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Le cimetière des empires

Publié le 17 février 2009 par Tanjaawi

Alors que la situation se détériore rapidement sur le terrain, l’aventure sud-asiatique de l’impérialisme américain déraille.

Le nouveau bourbier asiatique des États-Unis

Mondialisation.ca, Le 17 février 2009 / par Tom Burghardt

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Le cimetière des empires

Le New York Times révélait le 4 février que l’acheminement du ravitaillement « destiné aux forces de l’OTAN en Afghanistan a été suspendu mardi après que des militants talibans ont fait exploser un pont dans la passe de Khyber, une zone tribale anarchique du nord-ouest, à cheval sur la frontière pakistano-afghane. »
Le pont en fer d’une longueur de 30 verges est situé au Pakistan, à environ 24 kilomètres au nord-ouest de Peshawar, capitale de la Province frontière du Nord-Ouest (NWFP), une métropole florissante de plusieurs millions d’habitants. Environ 80 % du ravitaillement de l’OTAN en Afghanistan transitait par cette importante route.
Selon le Los Angeles Times, les attaques de mardi se sont poursuivies mercredi lorsque des insurgés ont mis le feu à 10 camions d’approvisionnement revenant d’Afghanistan. Les entrepreneurs locaux qui transportent par camion le ravitaillement destiné aux forces de l’OTAN – principalement de la nourriture et du pétrole – sont désormais nombreux à refuser de conduire sur la route difficile de la passe de Khyber en raison des conditions dangereuses.
Comme le rapportait le Asia Times le 29 janvier 2009, Peshawar est la capitale commerciale, économique, politique et culturelle des Pachtounes au Pakistan. Elle se métamorphose de plus en plus en un important centre de pouvoir pour les djihadistes, des deux côtés de la frontière.
À l’heure actuelle, pour les talibans et d’autres militants, Peshawar et ses environs ne sont pas seulement l’épicentre du combat qu’ils mènent en Afghanistan et au Pakistan. C’est aussi là qu’ils tentent d’établir la base à partir de laquelle ils feraient la « guerre de la fin des temps » qui s’étendrait jusqu’au cœur de Damas et de la Palestine. (Syed Saleem Shahzad, « On the Militant Trail, Part 1: A battle before a battle, » Asia Times Online, 29 janvier 2009)
Les enlèvements – perpétrés par des militants ou des gangs criminels – et les décapitations sont de plus en plus fréquents et la population de Peshawar vit dans la peur. Les résidents croient qu’une « confrontation majeure » entre l’État et les djihadistes « est imminente ».
On pouvait lire dans le Daily Times du 4 février que la « talibanisation » de la zone tribale d'Orakzai, près de Peshawar, s’est accélérée à un point tel que les locaux ont fuit la région afin d’« échapper à une gouvernance de style taliban ». Le quotidien révélait que  
Orakzai, qui a une frontière commune avec le district de Kurram à l’ouest et celui de Hangu à l’est, fournit un moyen au Tehreek-e-Taliban Pakistan (Mouvement des talibans du Pakistan), qui a été banni, d’étendre son influence à Peshawar par la zone tribale de Khyber. L’organisation a déjà fait savoir qu’elle était dans la région en attaquant un terminus de convois pour le ravitaillement des forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan. En dépit des tentatives du gouvernement pour stopper leur infiltration, les talibans ont célébré récemment leur « contrôle total » de la région en y invitant un groupe de journalistes à une démonstration de pouvoir. (Abdul Saboor Kahn, « Orakzai becomes a new have for Taliban », Daily Times, 4 février 2009)
Des officiels pakistanais ont avoué au New York Times qu’« ils ne savaient pas pour l’instant quand les camions pourraient à nouveau emprunter la passe de Khyber pour acheminer de l’approvisionnement crucial aux forces de l’OTAN en Afghanistan ».
Entre-temps, les États-Unis ont subi un autre revers concernant leurs plans dans la région. Un article du Guardian révélait le 3 février que le Kirghizstan, ancienne république soviétique d’Asie centrale, menaçait de fermer sa base aérienne américaine de Mana, « un relais clé pour les forces de la coalition qui se battent près de là, en Afghanistan ».
Les commandants des États-Unis et de l’OTAN ont tous deux exprimé leur désarroi face à la fermeture potentielle de la base.
Elle survient au moment où l’OTAN tente désespérément de développer son réseau routier d’approvisionnement en passant par les pays du nord de l’Asie centrale à la suite d’une série d’attaques dévastatrices de convois de camions provenant du Pakistan. (Luke Harding, « Closure of US base in Kyrgyzstan could alter Afghanistan strategy », The Guardian, 3 février 2009)
Imitant le Grand Jeu du 19e siècle de la Russie tsariste et la Grande-Bretagne impérialiste pour le contrôle de l’Asie centrale, la Russie fait pression sur le régime autoritaire de Kurmanbek Bakiyev pour qu’il expulse les Américains, perçus comme un pouvoir déstabilisateur dans la région.
Pour les États-Unis, l’expulsion de leurs forces de la base aérienne de Mana porterait un coup à leur effort en vue de contrôler des routes essentielles pour leurs cargaisons licites et illicites – incluant le trafic prospère d’héroïne – et succéderait à leur éviction similaire de l’Ouzbékistan en 2006, à la suite d’un marché conclu entre Moscou et la cleptocratie ouzbèke dirigée par le président Islam Karimov.
Le Parlement kirghiz doit se prononcer la semaine prochaine sur une mesure d’expulsion des Étasuniens de Mana. La « perte de la base poserait un problème significatif au gouvernement Obama », signalait le New York Times le 5 février. Le quotidien rapportait que « près de 15 000 employés et 500 tonnes de cargaisons passent par Mana chaque mois. La base abrite également de gros avions-citernes utilisé pour le ravitaillement en vol des avions de combat en mission au dessus de l’Afghanistan ».
Mais outre le bluff d’argent et des prêts offerts à la nation centrasiatique appauvrie, le gouvernement russe s’attend à un quiproquo de la part du gouvernement Obama si les États-Unis sont autorisés à continuer à utiliser Mana comme aire de lancement vers l’Afghanistan. En tentant de mettre de la pression sur les États-Unis, les Russes jouent dur et cherchent à obtenir des concessions du gouvernement Obama afin qu’il renonce aux infrastructures de « défense antimissile » prévues en Pologne et en République Tchèque, et qu’ils considèrent comme une arme de première frappe.
 
