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L’avènement d’une action de groupe (”class action”) en contentieux administratif

Publié le 02 février 2009 par Combatsdh

On attendait la “class action” devant le juge civil pour les litiges en droit de la consommation (voir le blog du working lawyers class hero Dimitri Houtcieff). En vain.

A l’initiative de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, le juge administratif pourrait être doté dans l’avenir d’un mécanisme “d’action collective” afin de faire face aux contentieux de masse (comme l’un de nos commentateurs est venu nous l’annoncer).

En effet, les juridictions administratives, qui sont compétentes pour régler les litiges entre l’administration et les administrés, sont saisies chaque année de 200 000 requêtes. Certains contentieux donnent lieu à des “séries” importantes (jusqu’à 20 000 requêtes).

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Ca a été le cas, par exemple, de la question de la prise en compte des enfants élevés par les pères fonctionnaires au moment du départ à la retraite suite à l’affaire Griesmar (CE, 29 juillet 2002, n°14112, Griesmar ; CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99, Joseph Griesmar c/ France. Voir en dernier lieu le rapport spécial de la HALDE sur cette question ici ou encore là ) ou encore le mode de calcul du supplément familial de traitement lorsque les deux conjoints sont fonctionnaires.

En contentieux administratif, on rencontre régulièrement des litiges pouvant donner lieu à des actions collectives (retrait de points du permis de conduire sans notification adéquate; irrégularités dans un concours national; erreur de calcul des impôts; radiations abusives par le Pôle emploi, etc.).

De facto, il existe déjà des formes d’actions collectives devant les juridictions administratives. Lorsqu’une requête a une identité d’objet, il est possible de la déposer à plusieurs requérants.

Ainsi, plusieurs associations de défense des droits de l’homme peuvent contester un décret liberticide (ainsi, par exemple, le décret “Edvige” a été contesté par douze associations par la même requête ou le décret “Pécresse” sera sûrement contesté par de nombreux syndicats en enseignants du supérieur). De même, l’ensemble des candidats recalés à un concours suite à des irrégularités peuvent déposer conjointement une requête.

L’article R411-5 du Code de la justice administrative prévoit en effet que, dans ce cas, soit les requérants désignent un mandataire unique (ainsi, Frédéric Rolin avait été désigné mandataire unique des 74 enseignant-chercheurs en droit et sciences politiques ayant contesté le maintien de l’état d’urgence en référé : cf. CE, réf., 9 décembre 2005, Allouache et alii) . A défaut, le premier dénommé sur la requête est  avisé par le greffe qu’il est considéré comme représentant unique de l’ensemble des requérants - sauf à en désigner expressément un.

C’est le mandataire unique qui reçoit du tribunal les mémoires en réponse de l’administration et convocations du greffe. Il est interlocuteur unique du tribunal. Charge à lui de répercuter ensuite l’information auprès des autres requérants.

Il existe aussi dans le Code de la justice administrative la possibilité lorsque des requêtes appellent à juger des questions identiques à celles déjà tranchées (par une décision définitive de la juridiction elle-même ou par le Conseil d’Etat par un avis ou une décision contentieux) de statuer par voie d’ordonnance présidentielle dès lors qu’il ne fait pas porter une nouvelle appréciation ou qualification de faits. On appelle cela les “séries” (article R.222-1, 6° CJA)

Mais si ces mécanismes permettent de régler un certain nombre de litiges collectifs, ils présentent certaines insuffisances. Ainsi, par exemple, le collectif des Amoureux au ban public ou le Codétras ne pourraient pas, devant une juridiction administrative, réunir dans une seule et même requête une sélection de dossiers de couples mixtes ou de travailleurs saisonniers faisant l’objet d’un traitement discriminatoire (comme cela a été fait devant la HALDE) dès lors qu’il n’y a pas d’identité d’objet entre les différentes décisions contestées.

jhan75l.1233399794.jpgDe même, on pourrait imaginer que l’ensemble des étudiants d’une université fédérés par une association ou un syndicat revendiquent la gratuité de l’enseignement inscrite dans la Constitution (alinéa 13 du préambule de 1946), par voie d’exception d’inconstitutionnalité de la loi de 1951 (lorsque l’article 61-1 C sera applicable) en constituant une action collective contre leur université pour obtenir le remboursement des droits d’inscription.

Une action de groupe en contentieux administratif permettrait, peut-être, de développer ce type d’actions.

Cela dépendra des modalités qui seront définies par le groupe de travail du Conseil d’Etat.

Une nouvelle fois, on ne peut que regretter que, fidèle à sa tradition d’autogestion, le Conseil d’Etat ne développe sur de telles questions qu’une réflexion interne à la juridiction administrative. Il serait possible de solliciter des universitaires et des représentants d’associations pour réfléchir à l’introduction d’une telle évolution (révolution?) contentieuse dans les modes collectifs de contestation des décisions de l’administration.

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Demain, pour célébrer la “mort” officielle le 1er février 2009 de l’appellation “commissaire du gouvernement“, Combats pour les droits de l’homme consacrera un autre billet sur les réformes actuellement en préparation au Conseil d’Etat et qui auront des incidences importantes sur le contentieux administratif et en premier lieu celui des étrangers (possibilité de suppression par décret de l’intervention du rapporteur public dans certains contentieux, développement du juge unique, développement du recours administratif préalable obligatoire, transfert du contentieux des visas du Conseil d’Etat au TA de Nantes, calendrier prévisionnel d’instruction, etc. etc.).

A noter enfin que le contentieux du droit au logement décent et indépendant a suscité, pour le moment, moins de requêtes qu’on pouvait le craindre (855 en 2008 dont 243 au titre de la procédure nouvelle applicable depuis le 1er décembre 2008).

  • v. sur wikipédia Recours collectif ou action de groupe
  • v. par Dimitri Mc Houtcieff, La loi des séries, 1er février 2009 :

 ”L’on voit par-là qu’ici comme ailleurs, le publiciste est en avance sur le privatiste”.


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