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Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Publié le 03 janvier 2009 par Kelin

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).  

Du quatorze juillet au quinze août, professionnellement, la France roupille à tel point que je pourrais fermer les bureaux de Onesource Agency : peu nombreux sont mes clients qui, depuis l’hexagone, s’en rendraient compte.


Par contre, dès que les Gaulois rentrent de leurs congés payés, bronzés et plein d’énergie, l’activité connaît un pic jusqu’à la veille des fêtes.


Ainsi, entre la mi-octobre et la mi-novembre, j’ai du me rendre deux fois à Hong Kong pour une petite semaine de boulot.


La deuxième fois, Cai Li m’a accompagné, et nous en avons profité pour passer un week-end à Macao, où aucun d’entre nous n’était jamais allé, et qui ne se trouve qu’à une soixantaine de kilomètres de Hong Kong, léchant le continent chinois.

Vendredi 7 novembre 2008 :


Etant ressortissant français, je n’ai pas besoin de visa pour Macao ou Hong Kong si je m’y rends pour un court séjour. La situation est toute autre pour Cai Li, même si Hong Kong et Macao ont respectivement été rétrocédés à la Chine en 1997 et 1999, et que Cai Li est chinoise. Aussi aberrant que ça paraisse, il lui faut demander une sorte de petit passeport auprès de sa ville de naissance, qui ne fonctionne que pour les deux destinations précitées, et obtenir deux visas auprès de la même administration.


Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Par ailleurs, elle ne peut utiliser ces visas que dans le cadre de voyages organisés, auprès d’une agence de voyages enregistrée, qui lui remet un document à présenter à la frontière. Le contrôle des mouvements de population n’est pas nouveau en Chine, et même si il s’est très sérieusement adouci depuis que le pays s’enrichit, il subsiste néanmoins, en bon héritage du communisme, de telles procédures qui, vues depuis une Europe dont on a fait tomber les frontières, procurent un sentiment d’injustice. Hong Kong comme Macao font partie intégrante de son pays, et pourtant Cai Li doit disposer d’une autorisation de son gouvernement pour pouvoir les visiter.

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Tout cela pour dire que plutôt que de prendre un vol direct depuis Shanghai pour Macao, il nous a fallu atterrir à Zhuhai, la ville continentale et concomitante à l’ancienne colonie portugaise, puis prendre un taxi jusqu’à la frontière, s’arrêter à une agence de voyages pour obtenir le formulaire mentionné, passer l’immigration chinoise continentale, puis chinoise de Macao, pour prendre un taxi de l’autre côté, et rejoindre notre hôtel dans le centre-ville. Au lieu de deux heures et demie de vol, nous avons passé sept heures dans les transports. Et arrivés à Zhuhai, alors que la course n’était pas terminée, la température affichait les trente degrés dépassés, alors qu’à Suzhou, elle peinait à atteindre dix degrés de moins



Mais une fois dans le taxi, tout changea : étant à Macao pour la première fois de notre existence, nous avons oublié tout le tracas paperassier subi, pour découvrir, naïfs et contemplatifs, cet environnement neuf, à travers les fenêtres de la Toyota que conduisait le chauffeur de taxi.

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).
Tout d’abord, comme à Hong Kong, à Macao, les voitures roulent à gauche. Et la comparaison ne s’arrête pas là. Macao, de premier abord, c’est un peu un petit Hong Kong. Mais alors tout petit. Où Hong Kong s’étend sur plus de mille kilomètres carrés, Macao ne cumule qu’une surface de seize kilomètres carrés : c’est presque soixante-dix fois plus petit ! La plupart des bâtiments, en dehors de ceux d’inspiration portugaise, ont une architecture tout à fait similaire à ceux de l’ancien protectorat britannique, jusqu’aux couleurs ou aux formes des fenêtres et des balcons. Par contre, où, sur les rives de l’île hongkongaise, miroitent de somptueuses tours de verre illuminées de néons futuristes et colorés, Macao ne compte que des immeubles traditionnels peu élevés. D’ailleurs, d’où que l’on soit en centre-ville, deux bâtiments sont facilement repérables de part leur hauteur : Sky Tower en bord de baie, et le Grand Lisboa, un hôtel de luxe rococo et tape-à-l’œil qui accueille le plus célèbre casino de la péninsule.


Il est bientôt dix-sept heures, et nous descendons à proximité de notre hôtel, sur l’Avenida de Almeida Ribeiro, après seulement un quart d’heure de trajet depuis la frontière. Pourtant, l’hôtel est en plein centre-ville. Le taxi connaissait l’endroit, ce qui laissait présager de sa notoriété. Même si les macanais parlent cantonnais et un peu portugais, Cai li n’aura aucune difficulté à se faire comprendre en mandarin auprès du chauffeur. Mais son accent la fera sourire. Et si elle sourit, c’est bon signe : c’est que les vacances ont déjà commencé.


Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Nous payons la course en patacas, la monnaie locale, et récupérons notre valise dans le coffre. J’avais pris soin de faire un peu de change au poste frontière. Même si les dollars hongkongais sont couramment acceptés à Macao, ils le sont à un taux de change défavorable.

