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Ouvrir le feu en opex

Par Francois155


PAR YVES CADIOU

Depuis que nous faisons des opex le premier problème de nos gars face à l’ennemi c’est toujours la décision d’ouverture du feu.

S’agissant de guerres qui ne sont pas déclarées, nous ne sommes autorisés à ouvrir le feu qu’en cas de « légitime défense ». Cette notion de légitime défense est déjà très difficile d’interprétation en temps normal chez nous, pays en paix : beaucoup de tribunaux ont passé des heures, voire des jours, à l’examiner pour trancher tel ou tel cas de fusillade entre voisins trop nerveux ou lorsqu’un quidam à son domicile avait réagi violemment à un cambriolage à main armée. En opex, nous ne sommes pas chez nous et notre rôle n’est pas d’aggraver la situation que nous sommes supposés stabiliser. Mais notre rôle n’est pas non plus de nous faire tuer pour montrer notre bonne volonté. Trop de nos « soldats de la paix » ont payé de leur vie, ou de leur intégrité physique et de leur avenir personnel, l’ambiguïté de leur présence. Lorsque l’on envoie, ou que l’on maintient, une unité de l’armée dans une zone de tension c’est pour y faire quelque chose, obtenir un résultat par les moyens de l’armée : les armes. C’est une décision politique et par conséquent le politique doit assumer sa responsabilité.

En 2005, l’on a pu espérer que la nouvelle rédaction du statut militaire allait résoudre ce problème en rendant possible, outre les cas de légitime défense, l’usage des armes lorsque cela serait nécessaire à l'accomplissement de la mission. Voici la nouvelle rédaction de l’article 5 : « La plupart des interventions n'entraînent pas nécessairement la mise en application du droit des conflits armés. Afin de lever cette insécurité juridique et permettre au militaire d'accomplir sa mission dans les meilleures conditions, le militaire n'est pas pénalement responsable, outre les cas de légitime défense, s'il fait usage de la force armée ou en donne l'ordre lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dans le respect des règles du droit international et dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français

L’on a donc pu espérer, avec cette nouvelle rédaction du statut, que nos gars auraient enfin l’initiative d’ouvrir le feu quand il le fallait. Mais c’était sous-estimer l’habileté des politiciens à esquiver leurs responsabilités : il leur suffit de mal formuler la mission. Désormais, ce qu’apporte la nouvelle rédaction du statut, ce n’est pas la sécurité juridique pour nos hommes en opex : la nouveauté, c’est seulement que l’ambiguïté dans la formulation de la mission ne peut plus être considérée comme une banale incompétence, mais que c’est une esquive volontaire de la responsabilité politique.

Il faut mettre fin à cette pratique. Voici un exemple concret et assez récent pour illustrer le propos ci-dessus. En février 2008, nos forces interviennent une nouvelle fois au Tchad (tous les faits que je mentionne ci-après sont publics). Cette fois, il s’agit de réagir à une attaque-surprise de deux ou trois milliers d’hommes fortement armés venant du Soudan. Nous intervenons d’abord au titre des accords de 1976, c’est-à-dire dans les mêmes conditions juridiques que pour Tacaud en 1978 : la mission est un « soutien logistique » que nos hommes apportent à l’armée tchadienne.

Le soutien est dit « logistique » mais l’on envoie pour ce faire des troupes d’assaut aguerries : le 3°RIMa et le 1°REC comme en 1978. De cette façon, le politique se décharge sur nos Marsouins et nos Légionnaires de l’initiative d’employer la violence des armes. Parce que rien n’est moins violent que la logistique, n’est-ce pas. Nos gars devront prendre le risque d’avoir des pertes dans leurs rangs avant de pouvoir faire feu.

C’est une situation qui s’est reproduite trop souvent dans le passé. Et une situation qui continue : la modification du statut en 2005 est donc restée vaine, contournée par le libellé de la mission que le gouvernement français assigne à l’armée.

En février 2008 heureusement, la mission évolue à la demande de la communauté internationale : la mission devient « évacuer les ressortissants étrangers ». Cela change tout : ça signifie entre autres « sécuriser l’aérodrome ». Heureusement, nos gars n’ont pas encore été trop déformés par vigipirate : cette fois il ne s’agit plus de patrouiller dans l’aérogare, mais de garantir que les avions à passagers pourront atterrir et décoller sans être mitraillés ni canonnés. Par conséquent, il faut faire usage de la violence des armes pour désarmer ou tuer tout individu armé que l’on trouverait dans un rayon de N kilomètres autour des pistes.

Ainsi, dès que la mission donnée par le politique est devenue claire sous la pression internationale, l’article 5 que j’ai rappelé plus haut est devenu applicable et nos gars ont vite rétabli la situation sans pertes pour nous ni pour les civils.

Cet exemple, qui n’est pas imaginaire mais dont on a trop peu parlé tant il est flagrant, montre à l’évidence que le premier moyen qu’il faut donner aux militaires en opex, c’est une mission clairement définie. Le rôle des militaires est de mettre en oeuvre, au nom de la France, la violence des armes.

La responsabilité gouvernementale est de définir clairement la mission pour chaque opex et d’indiquer sans détour quel est le résultat à obtenir par les moyens de l’Armée : les armes. La mission, et par conséquent l’autorisation de tir, est une responsabilité du politique. Celui-ci ne doit plus esquiver sa responsabilité par des formules qui n’ont aucun sens sur le terrain mais qui passent « comme une lettre à la poste » au journal télé que l’on regarde distraitement entre la poire et le fromage.

Sur le terrain nos soldats détectent une bande équipée d’armes de guerre et se demandent s’ils doivent attendre de se faire tirer dessus quand l’ennemi voudra : dans ce genre de situation, qu’est-ce que ça veut dire concrètement « lutter contre le terrorisme » ou « former l’Armée afghane » ? Nos gars ne peuvent pas faire usage de leurs armes et doivent attendre d’être en légitime défense, c’est-à-dire en danger. Avant même d’avoir des drones pour détecter la bande armée, il faut savoir ce que l’on fera en présence de cette bande.

Si les politiques parisiens ne prennent pas leurs responsabilités en définissant d’abord la mission, nos soldats sont en danger inutilement parce qu’on les prive de l’initiative d’ouvrir le feu. Pour avoir connu moi-même ce genre de situation ailleurs en opex, j’ai retenu qu’il est vital depuis longtemps et qu’il est urgent maintenant, de résoudre au plus tôt cette interrogation. A la fois pour la sauvegarde de nos hommes sur le terrain mais aussi pour ne pas développer dans la corporation un sentiment de doute envers l’autorité gouvernementale. Amener les militaires à douter de la Démocratie serait un mauvais tour que l’on jouerait à celle-ci.


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