Le Monde publiait ce week-end une tribune du cinéaste Luc Besson. Couplée à une interview
coup de poing dans l'Hebdo Ciné de Canal+, ces deux interventions du réalisateur ont relancé le débat sur le piratage. Voici la tribune dans son intégralité.
Halte au piratage à grande échelle via Internet !, par Luc Besson
Il est un délit maintenant reconnu de tous : celui de visionner des films gratuitement sur son ordinateur via Internet. On appelle ça le "piratage", bien que l'image soit bien moins glamour que
celle du capitaine Sparrow bravant les forces de l'océan. Le piratage est tout simplement "un vol caractérisé". Il y a 500 000 vols de films par jour en France : 500 000 connexions illégales. Les
internautes français détiennent ce triste record du monde. Voilà une bien mauvaise image pour le pays des droits de l'homme.
Certains internautes se cachent derrière une idéologie, celle de la "culture gratuite", oubliant au passage les centaines de milliers de salariés qui vivent de ce secteur. Grâce à une prise de
conscience collective, le gouvernement s'apprête enfin à faire voter un dispositif qui permettra de punir les auteurs de ces vols.
La riposte sera graduée et donnera au pirate, une fois repéré et identifié, la possibilité de se ressaisir et de prendre conscience de son délit. Les internautes ne sont pourtant pas les seuls
responsables. Comment explique-t-on qu'ils aient aussi facilement accès à des films pourtant protégés par la loi ? Le visionnage gratuit et illicite de contenus cinématographiques s'effectue sur
des sites de téléchargement et de streaming (écoute en direct) très facilement accessibles sur la Toile. Ces sites ne sont pas l'oeuvre d'adolescents vaguement rebelles, mais les produits
d'entreprises motivées par la recherche du profit généré par la monétisation de leur audience.
Mes connaissances en droit sont limitées, mais il me semble que le code pénal dit clairement qu'"en matière de délit, complicité vaut crime". Il faut donc étendre la loi à ce cas et poursuivre
les dealers. Notons que ces derniers ne seront pas difficiles à identifier : ils sont connus de tous. Une loi qui sanctionnerait les voleurs sans punir les responsables de ce trafic illicite
serait une loi injuste. Quelle nation accepterait de punir sévèrement les consommateurs de drogues tout en laissant leurs dealers prospérer tranquillement ? Alors, pourquoi ne pas fermer ces
sites pour mettre un terme définitif à ces pratiques ? Car ces sites, localisés à l'étranger, échappent au contrôle du législateur du pays dans lequel se produit le délit.
Voilà pour l'histoire officielle, pourtant la vérité est bien plus complexe et dérangeante. Ces sites ne pourraient exister sans la complicité objective de bon nombre d'acteurs économiques
français qui ont un intérêt financier à faire perdurer le système. L'économie du piratage sur Internet est une longue chaîne d'acteurs qui, pour la plupart, n'apparaissent pas au grand jour mais
tirent profit de cette activité illégale. Pour que les sites de téléchargement et de streaming soient accessibles aux internautes, il faut tout d'abord trouver un hébergeur. Il arrive que ces
hébergeurs soient de nationalité française. Cette prestation, pour un site de streaming tel que BeeMotion.fr, de nationalité canadienne, est assurée par une grande entreprise française de
télécommunication, Iliad, par l'intermédiaire de sa marque Free.
COMPLICES D'UN DÉLIT
Cet opérateur perçoit chaque mois un "loyer numérique" de la part du site canadien. Par ailleurs, pour gagner de l'argent, ces sites de téléchargement signent des contrats avec des régies
publicitaires qui se chargent de commercialiser leurs espaces auprès de grands annonceurs. Dans l'exemple de BeeMotion, ce sont Google et Allotraffic.fr qui touchent des commissions de régie de
la part de marques françaises. Ces dernières utilisent le site pour promouvoir leurs produits. La marque PriceMinister, un des leaders français de l'e-commerce, est omniprésente sur le site de
BeeMotion, sous forme de bannières promotionnelles et de "pop-up" (fenêtre intruse) s'ouvrant chaque fois qu'un internaute clique pour déclencher le visionnage d'un film.
Il existe une multitude d'exemples comme celui-là, qui attestent de façon indiscutable qu'une économie du piratage se développe sur la Toile en toute impunité. De grandes entreprises françaises
sont impliquées à tous les niveaux de la chaîne de valeurs, et tirent un intérêt financier d'une activité illégale. Elles sont complices d'un délit, donc coupables, et doivent, dans un Etat de
droit comme le nôtre, être condamnées et sanctionnées.
Il faut que cesse l'hypocrisie qui permet à de grandes institutions françaises et internationales de gagner de l'argent sur le dos de créateurs qui ont perdu, rien qu'en France, 1 milliard
d'euros en 2008 à cause du piratage d'oeuvres cinématographiques sur Internet. Le cinéma continue à vivre en France grâce à quelques professionnels passionnés qui réinvestissent en permanence !
La loi doit défendre ces artistes. Une société qui ne protégerait pas le talent et la passion de la cupidité et du cynisme serait une société à bien des égards désespérante, et le désespoir est
une maladie que la France ne peut plus se permettre d'attraper.
Luc Besson
Réalisateur, producteur et scénariste