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Razzia mondiale sur les terres cultivables

Publié le 03 février 2009 par Fouchardphotographe @fouchardphoto
Pratique ancienne, la culture de terres agricoles à l'étranger, notamment dans les pays pauvres, est en forte hausse et pose des problèmes politiques et éthiques C'est l'arbre qui cache la forêt. Ou plutôt, puisque nous sommes à Madagascar, le baobab qui masque la savane. En novembre dernier en effet, on apprenait par le Financial Times que Daewoo Logistics, une filiale agricole du groupe industriel sud-coréen, avait conclu en juillet un accord avec l'État malgache, afin de louer la moitié de sa surface arable, un territoire agraire grand comme la moitié de la Belgique, pour produire des denrées agricoles destinées à approvisionner le marché... sud-coréen (1) ! Un contrat gigantesque portant sur 1,3 million d'hectares qui, dans le cadre d'un bail emphytéotique de quatre-vingt-dix-neuf ans, seraient plantés en maïs dans l'ouest de l'île et avec des palmiers à huile dans le nord-est. En guise de loyer, Daewoo investirait 4,8 milliards d'euros sur vingt-cinq ans pour la mise en valeur des terres, l'installation des infrastructures et l'achat des semences importées d'Indonésie et du Costa Rica pour les palmiers, et des États-Unis pour le maïs. Récolte annuelle attendue : quatre millions de tonnes de maïs et 500 000 tonnes d'huile de palme. Locale, la main-d'œuvre serait encadrée par des ingénieurs agricoles sud-africains et sud-coréens. Toutefois, la semaine dernière on apprenait de la bouche même du premier ministre malgache que rien n'était encore signé. Pour autant qu'elle puisse paraître choquante, notamment en pleine crise alimentaire, cette opération ne serait pas isolée. Dès octobre, l'ONG Grain émettait un rapport d'une dizaine de pages sur ce sujet qu'elle titrait Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière (2). De plus, ce type d'exploitation des terres agricoles ne date pas d'hier. Sans remonter jusqu'aux colons européens du XVIIe siècle, souvenons-nous que de grandes entreprises familiales ou multinationales comme le français Michelin ou les américains Chiquita Brands et Dole louent ou possèdent, plus ou moins partiellement, des terres agricoles cultivées à des fins alimentaires ou non alimentaires. Mais quelles sont donc leurs motivations ? Par exemple, Michelin possède 20 % de la Société internationale de plantations d'hévéas (SIPH) qui, depuis les années 1970, exploite 30 000 hectares d'hévéas au Brésil, au Nigeria, au Ghana et en Côte d'Ivoire pour produire du caoutchouc naturel. Aujourd'hui, les principaux pays « accapareurs » sont les États pétroliers du Golfe, les pays émergents (Chine, Inde, Corée du Sud) et le Japon. Mais quelles sont donc leurs motivations ? Selon l'ONG Grain, la grande majorité de ces transactions s'inscrit dans une démarche de sécurité alimentaire. « Du fait de l'explosion des prix alimentaires, de plus en plus de pays investissent pour assurer leur sécurité alimentaire », explique Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Certaines opérations se font d'État à État, d'autres de consortium État-privé à État, et enfin de privé à privé. Certaines sont des locations, des concessions avec des baux à long terme (vingt, trente, cinquante, voire quatre-vingt-dix-neuf ans), d'autres des achats purs et simples. L'immense majorité vise à produire des denrées alimentaires ou des produits agricoles (agrocarburants) destinés uniquement au marché du pays exploitant, rares étant ceux qui prévoient de fournir le marché local, de former des techniciens ou d'y faire de la recherche. Quand cela est prévu, le cynisme est parfois de règle. Ainsi, dans le cadre d'un investissement du Groupe Ben Laden (Arabie saoudite) pour exploiter 500 000 hectares de riz basmati en Indonésie, le Djakarta Post rapporte que le groupe industriel réservera une partie du riz pour