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Gide et Proust

Par Alain Bagnoud

André GideLe livre de Gabory , et particulièrement un morceau sur Proust (voir ici), m'a donné envie d'aller fouiller un peu dans le Journal de Gide. Entreprise instructive.
On se rend compte en lisant l'entrée du 14 mai 1921 (p. 691 dans la Pléiade) que Gabory a tout simplement pillé Gide (le passage sur Baudelaire) sans le dire, faisant passer une citation pour des propos personnels.
A moins, laissons-lui le bénéfice du doute, qu'il pensait que cet extrait du Journal était suffisamment connu pour que n'importe quel lecteur cultivé rende à César ce qui était à César.
En tout cas, voici le texte de Gide:

Passé avec Proust une heure de la soirée d'hier. Depuis quatre jours il envoie chaque soir une auto pour me prendre, mais qui chaque soir m'a manqué... Hier, comme précisément je lui avais dit que je ne pensais pas être libre, il s'apprêtait à sortir, ayant pris rendez-vous au dehors. Il dit ne s'être pas levé depuis longtemps. Bien que, dans la chambre où il me reçoit, l'on étouffe, il grelotte; il vient de quitter une autre pièce beaucoup plus chaude où il était en nage; il se plaint que sa vie ne soit plus qu'une lente agonie et bien que s'étant mis, dès mon arrivée, à me parler de l'uranisme, il s'interrompt pour me demander si je peux lui donner quelques clartés sur l'enseignement de l'Evangile, dont je ne sais qui lui a redit que je parlais particulièrement bien. Il espère y trouver quelque soutien et soulagement à ses maux, qu'il me peint longuement comme atroces. Il est gras, ou plutôt bouffi; il me rappelle un peu Jean Lorrain. Je lui apporte Corydon dont il me promet de ne parler à personne; et comme je lui dis quelques mots de mes Mémoires:
« Vous pouvez tout raconter, s'écrit-t-il; mais à condition de ne jamais dire: Je. » Ce qui ne fait pas mon affaire.
Loin de nier ou de cacher son uranisme, il l'expose, et je pourrais presque dire: s'en targue. Il dit n'avoir jamais aimé les femmes que spirituellement et n'avoir jamais connu l'amour qu'avec des hommes. Sa conversation, sans cette traversée d'incidentes, court sans suite. Il me dit la conviction où il est que Baudelaire était uraniste: « La manière dont il parle de Lesbos, et déjà le besoin d'en parler, suffiraient seuls à m'en convaincre », et comme je proteste:
- En tout cas, s'il était uraniste, c'était à son insu presque; et vous ne pouvez penser qu'il ait jamais pratiqué...
-Comment donc! S'écrie-t-il. Je suis convaincu du contraire; comment pouvez-vous douter qu'il pratiquât? lui, Baudelaire!
Et, dans le ton de sa voix, il semble qu'en en doutant je fasse injure à Baudelaire. Mais je veux bien croire qu'il a raison; et que les uranistes sont encore un peu plus nombreux que je ne le croyais d'abord. En tout cas je ne supposais pas que Proust le fût aussi exclusivement.


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