valeur du récit et des acteurs, peut laisser le spectateur démuni… Est-ce que trop de volonté de réalité et de réel ne nuit pas à l’impression de réalité ? C’est la question qu’on se pose… Parti avec tous les ingrédients, fond et forme, pour être passionnant, le film est rapidement ennuyeux (de mon point de vue), un thème trop riche, un brin trop moraliste peut-être (quoique la toute dernière image de la fin contredise la fin…), une lenteur enlisante à force d’être volontairement paralysante, je ne sais pas… Au final, ça fait partie des films auxquels on n’a rien d’objectif à reprocher, dont on dira volontiers en tout sincérité "c’est un beau film" mais dont on sort pourtant morose sans aucune envie d’y retourner…

© La Fabrique de Films Galerie complète sur AlloCiné


* "La Nuit des tournesols" a obtenu le prix du "Sang neuf" au festival du film policier de Cognac cette année et "Jindabyne" le prix du jury.

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