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Souvenirs de Corée du Nord (2) – Des poules dans le cabanon

Publié le 26 janvier 2009 par Fredo
Journée de visite routinière dans un comté d'une province du nord, près de la frontière chinoise. Ce jour-là, mes intestins ne se sont pas remis du dîner de la veille, et semblent bien décidés à perturber les visites habituelles et sans surprise de crèches et d'écoles prévues ce jour-là. Je serre les dents et me promets de ne plus manger de poisson cru – promesse que je sais pourtant ne pouvoir tenir.
En fin d'après-midi, nous arrivons dans une bourgade blottie dans une petite vallée aux flancs recouverts de grands sapins. La petite ville repose au fond, et présente la disposition habituelle de la cité nord-coréenne : une allée principale, goudronnée, qui mène sur une grande statue du Généralissime. Quelques bâtiments officiels sur les deux côtés, et derrière, des rangées de maisonnettes plus ou moins identiques, un étage, des toits recouverts de citrouilles, et des jardinets foisonnant de légumes, reliées entre elles par des chemins de terre battue.
Une bourgade déshéritée mais impeccable, comme toujours. C'est l'été mais il fait déjà froid : de minces filets de fumée sortent de quelques maisons. La contrée ne manque visiblement pas de bois. La visite de la crèche numéro trois du comté se déroule sans accroc, jusqu'à ce que mes intestins se retournent un fois de plus. Il y a urgence. Je laisse mon collègue finir le questionnaire réglementaire, et me précipite dehors, à la recherche d'un coin tranquille et propre.
Las. Le chemin est occupé par des gamins qui se figent en me voyant. Des charrettes tirées par des paysans passent. Mon chauffeur est parti je ne sais où. J'avise un adjochi qui fume à côté de notre 4x4 et lui demande où trouver des toilettes.* Celui-ci, imperturbable, tire sur son mégot, jette un long coup d'œil circulaire, et s'avance près de la maisonnette la plus proche. Il hèle l'adjouma du logis, et lui demande si – ou lui signifie que, c'est selon - l'étranger à l'estomac fragile peut utiliser ses latrines. Elle acquiesce sans un mot, un peu apeurée, et me montre le fond du jardin en me tendant une liasse de vieux papiers brunis.
Je m'approche du cabanon de planches en bois disjointes, en me tenant le ventre. J'ouvre la porte, et me retrouve face à face à... une demi-douzaine de poules serrées les unes contre les autres. Elles se sont trouvés là un coin confortable et chaud, et semblent fermement décidées à ne pas lâcher un pouce de terrain à l'envahisseur impérialiste. J'ai beau agiter frénétiquement mon journal et siffler des "tss tss" agacés, elles font bloc, retranchées derrière le trou merdeux dans le plancher en bois. Mes imprécations, devenues suppliques sous la pression des élancements douloureux de mon estomac, sont inutiles : ces poules-là sont pugnaces. Elles n'en sortiront que par la force des baïonnettes.
Je sens le regard des enfants et de l'adjouma dans mon dos. La pression monte. Je suis en train de perdre la bataille des latrines, et ma dignité. Les poules sentent la victoire proche, et resserrent les rangs.
L'adjochi a fini par repérer mon manège ridicule, et arrive à la rescousse, dégageant les occupantes récalcitrantes à grands coups de tatane rageurs. La place est glorieusement reconquise en deux secondes. Ravalant ma honte, je balbutie trois remerciements, et fonce libérer mes entrailles.
Mon staff a bien rigolé en prenant connaissance de l'histoire. Deux semaines après, ils se moquaient encore de moi.
(* différence amusante pour les coréanophones: au nord on préfère dire 위생실 – ou "pièce d'hygiène", à comparer au 화장실 – ou "pièce de maquillage" – plus usité au sud)

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