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René Depestre : Hadriana dans tous mes rêves

Publié le 04 février 2009 par Gangoueus @lareus

Je continue ma petite exploration de la prose haïtienne. J’étais resté enchanté par la lecture du recueil de 13 nouvelles vaudou de Gary Victor. Ici, avec ce roman lauréat du Prix Renaudot 1988, j’ai replongé dans l’imaginaire haïtien fertile et surprenant, conduit par la plume exquise de René Depestre.
Hadriana Siloé est la fille d’un entrepreneur français installé avec toute sa famille depuis des années à Jacmel. Cette ville est, en 1938, le principal port d’Haïti. Elle transpire la vie de tous ses pores. C’est la ville de Patrick Altamont le principal narrateur de ce texte, frère de baptème d’Hadriana.
Hadriana est belle, jeune, blanche et à l’occasion de son mariage avec un pilote de ligne haïtien, toute la ville se prépare à un gigantesque carnaval pour fêter dignement les mariés. Seulement, voilà, Hadriana décède sur l'autel de l'église en acceptant la main de son bien-aimé.

Ce qui vient d’être décrit est dramatique et pourrait être analysé rationnellement sous toutes les coutures. Seulement nous sommes en Ayiti. Et les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles en ont l’air. Jacmel, sous la plume de René Depestre, est partagé, écartelé entre ses croyances chrétiennes et vodouisantes. Et la mort n’est peut-être pas tout à fait ce qu’elle est. Avez-vous entendu parler du processus de zombification ? Si vous voulez en savoir vraiment plus, je vous encourage à lire cet ouvrage étonnant, rythmé par une écriture riche, sur un ton parfois ironique, souvent joyeux mais également portant la tristesse et l'impuissance du narrateur devant la décrépitude, au fil des ans, de sa ville natale et par extension d'Ayiti. Plusieurs années après cette journée de folie, dans son exil et ses voyages loin de Jacmel, Patrick reste hanté par le souvenir d’Hadriana dont le corps a été subtilisé peu après son enterrement.
René Depestre offre dans ce texte une réflexion sur le rapport à la mort mais également sur la vie, sur les choix collectifs qu’une communauté peut entreprendre en s’abritant derrière ses croyances populaires. Naturellement, je me demande si j’ai pu saisir le deuxième niveau de lecture qu’offre ce texte. Parce que finalement, il est difficile de savoir si Depestre adhère ou fustige les croyances qui hantent ses personnages. Par conséquent, à quel moment manie-t-il l’ironie, le sarcasme, la critique sur des systèmes de valeur qui pilotent son île ? La condition d’Hadriana semble être une métaphore de la situation haïtienne. Entre la mort et la vie, le corps bien présent mais l’âme captive quelque part dans une dame-jeanne.
Une lecture passionnante.

Huitième proposition : Portrait du zombie
Voici les éléments qui serviraient à tracer le portrait de ce sous-nègre. Personnalité en pièces détachées, sans souvenir ni vision du futur, sans besoin ni rêves, sans racines pour porter des fruits (…) objet errant au royaume des ombres, loin du sel et des épices de la liberté
Page 140

René Depestre, Hadriana dans tous mes rêves
Edition Gallimard, Collection Folio,
1ère parution 1988, 213 pages
Prix Renaudot 1988Photo René Depestre ©UNESCO/Inez Forbes

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