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Catastrophe écologique de Baia Mare et droit à un environnement sain (CEDH 27 janvier 2009 Tătar c. Roumanie) par N. HERVIEU

Publié le 28 janvier 2009 par Combatsdh

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 27 janvier 2009 un arrêt (Tătar c. Roumanie, 3e Sect., req. no 67021/01) qui précise une nouvelle fois les prolongements environnementaux des droits garantis par la Convention. En effet, au sujet d’une des catastrophes écologiques les plus importantes de ces dernières années, la juridiction strasbourgeoise a condamné la Roumanie pour violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée).

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Le 30 janvier 2000, un accident eu lieu sur le site d’une exploitation de minerais d’or près de la ville de Baia Mare en Roumanie. 100 000 m3 d’eau polluée par l’exploitation et contenant du cyanure ainsi que d’autres métaux lourds se déversèrent dans la rivière située à proximité. La pollution se diffusa dans plusieurs rivières en traversant la Hongrie et la Serbie pour contaminer le Danube et se déverser finalement dans la Mer Noire. La grande majorité des organismes vivants dans les espaces aquatiques touchés furent empoisonnés et disparurent. Outre les actions et expertises immédiatement menées par des organismes de l’Union Européenne et de l’Organisation des Nations-Unis dont l’Organisation Mondiale de la Santé, divers initiatives internationales furent lancées afin de tirer les enseignements de la catastrophe. Un riverain de l’exploitation porta plainte, sans succès, contre les dirigeants de l’exploitation aurifère pour atteinte à sa santé ainsi qu’à celle de sa famille, dont son fils qui auraient vu son asthme s’aggraver à la suite de la catastrophe.La Cour condamne la Roumanie pour non-respect des obligations positives découlant de l’article 8 CEDH.

Tătar c. Roumanie (3e Sect., req. no 67021/01) du 27 janvier 2009

Lettre Droits-libertés par Nicolas Hervieu

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La Cour rappelle d’abord la modification (réalisée dans la décision sur la recevabilité - Tătar et Tătar c. Roumanie, 5 juillet 2007, 3e Sect.) de la qualification juridique des faits qui place l’affaire sous l’angle de l’article 8 et non de l’article 2 (droit à la vie) initialement invoqué par les requérants - le riverain et son fils (§ 72). Puis, dans la lignée de ses développements jurisprudentiels antérieurs, la juridiction strasbourgeoise souligne que « lorsqu’une personne pâtit directement et gravement du bruit ou d’autres formes de pollution, une question peut se poser sous l’angle de l’article 8  » (§ 86). Surtout, elle énonce que « l’article 8 peut […] trouver à s’appliquer dans les affaires d’environnement, que la pollution soit directement causée par l’État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l’absence d’une réglementation adéquate de l’activité du secteur privé » (§ 87). Cette obligation positive, d’action, couplé à l’”effet horizontal” des droits conventionnels (l’Etat peut être responsable même pour des actes accomplis par un individu tiers), se décline en divers charges étatiques précises qui constituent un véritable “code de l’environnement prétorien” (il existe un « devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif visant à une prévention efficace des dommages à l’environnement et à la santé humaine » : règlementations encadrant strictement l’activité surtout si elle est dangereuse, processus décisionnel appuyé sur des enquêtes et études évaluant les risques, « accès du public aux conclusions de ces études ainsi qu’à des informations permettant d’évaluer le danger auquel il est exposé » et possibilité de « former un recours contre toute décision, tout acte ou toute omission devant les tribunaux s’ils considèrent que leurs intérêts ou leurs observations n’ont pas été suffisamment pris en compte dans le processus décisionnel » - § 88).

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En l’espèce, à l’appui de diverses études, notamment internationales, la Cour admet l’applicabilité de l’article 8 en considérant que « l’activité de l’usine Săsar pouvait causer une détérioration de la qualité de vie des riverains et, en particulier, affecter le bien-être des requérants et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale  » (§ 97). Mais elle distingue cependant deux aspects de l’affaire, l’un lié aux mesures collectives de protection de l’environnement et l’autre concernant la situation médicale individuelle d’un des requérants.