Depuis la chute de l’Union Soviétique, les États-Unis impérialistes et leurs partenaires de l‘OTAN ont encerclé la Russie grâce à une chaîne de bases militaires en Europe, en Asie centrale et dans le Caucase, parallèlement à l’expansion de l’OTAN à l’Est. De plus, la CIA, le MI6 britannique et l’ISI pakistanais ont alimenté l’insurrection « islamiste » intermittente en Tchétchénie, une manœuvre destinée à accélérer la désintégration de la Fédération de Russie en petits États dociles alignés sur les États-Unis -- un scénario familier ayant servi à démanteler l’ex-Yougoslavie.
Alors que le gouvernement Obama compte sur un dénouement favorable en Afghanistan et qu’il intensifie les opérations militaires, en doublant les troupes américaines à 60 000 dans les douze prochains mois, le réapprovisionnement de ces troupes s’annonce sinistre sans la coopération russe.
Le 4 février, le Washington Post révélait que « des officiels en poste depuis peu décrivent une situation sur le terrain bien plus précaire qu’ils ne l’avaient anticipée ». Lundi, le Independent déclarait que la situation dans la province de Helmand, au sud de l’Afghanistan, était particulièrement déroutante pour des opérations de l’OTAN.
Durant l’opération Kapcha Salaam ou « Salut du Cobra », une offensive armée britannique et afghane impliquant de l’artillerie lourde et des avions de guerre, les soldats étaient continuellement attaqués par les roquettes, les mortiers lourds et les bombes artisanales sophistiquées des insurgés. D’après le Independent, les rangs de ces derniers étaient remplis de militants pakistanais et tchétchènes. Aussi, la lutte fait payer un lourd tribut aux citoyens afghans. Le Independent révélait que
À l’extérieur de Koshtay, Haji Mohammed Amin s’est plaint que « des talibans et des bandits » pourchassaient les habitants. « Ils viennent la nuit et nous demandent de les nourrir, parfois de leur donner de l’argent. Ils ne sont pas Afghans, ils sont Pakistanais. Nous avons vécu 30 ans de guerre et ce n’est pas terminé. Où est notre gouvernement ? Pourquoi ne nous aide-t-il pas ? Nous avons à peine de quoi manger. » Ahmed Jan s’est plaint lui aussi : « C’est notre terre, nous avons besoin d’elle pour vivre et vous et les talibans l’utilisez pour faire vos guerre. Nous voulons vivre en paix. Vous êtes ici maintenant, mais vous partirez et les talibans reviendrons. » (Kim Sengupta, « Under fire in the Afghan badlands », The Independent, 2 février 2009)
Si les choses vont comme le désire le gouvernement américain, la paix n’est pas pour bientôt. Le secrétaire à la Défense, Robert Gates, un rescapé de M. Bush, disait au Congrès la semaine dernière que la guerre serait un « long travail » au dénouement incertain. Mais si l’histoire est gage d’avenir, la fin n’augure pas bien pour l’impérialisme – ou les populations d’Asie du Sud.
Alors que des officiels de haut rang du gouvernement Obama et des bureaucrates du Pentagone s’en remettent au gouvernement du président Asif Ali Zadari pour stabiliser la situation du côté de la frontière pakistanaise, les reportages indiquent que l’ISI continue de financer et de conseiller des armées par procuration.
Le Los Angeles Times révélait le 3 février que des officiels afghans de la sécurité avaient démantelé une cellule de kamikaze dans la capitale, Kaboul, et que les 17 hommes arrêtés étaient prétendument « affiliés à un groupe de militants situé au Pakistan connu sous le nom de réseau Haqqani et que le chef de cette cellule était de nationalité pakistanaise ».
Même si, selon le L.A. Times, les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan se sont « considérablement améliorées » depuis que M. Zadari a pris les rênes du régime méprisé de M. Musharraf, la politique de l’ISI contre son rival géopolitique, l’Inde, n’a pas changé malgré les milliards de dollars d’assistance en « contre-terrorisme » et de soutien armé des Étatsuniens : l’ISI cherche une « profondeur stratégique » en contrôlant un État client afghan conciliant.
Les liens de longue date entre l’agence d’espionnage et le réseau Haqqani, mené par le commandant vétéran taliban Jalaluddin Haqqani et son fils Sirajuddin, ont fait la une l’an dernier lorsque le renseignement américain a confirmé l’affirmation des autorités afghanes voulant que l’ISI ait aidé le groupe à bombarder l’ambassade indienne à Kaboul en juillet. Cette attaque a tué près de 60 personnes. (M. Karim Faiez and Laura King, « Suicide Bombing Ring Is Brought Down in Afghanistan, Officials Say », Los Angeles Times, 3 février 2009)
En raison du délai de deux mois lié au sommet de l’OTAN le 3 avril, le Pentagone s’active pour trouver une stratégie approfondie. Les États-Unis auront de la difficulté à convaincre leurs partenaires de l’OTAN, outrés des ordres du commandant de l’OTAN, le général étatsunien John Craddock, de tuer les vendeurs d’opium.
La protection du trafic de drogue et l’hypocrisie étasunienne.
L’Associated Press rapportait que les États-Unis tentent d’importer la « stratégie d’invasion » irakienne en Afghanistan et arment une milice sur le terrain pour combattre les talibans.


