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François Cheng, Le dialogue

Publié le 01 février 2009 par Edgar @edgarpoe
François Cheng, Le dialogue ...Violette violentée
Rouge-gorge égorgé...



"Le diamant du lexique français, pour moi, c'est le substantif "sens". Condensé en une monosyllabe - sensible donc à l'oreille d'un Chinois - qui évoque un surgissement, un avancement, ce mot polysémique cristallise en quelque sorte les trois niveaux essentiels de notre existence au sein de l'univers vivant : sensation, direction, signification."

Ayant découvert François Cheng par ce livre, je pense être bien tombé : son récit de la rencontre entre un chinois - lui-même - et la langue française, qui peut être étendu à un dialogue entre deux langues/civilisations, est marquant.

Moi qui ai, depuis longtemps, des velléités d'apprendre sérieusement une troisième langue (par ordre de préférence : japonais, italien, allemand, chinois...), la lecture de ce petit ouvrage fait remonter la cote du chinois (le plus probable est que le temps me manque et qu'entretenir mon anglais suffise déjà à m'occuper pour longtemps).

Ces considérations personnelles mises à part, François Cheng réussit à être convaincant sur deux points importants dans les débats sur le dialogue entre civilisations, qui sont souvent opposés.

D'une part, il évoque clairement les différences culturelles - métaphysiques - entre la pensée et la langue chinoises et la pensée occidentale.

"A partir d'une logique duelle - séparation du sujet et de l'objet, et principe du tiers exclu, le penseur occidental, dès les Grecs, a dégagé l'être humain du reste du monde vivant, ce qui lui a permis d'opérer des observations et des analyses systématiques. Plus tard, à l'intérieur même des êtres humains, on a isolé cette entité indépendante qu'est le sujet pensant. Plus tard encore, on a cherché à établir des règles de droit afin de protéger le statut du sujet en question."

Evoquant la Chine, en sens inverse : "La plupart des intellectuels modernes sont conscients de cette lacune. Ils parlent du "déficit du côté du Deux", le Deux désignant le Sujet en face de l'Objet, ou le Sujet en face d'un autre Sujet. En revanche, aucun chinois, apparemment, n'est prêt à renoncer à un élément essentiel qui vient du fond de la pensée chinoise, qu'il devienne bouddhiste, musulman, marxiste ou chrétien. Cet élément est ce qu'il convient d'appeler le Trois. Nous avons pu montrer que, selon cette pensée, une vue cosmologique et globale s'appuie sur l'idée du souffle et que le fonctionnement de ce Souffle est ternaire [...] Le Vide-médian est proprement le Trois, que les confucéens traduisent par l'idée du Milieu juste -, qui, né du Deux, permet au Deux de se dépasser."

Malgré cette conscience vive des différences fondamentales entre cultures, il est cependant convaincu de la possibilité d'un enrichissement mutuel. Pas de barrière irréductible selon lui entre les différents mondes culturels :

"...autant j'adhère pleinement à l'idée que toute personne est singulière, intrinsèquement unique, dans la mesure où demeure en elle le mystère de l'être, autant je suis enclin à mettre un bémol à la thèse de l'irréductibilité d'une culture, laquelle n'est en réalité que le produit collectif d'un grand groupe de personnes vivant ensemble et qui mettent justement en valeur leur part "partageable".

D'où un optimisme foncier et bienvenu sur la possibilité d'un apport mutuel entre civilisations. Ainsi du sujet occidental, qui peut tirer profit du Trois chinois :

"...le Sujet en question, qu'il a érigé en statut autonome, aboutissant à l'individualisme à outrance, superbe assurément - tel qu'il apparaît en tout cas dans son miroir narcissique -, se montre parfois singulièrement fragile, non lié qu'il est à l'être de l'univers créé, coupé pour ainsi dire de l'originelle racine. Cet individu, dont les sciences dites humaines ont fouillé de fond en comble la conscience, les désirs, les complexes toujours plus complexes à force de tourner sur soi, est en réalité un déraciné, un solitaire qui a le don de "réduire" le monde vivant en objet de conquête ou de décor. "Toujours en face s'était lamenté Rilke, jamais plus en connivence, en reliance !"

D'où, ensuite et enfin, une invite au dialogue qui est le point d'orgue de cet ouvrage : "lorsque les interlocuteurs en présence se proposent de rechercher ensemble le vrai et le beau, selon l'exigence de la Vie, seul critère de valeur, le Trois qui naît d'eux, drainant la meilleure part de chacun d'eux, est la seule transcendance devant laquelle ils s'inclineront volontairement. Le vrai Trois - ni terrain neutre, ni coup de vent qui passe, encore moins compromis qui n'est qu'un sous-Deux - ne peut être là que si le vrai Deux est ; mais une fois là, il est l'authentique Voie qui tend vers l'Ouvert et l'Infini."

Voilà. Je n'ai pas fait grand chose à propos de ce livre que d'agencer quelques citations, preuve qu'il se suffit à lui-même, qu'il est extrêmement riche et intéressant ; et qu'il l'est d'autant plus que je ne me suis concentré que sur l'un des thèmes discutés, à la frontière de la politique et de la philosophie, alors que François Cheng, poète et écrivain, traite aussi de façon passionnante de littérature et de poésie.

Un exemple ? "je sais gré à Mallarmé d'avoir, dans le poème "A l'accablante nue..." si magistralement combiné le double sens du mot "nue". Faire fusionner le corps féminin et la nuée, les plaçant ainsi dans l'infini de la métamorphose, a de quoi toucher un esprit chinois, puisque de tout temps "nue" et "nuée" sont associés aussi dans la tradition poétique chinoise. On y use de l'expression "nuage pluie" pour désigner l'acte charnel."

Un livre à acheter et à offrir sans hésiter.





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LES COMMENTAIRES (1)

Par tuy
posté le 21 août à 20:56
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Y a t il un francais naturalisé chinois elu a l'Academie chinoise ?

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