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Publié le 31 janvier 2009 par Boustoune


A la vision de Los bastardos, on ne peut s’empêcher de le comparer aux films du cinéaste autrichien Michael Haneke. On y trouve le même type de construction, avec beaucoup de plans fixes, ou de somptueux plans-séquences, de scènes étirées jusqu’au malaise, chargées d’une tension presque palpable alors qu’il ne se passe quasiment rien à l’écran, et quelques éclairs de violence destinés à scotcher le spectateur au fauteuil, à le secouer, à le faire réfléchir sur ce qui lui est donné à voir.
Le film d’Amat Escalante commence comme une chronique réaliste de la vie de deux mexicains, immigrés clandestins aux Etats-Unis. On les voit assis à un arrêt de bus, en compagnie de plusieurs de leurs semblables, attendant que quelqu’un s’arrête pour leur proposer un boulot au noir. La plupart du temps, on leur propose de travailler sur des chantiers, à réaliser des tâches pénibles sans la moindre protection élémentaire, sans la moindre assurance ou couverture sociale et toujours pour des salaires de misère et aucune considération ni de la part de leurs employeurs, ni de celle des habitants de la région.
Un jour, ils dégottent un travail bien mieux rémunéré, mais très différent. Leur nouvel outil de travail est un fusil à canon scié : ils doivent commettre un meurtre…
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Tout bascule alors dans une sorte d’huis-clos anxiogène : les deux hommes pénètrent dans une luxueuse villa de Los Angeles et tombent nez à nez avec leur cible, une femme fatiguée, plaquée par son mari et ignorée par son fils, un ado lobotomisé par les jeux vidéo et par internet. Une étrange relation s’installe entre les trois personnages. Les clandestins imposent tout d’abord leur présence, ils bousculent la femme, la forcent à leur préparer à manger, puis semblent ne pas rester insensibles à ses suppliques. On se demande s’ils vont passer à l’acte, ou s’ils vont épargner sa vie.
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Tout fait penser au cinéma d’Haneke. L’ado un peu autiste rappelle celui de Benny’s video. La scène de la piscine fait écho aux baignades de Juliette Binoche dans Code inconnu, qui lui aussi aborde le thème de l’immigration clandestine. Et surtout, comme dans Funny Games, la tension emplit peu à peu l’espace et ne demande qu’à éclater. Et là aussi, l’écran de télévision tient une place importante dans le dispositif. Enfin, comme Haneke, le cinéaste cherche à interpeller le spectateur sur le sens des images qu’il propose. Il explicite sa démarche : « Nous devons prendre soin de notre société et nous décoller de nos canapés pour nous confronter à la dure réalité de notre monde. Faute de quoi nous vivrons et mourrons à l'image de ce que nous avons été amené à considérer comme une normalité à travers nos écrans de télévision : un monde où règne une violence dictée par la peur, la cupidité et la misère et où une minorité d'entre nous se partage les meilleures choses de la vie. ».
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Cependant, laisser penser que Los Bastardos n’est qu’une pâle imitation de Funny Games est injuste et inexact. Amat Escalante propose une œuvre sensiblement différente, tout aussi traumatisante, mais dénuée de l’ironie grinçante employée par Haneke. Son film repose avant tout sur le principe de la confrontation. Sur la forme, déjà. La première partie, où les deux mexicains triment sous une chaleur écrasante, un soleil de plomb, s’oppose à la seconde, entièrement nocturne, où les rapports de force s’inversent. Car c’est bien de cela dont il est question ici, du choc entre deux mondes, celui des plus défavorisés, des exploités, et celui des nantis, des exploiteurs. Et, dans les deux cas s’impose le constat d’une déshumanisation progressive de la société mondialisée et ultralibérale, pourrie par l’argent. Les plus pauvres acceptent d’abandonner tout principe moral pour gagner les quelques billets qui assureront leur survie, et deviennent aussi immondes que les types qui les exploitent dès qu’ils ont un peu de pouvoir, ici symbolisé par le fusil. Les plus riches, eux, crèvent d’opulence et d’ennui, abrutis par des addictions en tout genre – le crack pour la femme, les paradis virtuels pour son fils – et enfermés dans des bulles – les villas proprettes des banlieues américaines – où ils restent étrangers à la détresse du reste du monde.
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Par ailleurs, la mise en scène fait autant penser, voire plus, à Carlos Reygadas - dont Escalante a été l’assistant sur Bataille dans le ciel - qu’à Haneke. Et on n’est guère surpris de voir apparaître au générique le nom d’Ayhan Ergürsel, le monteur attitré de Nuri Bilge Ceylan. Autant dire que la réalisation est soignée, mais privilégie un rythme lancinant. Il est donc fort probable que, sur le contenu comme sur la forme, le film ne fera pas l’unanimité. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que Los bastardos ne laissera pas indifférent et que sa scène-clé hantera longtemps les mémoires de cinéphiles. Autre certitude : après Sangre, Amat Escalante confirme un véritable talent. Il ne lui reste plus qu’à s’affranchir du poids de ses glorieux aînés et à imposer un peu plus sa propre patte.
Note : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
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Tags : Los Bastardos, Amat Escalante, clandestins, société décadente, violence, meurtre, scène-choc

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