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A deux, Ché mieux…

Publié le 05 février 2009 par Boustoune


En voyant Guérilla, le second volet du diptyque de Steven Soderbergh consacré à Ernesto « Che » Guevara, la construction élaborée par le cinéaste prend tout son sens. Ses deux films sont jumeaux. Ils se complètent et s’opposent à la fois, bâtis sur exactement le même schéma narratif : une lente mise en place montrant des scènes de la vie quotidienne dans les camps de guérilleros, de longues marches en pleine forêt, où les caractères se forgent ou se délitent, puis des scènes de combats intenses. Seule différence, mais de taille : L’argentin était le récit d’une victoire des révolutionnaires emmenés par le Che, Guérilla, celui d’une cruelle défaite…
A deux, Ché mieux…
Peu d’informations sont données au spectateur sur le parcours de Guevara après la victoire des communistes cubains. On comprend, par petites touches, au fil du récit, qu’il a été responsable des exécutions des anciens partisans de Batista (l’une des zones d’ombre du personnage, soigneusement éludée par Soderbergh), qu’il s’est remarié avec Aleida March, l’une de ses sœurs d’armes cubaines, jouée par Catalina Sandino Moreno, qu’il a été ministre de l’industrie… Puis qu’il a abandonné ces fonctions politiques qui n’étaient pas vraiment faites pour lui et est retourné à la lutte armée, dans d’autres parties du globe. Au Congo, où sa tentative d’aider les troupes communistes pro-Patrice Lumumba à récupérer le pouvoir est un échec, puis en Bolivie, où a lieu cette seconde partie. Guevara débarque incognito dans le pays, désireux d’étendre le modèle de la révolution cubaine au reste de l’Amérique du sud. L’idée reste la même. Créer de petits foyer de guérilla parmi les paysans, opprimés depuis que le coup d’état de René Barrientos a annulé tous les plans de réforme agraire, gagner peu à peu à la cause révolutionnaire le peuple, s’appuyer sur des réseaux urbains, sur l’aide du parti communiste bolivien et sur les peuples sud-américains amis. Mais très vite, on comprend que cela ne va pas être une partie de plaisir…
A deux, Ché mieux…
Comme dans la subtile partition musicale créée par Alberto Iglésias pour le film, des dissonances viennent perturber l’harmonie du groupe. Le parti communiste, par le biais de son émissaire Mario Monje, refuse de soutenir une lutte armée. Les guérilleros engagés sont inexpérimentés et surtout indisciplinés. Les lieutenants de Guevara eux-mêmes manquent de diplomatie et peinent à maintenir la cohésion des troupes. Quant à la population locale, elle reste assez méfiante vis-à-vis des doctrines communistes, trop mécréantes à leur goût. Le tout tourne rapidement au fiasco. Tania, l’agent de liaison du groupe en Argentine, désobéit au Che en revenant au camp pour y escorter deux civils, l’écrivain français Régis Debray et l’argentin Ciros Bustos. Des déserteurs se font arrêter par la police, qui, du coup, comprend ce qui se trame. Le campement est découvert, des vivres et des armes sont perdus dans l’opération.
Pire, des documents explicitant tous les projets des guérilleros sont livrés aux mains du clan adverse. Ceci va inciter l’armée bolivienne à demander de l’aide à son homologue américain, qui va envoyer des instructeurs spécialisés pour former soldats et policiers à affronter les rebelles. Une difficulté de plus pour la troupe du Che, mal équipée, désorganisée, et coupée du monde… La chute est alors inéluctable. Les rangs de l’armée de guérilleros n’augmentent pas, mais s’épuisent au contraire, au fur et à mesure que les blessés, privés de médicaments, meurent les uns après les autres. Finalement capturé par l’armée bolivienne, après plus de 300 jours de traque, Ernesto Guevara est exécuté avant que l’opinion internationale n’ait pu s’en mêler…
A deux, Ché mieux…
Dans Guérilla, Steven Soderbergh et Benicio Del Toro s’attachent à brouiller l’image qu’ils avaient pu donner du Commandante Guevara dans la première partie. Le leader charismatique des rebelles cubains, solide et intraitable, cède sa place à un homme fatigué, usé par la maladie, qui peine à maintenir l’ordre dans ses troupes, qui peine même à faire avancer un simple cheval en pleine jungle… Si le portrait du Che dressé dans L’Argentin avait l’air un peu trop idéalisé, trop admiratif et respectueux, celui proposé ici inspire plus la pitié et la compassion, et rappelle qu’Ernesto Guevara n’était pas un Dieu, juste un homme, faillible et mortel.
Cette façon de procéder permet de ré-humaniser un personnage devenu, au fil des années, un simple concept, un symbole, mais aussi de comprendre pourquoi le Che a acquis cette dimension iconique. Son parcours, animé de bout en bout par une force de conviction intacte, jalonné de succès légendaires et conclu par un véritable calvaire, a transformé Guevara en une figure messianique, quasi-christique.
A deux, Ché mieux…
Le rapprochement avec Jésus de Nazareth est loin d’être absurde. Si l’on met de côté les aspects mystiques et religieux associés au Christ, on trouve chez les deux personnalités des idées finalement assez proches, axées sur la lutte contre les injustices et inégalités d’un pouvoir oppressant, sur la solidarité, la fraternité. Et surtout, une même foi en l’Homme… L’un comme l’autre ont été des messagers porteurs de valeurs morales et des agitateurs de conscience, qui ont fait comprendre à leurs semblables la nécessité de se mobiliser, de s’unir et d’œuvrer ensemble pour un monde plus juste. Si leurs destins sont à ce point exemplaires, c’est que les deux hommes n’ont pas hésité à se sacrifier pour défendre leurs idéaux et se poser en modèles pour des millions d’individus. L’une des plus belles scènes de ce second opus est d’ailleurs celle où le Che, qui sait qu’il va bientôt mourir, tient tête au militaire venu le narguer. Quand le type lui assène «Vous avez perdu car les gens ne voulaient pas de vous et de votre révolution ! », il lui rétorque sereinement : « Notre échec va les réveiller ! ». L’histoire lui a donné raison : si son rêve de grande révolution armée en Amérique du Sud n’a jamais eu lieu, ses idées, elles, se sont peu à peu imposées par les urnes, avec les victoires des partis de gauche au Brésil, au Venezuela ou… en Bolivie… Et l’aura du Che n’a jamais faibli, le personnage restant, de génération en génération, et quelque soit les classes sociales, un inaltérable symbole de rébellion et d’anticonformisme…
A deux, Ché mieux…
Guérilla parvient donc à redonner toute sa valeur au travail de Soderbergh. Ce qui semblait n’être dans le premier volet qu’une œuvre impersonnelle étouffée par l’admiration que le cinéaste porte à son sujet préfigurait en fait une construction symétrique très rigoureuse et finalement assez audacieuse. Oui, il fallait oser ce schéma narratif, d’autant que, si le deuxième volet reprend exactement la forme du premier opus, il en conserve également tous les défauts : des longueurs, des redondances, et un sérieux problème de rythme. Guérilla est donc, comme l’Argentin, une œuvre passablement ennuyeuse. Mais, comme, au final, le tout est plus grand que la somme des parties, on peut beaucoup pardonner au réalisateur, culotté et inspiré.
Notes :
Che 1ère partie : l’Argentin : ÉtoileÉtoileÉtoile
Che 2ème partie : Guérilla : ÉtoileÉtoileÉtoile
Le diptyque : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
A deux, Ché mieux…


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