 


L’Avenida de Almeida Ribeiro, malgré son trafic continu qui l’affilie immédiatement à une artère d’importance, reste étroite, et bordée de très jolis bâtiments à l’architecture portugaise. Notre hôtel, affublé d’une façade bleu pastel, trône sur un côté du trottoir : c’est l’immeuble le plus large et le plus massif.


Dès que nous pénétrons la réception, Cai Li et moi-même sommes effrayés par la vétusté de l’endroit. De vieilles banquettes en cuir élimées font face au comptoir qui aurait besoin d’être repeint, et les murs sont imprégnés de noirâtres traces d’humidité. Cai Li me demande si je ne préfère pas voir la chambre avant de payer. Nous avons quitté Suzhou à l’aurore, avons pris un avion, cumulé trois heures de route en taxi, passé deux postes frontière, et le thermomètre culmine au-delà des trente degrés : je m’accommoderais d’un confort rustique, pour peu que je puisse prendre une douche et que les draps soient propres. Nous payons les trois nuits d’avance, mais comme je n’ai pas suffisamment de liquidités en patacas, j’irais dans un petit bureau de change adjacent. J’ai souris de cette similitude supplémentaire avec Hong Kong : dans l’ancien archipel anglais, on trouve aussi ce type d’établissement à chaque coin de rue.


 

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

De retour à la réception, nous attendons l’ascenseur qui doit nous déposer à l’étage où se trouve notre chambre. Alors que je fais face à la porte de l’ascenseur, dès que celle-ci s’ouvre, un macanais tente de me passer devant sans ménagement, quitte à me renverser. Je l’arrête avec le bras, et lui intime en mandarin, pour peu qu’il comprenne, d’attendre son tour. La rustrerie resquilleuse des chinois ne cesse de m’ébahir. Et même après bientôt six ans d’expatriation, je n’arrive toujours pas à m’y faire. Au contraire, cette goujaterie grandiose me met dans des états de nerfs qui frisent parfois la colère, et c’est avec agacement que je réaliserais que les macanais sont équipés de la même impolitesse chronique que les continentaux. Comparativement, les habitants de Hong Kong font preuve d’éducation. Je suis le premier de la file, à vingt centimètres de l’ascenseur, j’en bouche l’accès, et malgré tout, ce type dans les starting blocks derrière moi est prêt à me faire choir pour rentrer le premier, alors que la boite est bien assez profonde pour nous loger tous.

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Au comptoir, quand nous étions sur le point de payer d’avance nos trois nuits, la réceptionniste nous avait demandé si nous souhaitions une chambre avec ou sans fenêtre. Un peu dubitative, Cai Li avait répondu « avec ». En ouvrant la porte, nous rentrons dans une chambre spacieuse, atteignant peut-être trente mètres carrés. Son confort se limitait à sa surface : la fenêtre mentionnée devait faire vingt centimètres par trente. C’était tout au plus une lucarne, lacérée de barreaux carcéraux, au pied de laquelle ronflait un climatiseur millésimé. Nous nous sommes regardés,  nous demandant un instant si nous ne ferions pas mieux de trouver un hôtel au standard un chouia moins précaire : il ne manquait plus que des lits de camp dans le couloir pour faire passer l’établissement pour un camp de réfugiés. Cai Li s’est précipitée pour ouvrir la lucarne : tout comme moi, elle ne supportait pas la puanteur humide de la pièce qui frétillait, acide, à nos narines.


Ouvrant la valise après avoir quitté mes chaussures, j’en plaisanterais auprès de Cai Li. L’hôtel est si minable que nous y passerons le moins de temps possible. Ce qui veut dire qu’en dehors des incompressibles heures de sommeil, tout le reste de notre week-end sera dévolu à la découverte de Macao.

Après une douche rapide, nous flânons dans le quartier pour y trouver un restaurant. J’insisterais pour que nous mangions portugais : Cai Li ne connaissait pas, le manque de gastronomie occidentale est lattent pour moi, et par ailleurs, ce que nous n’avions pas investi dans un hôtel normal, nous pouvions le dépenser à table. Cai Li sourira en acquiesçant.

 

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).


A quelques dizaines de mètres de l’hôtel, nous atteignons une place splendide et piétonne, au talus de mosaïque beige et noir vaguelée, et entourée de bâtiments portugais. Cette place, c’est Largo do Senado, la Place du Sénat, au cœur du centre ville, et à proximité de la plupart des principaux monuments à visiter. Ce qui surprend agréablement, c’est de voir à quel point l’endroit est aéré, malgré l’exiguïté du territoire. Alors que la nuit est tombée, les macanais y circulent pour faire du shopping, où s’y réunissent, s’asseyant sur les bancs ou les terre pleins au pied des arbres, pour discuter en devisant l’effervescence citadine. Nous avançons au travers des arcades, au pied des édifices coloniaux magnifiquement éclairés, et remontons la place. Au bout, avant d’emprunter une ruelle composée de restaurants, nous passerons devant Sao Domingo, une des plus vieilles églises de la ville.

Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

En haut de la petite ruelle, assis sur le rebord d’une fontaine de carrelage blanc et bleu, un occidental nous haranguera en anglais : il est portugais, vit depuis trois ans à Macao, et a ouvert un restaurant contigu à la fontaine. Nous échangeons quelques banalités sur l’expatriation, et préférons descendre la ruelle avant de prendre une décision quant à la table à privilégier. Nous dépassons des restaurants chinois, japonais, portugais, et même un restaurant français à la carte alléchante, mais aux tarifs colossaux. Finalement, nous retournons à la fontaine, où le restaurateur portugais nous assurera que son établissement propose la cuisine la plus authentique de la péninsule, et acceptons de le suivre.


Cai Li prendra un poulet rôti épicé, et malgré le fait qu’on lui aura servi la volaille entière, elle laissera une assiette vide : ce plat typique était un régal. Nous prendrons le temps d’en profiter longuement, avant de repartir à la découverte de Macao de nuit. Si d‘aventure, vous passez à Macao, prenez cette petite ruelle au nord est de Largo do Senado. Ce restaurant discret s’appelle « Boa Mesa » et mérite sa traduction : « la bonne table ».


Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Macao s’enorgueillit de ses casinos. Aussi nous était-il impossible d’envisager d’y séjourner sans faire rouler des dés sur un tapis vert. Comme depuis le centre-ville, du fait de sa hauteur, on distingue de n’importe où le Grand Lisboa, hôtel réputé et jouxté par le Casino Lisboa, nous flânerons jusqu’à celui-ci. L’entrée de l’hôtel, avec ses piliers et son préau d’un baroque excessif explosant de dorures au kitch incontestable, étonne autant qu’elle dégoûte. De l’autre côté de la rue, les néons du casino attirent les clients. Je ne suis pas du tout joueur, ne vois pas l’intérêt ou l’adrénaline inhérente à la démarche, ne crois que dans le travail pour faire de l’argent, et n’ai du passer dans un casino qu’une fois dans ma vie : ce devait être il y a une quinzaine d’années, à La Baule, et je m’étais limité au bar. Une asiatique somptueuse et liane aux appâts pamplemoussiens s’y produisait, reprenant de sa voix suave des vieux standards de jazz : fatalement, j’avais préféré la compagnie de la beauté mandchoue à celle des bandits manchots.
En conséquence, en rentrant dans le Casino Lisboa, je ne savais pas à quoi m’attendre : ma référence en terme de casinos se limitait à James Bond. Passé le portique de sécurité, j’ai ressenti un malaise en me baladant avec Cai Li de table en table. Le luxe de la décoration est tape-à-l’œil, et invite à la nausée plutôt qu’à l’élégance. Chaque table compte trois croupiers, et dès lors que l’on s’arrête pour jeter un œil candide aux parties en cours, les employés nous dévisagent, comme pour deviner si nous étions des tricheurs professionnels. C’était d’autant plus oppressant que, très sincèrement, je ne vois pas en quoi notre attitude, d’une innocence exceptionnelle dans ce cadre inédit, pouvait susciter le moindre soupçon. Comme Cai Li et moi-même ne connaissons rien aux règles du moindre jeu, nous n’avons fait que nous promener. J’ai voulu m’intéresser aux machines à sous, mais toutes sont dorénavant électroniques, avec des pupitres qui confèrent au tableau de bord d’un airbus, et j’ai abandonné l’idée. Et puis, moi, connement, je croyais que dans les casinos, il y avait une atmosphère festive. Mais j’ai du trop regarder « Ocean Eleven ». En fait, l’ambiance est quasi funèbre : les joueurs sont très concentrés sur leur partie, et une sorte de tension nerveuse, constante et malsaine dans l’air, envahit toutes les tables occupées. Nous avons fais un tour rapide, et sommes ressortis une demi heure plus tard, pour nous perdre dans les rues environnantes avant de retrouver le chemin de l’hôtel.
Enfer du jeu : carnet de voyage à Macao (première partie).

Clé en main, face à notre chambre, nous sommes pris d’une inquiétude : alors que nous avions pris bien soin de fermer correctement la porte, celle-ci est entrebâillée. Je me précipite à l’intérieur : a priori, rien n’a disparu ni changé de place. J’ouvre le placard où j’avais cintré mes costumes pour notre périple professionnel et consécutif à Hong Kong, et là aussi, rien n’a bougé. Par sécurité, et surtout par anxiété naturelle, quel que soit le standing de l’hôtel où je séjourne, j’emporte toujours avec moi tout ce qui a de la valeur : passeport, argent, appareil photo ou caméra DV, ne laissant dans la chambre que les vêtements. Et bien évidemment, j’avais conseillé à Cai Li de faire de même. Après avoir ouvert la valise, et rassurés, nous vérifierons que la porte ferme correctement à clé, et nous endormirons rapidement.

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