1°/ Sur les mesures nécessaires à la jouissance d’un environnement sain et protégé

Au regard de « l’existence d’un risque sérieux et substantiel pour la santé et pour le bien-être des requérants », l’Etat se devait d’agir pour assurer «  la jouissance [par ses derniers] d’un environnement sain et protégé » (§ 107). Or si la Cour reconnait pour ce faire à l’Etat une « ample marge d’appréciation » (§ 108), elle souligne que, malgré le danger prévisible (§ 111), « les autorités roumaines ont failli à leur obligation d’évaluer au préalable d’une manière satisfaisante les risques éventuels de l’activité en question et de prendre des mesures adéquates capables de protéger le droits de intéressés au respect de leur vie privée et de leur domicile et, plus généralement, à la jouissance d’un environnement sain et protégé » car « les conditions d’exploitation fixées par [elles] se sont révélées insuffisantes  » (§ 112).

Quant au « droit du public à l’information » (§ 113), les juges européens rappellent avant tout que « l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement sont consacrés » (§ 118) par divers instruments internationaux et européen (Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 et Résolution no 1430/2005 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les risques industriels). Ceci pour estimer que les conditions d’information du public ainsi que les voies de recours judiciaires contre ces activités étaient ici insuffisantes, aussi bien antérieurement que postérieurement à la catastrophe (§ 124 - la Cour souligne d’ailleurs « l’état d’angoisse et d’incertitude [de la population riveraine] accentuées par la passivité des autorités nationales » à la suite de la catastrophe - § 122).

Il est possible de noter également que la Cour mentionne « l’importance du principe de précaution (consacré pour la première fois par la Déclaration de Rio), qui “a vocation à s’appliquer en vue d’assurer un niveau de protection élevée de la santé, de la sécurité des consommateurs et de l’environnement, dans l’ensemble des activités de la Communauté” » (§ 120).

La Cour condamne donc la Roumanie pour non-respect des obligations positives découlant de l’article 8.

2°/ Sur le lien de causalité entre la catastrophe et la maladie du requérant

Au sujet de l’aggravation de l’état de santé du second requérant, la Cour s’appuie sur différentes études, réalisées notamment par l’OMS, pour admettre que les substances déversées dans la rivière peuvent avoir des conséquences sur les affections respiratoires (§ 103). Mais, elle relève aussi qu’il existe encore aujourd’hui des incertitudes à ce sujet. Dès lors, la juridiction strasbourgeoise estime, en principe, qu’ « en l’absence d’éléments de preuve à cet égard, [elle] pourrait éventuellement se livrer à un raisonnement probabiliste, les pathologies modernes se caractérisant par la pluralité de leurs causes. Cela serait possible dans le cas d’une incertitude scientifique accompagnée d’éléments statistiques suffisants et convaincants » (§ 105). Mais en l’espèce, elle considère que « l’incertitude scientifique n’est pas accompagnée d’éléments statistiques suffisants et convaincants. Le document réalisé par un hôpital de Baia Mare et attestant un certain accroissement du nombre des maladies des voies respiratoires ne suffit pas, à lui seul, à créer une probabilité causale. La Cour constate donc que les requérants n’ont pas réussi à prouver l’existence d’un lien de causalité suffisamment établi entre l’exposition à certaines doses de cyanure de sodium et l’aggravation de l’asthme » (§ 106).

Partant, la Roumanie n’a pas été condamnée à ce titre et aucune satisfaction équitable (Art. 41) n’a été accordée au second requérant pour réparer le dommage matériel allégué - la dégradation de son état de santé - car, selon la Cour, « il n’y a aucun lien de causalité entre la violation de la Convention et le préjudice allégué » (§ 131).

Cette conception du lien de causalité adoptée ici par la Cour semble se rapprocher de celle fréquemment utilisée par les juridictions nationales (dont françaises - voir les exemples cités dans l’opinion partiellement dissidente des juges Zupančič et Gyulumyan) pour établir les responsables de maladies issues de l’exposition à des produits toxiques, à l’image de l’amiante. En effet, contrairement à ce qu’avancent les juges dissidents, il semble bien que la Cour européenne a ici admis le principe d’une telle technique probatoire fondée sur les éléments statistiques. Ceci vient pallier l’absence de preuve individuelle et certaine du lien de causalité, très difficile à établir dans ce type d’affaire. Il reste néanmoins que le niveau d’exigence de la Cour quant à la quantité de ces informations statistiques apparaît, à la lueur de l’application faîte dans cet arrêt, assez élevé.

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Tătar c. Roumanie (3e Sect., req. no 67021/01) du 27 janvier 2009

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