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Voyage en Gaspésie : jour 3

Publié le 15 février 2009 par Lemoutondissident

Un panneau indique Sainte-Flavie : nous pénétrons enfin en Gaspésie. Les monts Chic-Choc entrent dans le pare-brise, se bousculent lentement comme des vieillards à la file indienne.

Le long de la route côtière des pensées me dépassent : j’ai le sentiment de quitter un travail qui m’a intéressé, en ayant à peine esquissé les contours d’un métier qui m’a fasciné. Mike m’avait proposé de le suivre, de partir en mer six mois de l’année, sinon sur la banquise. Un métier de chercheur-cueilleur, difficile, loin de beaucoup de choses qui ont construit ma vie. Parce que tout aurait été plus compliqué, j’ai refusé, avec beaucoup de regrets. Je persiste à croire que ce n’est que passager, qu’après mon retour en France d’autres idées et d’autres joies prendront le relais. Le goût longtemps enfoui des images, des couleurs, des mots pour les décrire et les expliquer, me revient. J’ai longtemps voulu être journaliste. Journaliste au long cours, à la Albert Londres. Un crevard comme Blaise Cendrars. Un fou joyeux comme Hemingway. Je me dis qu’écrire sur la beauté du monde n’a pas de fin ; il y aura toujours un oubli, un cloisonnement dans l’esprit de la civilisation, qui nécessitera des images à construire patiemment. Je sais de quoi je parle : il n’y a pas de pire cloisonnement qu’en sciences, où il grandit sans cesse. Mais il faut du courage, de la patience. De la folie. En attendant, je me suis fait reporter au National Geographic ; quant à Marie qui piaffe devant les routes du Parc de la Gaspésie, j’aimerais tant qu’elle joue le rôle de ma photographe.

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Nous y voilà. Les interminables lacets du Parc, des rubans perclus de trous poussiéreux, des peaux parcheminées et pierreuses, viennent de repeindre notre bolide en brun mouillé. C’est qu’il s’est mis à pleuvoir par intervalles. Dieu, ce chafouin, souffrira toute la journée d’un problème de prostate. Mais merveille de la médecine, il nous accordera quand même des reflets de soleil dans l’eau changeante du Lac Cascapédia, puis d’un étang encerclé de sommets, seuls au monde.

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Nous y voilà et nous guettons. De beaux lacs silencieux nous entourent, où se baignent d’immenses forêts transpercées de minuscules sentiers envahis déjà ; la fin de la saison approche, et personne ne vient plus guère.

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Nous guettons des orignaux. Des élans d’Amérique. Des bêtes magnifiques plus hautes qu’un cheval, à la tête chewing-gum, impayable, qui sortent des herbes hautes et s’avancent sans broncher au-devant des automobiles. Des tueurs, puisqu’ils s’écrasent sur votre capot et fracassent votre pare-brise. Des tueurs tranquilles qui, tout d’un coup, alors que nous rentrons lassés de notre veille, épuisés après des heures de ballade au cœur d’une forêt difficilement pénétrable, se laissent enfin voir. Deux surgissent devant nos roues. L’un est une ombre fantomatique et démesurée. L’autre se fait admirer avant de disparaître.

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De retour à Sainte-Flavie, nous trouvons refuge dans une immense auberge, vide, qui nous rappelle l’atmosphère inquiète du WMCA dans lequel nous avions passé nos premières nuits québécoises – un refuge de femmes battues, en périphérie de la ville, un endroit charmant. Mais l’aspect maussade de la forteresse ne nous rebute pas, d'autant plus que la journée du lendemain paraît prometteuse.


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