le marché local « de façon que les gens là-bas ne causent pas de problèmes ». De plus, certains contrats visent à produire des céréales ou des légumineuses, non pour nourrir les hommes, mais pour alimenter des animaux élevés dans les pays « accapareurs ». Plus de problèmes politiques et éthiques que techniques L'exploitation de ces terres pose donc plus de problèmes politiques et éthiques que techniques. Ainsi, au Mozambique, où la Constitution interdit de céder des terres à des étrangers, la Chine, qui s'appuiera sur 10 000 ouvriers agricoles, va conclure un partenariat avec une société mozambicaine « dormante ». Aux Philippines, face à la résistance de la population locale, l'industrie nationale chinoise qui devait louer 1,24 million d'hectares, a « suspendu » les accords signés, mais s'efforce de poursuivre ses objectifs via des entreprises locales. Au Soudan, pays très pauvre, partiellement affamé et en guerre, un consortium jordanien s'apprête à exploiter des terres pour nourrir des... Jordaniens. Quant à l'Égypte, elle devrait louer 840 000 hectares de l'Ouganda pour y cultiver blé, maïs et élever du bœuf biologique ! Par ailleurs, toujours selon Grain, il y a des transactions qui se font dans le cadre d'une stratégie purement commerciale et même spéculative du fait de l'exigence des fonds de pension. Par exemple, la société suédoise Alpcot Agro envisage de cultiver 200 000 hectares de blé, orge, seigle et sarrasin en Russie et en Ukraine ; la société anglaise Lonrho cherche à acquérir 20 000 hectares de terres agricoles en Angola. À côté de cela, on relève également la présence de fonds éthiques, ce qui illustre combien cette question des locations de terres est complexe. Manque-t-on de surfaces agricoles ? Ainsi, par exemple, « cru Investment » (Royaume-Uni) facilite les investissements privés dans l'agriculture africaine pour des rendements garantis de 30-40 %, et contrôle déjà 2 500 hectares de piments, manioc et maïs au Malawi, produits alimentaires qui sont exportés au... Royaume-Uni. Enfin, la Banque mondiale elle-même investit pour mettre en production des terres « sous-utilisées » en Russie et Ukraine, Afrique et Amérique latine ! S'agit-il de terres insuffisamment valorisées, ou bien manque-t-on de surfaces agricoles ? À Madagascar, seuls deux millions d'hectares sur 35 millions sont réellement cultivés, selon les experts. Idem en Angola, où on estime que seules 10 % des terres arables sont effectivement exploitées. « Dans le monde entier, grâce aux satellites d'observation de la Terre, on sait qu'il existe autant de terres cultivables que celles déjà cultivées », confirme Marcel Mazoyer, professeur honoraire d'agriculture comparée à AgroParisTech. « La question de l'insuffisance de la production agricole alimentaire au niveau mondial est donc remédiable, poursuit-il, à condition que les États, les fonds de pensions et les industriels riches ne se jettent pas sur les terres des pays pauvres, notamment les plus fertiles. C'est du colonialisme agraire. » Peut-on empêcher cet accaparement des terres ? « Juridiquement, non. Depuis que la Banque mondiale a déclaré dans les années 1990 le principe d'universalité des terres, tout le monde peut légalement les acheter, observe Christian Bouquet, spécialiste en géopolitique (CNRS-université de Bordeaux). Quelques pays comme le Mexique ont promulgué des lois visant à limiter cette nouvelle forme de “délocalisation” afin de conserver leur souveraineté alimentaire. Mais les groupes multinationaux les respectent plus ou moins... » Tout dépendra donc de la façon dont les contrats seront appliqués. Et de la manière dont l'intérêt des petits paysans sera pris en compte. (1) L'affaire Daewoo, qui met en cause le président Ravalomanana, est une des causes des émeutes actuelles. (2) www.grain.org Denis SERGENT - www.la-croix.com - Photo Philippe FOUCHARD

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