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Mona Lisa sourit

Publié le 08 février 2009 par Stéphan

Ce week-end fut hallucinant : j'ai fait la connaissance d'un ou d'une, je ne sais trop, ami(e) qui m'a fait voyager sur d'autres planètes (nous en reparlerons...).
A présent apaisé et en pleine "flottitude" j'admire La Joconde en écoutant Daniel Arasse.
Voici l'extrait sur le fameux et fascinant sourire :
" Et puis ce sourire, le fameux sourire.
C’est Léonard qui a inventé l’idée de faire un portrait avec un sourire. Il n’y a pas de portrait souriant avant La Joconde.
Alors pourquoi ce choix, pourquoi peindre un sourire ?
La Joconde sourit car son mari Francesco del Giocondo a commandé son portrait au plus grand peintre de son époque pour la remercier car elle lui a donné deux beaux enfants. Donc c’est un tableau de bonheur où une jeune femme de 22 - 23 ans est honorée par l’amour de son époux à travers ce portrait.
C’est l’explication anecdotique, historique.
Mais ce n’est pas cela qui fait que le sourire est fascinant.
La raison en est plus profonde. Ce sourire est ce qui lie la figure au paysage de l’arrière-plan. Ce paysage est d’ailleurs étrange puisqu'il est composé uniquement de rochers, de terre et d'eau. Il n'y a pas une seule construction humaine, pas un arbre. Il y a seulement dans ce paysage quasiment pré-humain un pont qui enjambe ce qui doit être une rivière, mais qu'on ne distingue pas.
Ce paysage est donc incohérent ; dans la partie droite pour le spectateur il y a des montagnes très hautes et en haut il y a un lac plat, comme un miroir qui donne une ligne d'horizon très élevée.
De l'autre coté, dans la partie gauche, au contraire, le paysage est beaucoup plus bas et il n'a aucun moyen de concevoir le passage.
Il y a un hiatus.
En fait, ce hiatus est recouvert, caché, transformé par la figure elle-même et plus précisément par le sourire de La Joconde. Sa bouche se relève très légèrement du coté où le paysage est le plus haut et donc la transition impossible entre les deux paysages se fait dans la figure par le sourire de la figure.
Il faut alors se rappeler que Léonard de Vinci était un grand admirateur des Métamorphoses d'Ovide, ouvrage dans lequel il développe le thème classique que la beauté est éphémère.
Et c'est ce même thème que le peintre traite ici mais avec une densité cosmologique extraordinaire.
La Joconde c'est la grâce, ce n’est pas seulement la beauté, c'est la grâce et plus précisément c'est la grâce d'un sourire. Mais un sourire c'est éphémère, cela ne dure qu'un instant. Et ce sourire, c’est alors le sourire de la grâce qui fait l’union du chaos du paysage qui est derrière : du chaos on passe à la grâce et de la grâce on repasse au chaos.
Il s'agit donc d'une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une méditation sur le temps qui passe. Montaigne le dit dans ses Essais : "J'ai plusieurs portraits de moi, combien suis-je différent aujourd'hui d'à cette heure."
On passe donc, avec ce sourire éphémère de La Joconde, du temps immémorial du chaos au temps fugitif et présent de la grâce, mais on reviendra à ce temps sans fin du chaos et de l’absence de forme.
Reste cette interrogation sur la présence du pont : c'est simplement le symbole du temps qui passe ; s'il y a pont, il y a une rivière, qui est le symbole banal par excellence du temps qui passe. C'est un indice donné au spectateur que l’étrangeté du rapport entre ce paysage chaotique et cette grâce souriante est le temps qui passe.
La Joconde condense, une méditation sur le portrait et le temps qui est fondamentale pour l'art du portrait occidental, et en même temps c'est certainement l'un des tableaux les plus personnels de Léonard, parce qu'il a peint pour lui le portrait de la femme fertile, l’épouse de Francesco del Giocondo. "

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