Le ministre afghan de l’intérieur a annoncé que le programme avait débuté et que les États-Unis « payaient pour tout », incluant « l’achat de kalachnikovs pour les membres de la Force de protection civile afghane », calquée sur les Conseils de l’éveil en Irak. Un officiel afghan sceptique a confié à l’Associated Press que « seul des criminels s’engageraient dans cette force puisque la plupart des citoyens ne voudraient pas faire face aux talibans dans un combat ».
Mais c’est peut-être précisément le but du programme, d’arracher le contrôle du trafic lucratif d’héroïne des mains d’éléments peu fiables redevables aux talibans et à Al-Qaeda, qui détourneraient supposément 100 millions de dollars par année du trafic de drogue mondial. La meilleure façon de perturber l’insurrection « islamiste » est d’accorder aux criminels et aux seigneurs de guerre alliés aux Étasuniens une partie du combat.



Dans ce contexte, les ordres du général Craddock sont tout ce qu’il y a de plus ironique lorsque l’on considère que les forces qui se battent actuellement contre l’OTAN en Afghanistan se sont enrichies dans les années 1980 quand Washington a fermé les yeux sur les réseaux de trafiquants de drogue qu’ils avaient eux-mêmes encouragés dans le but de faire du tort à leur adversaire de la guerre froide, l’Union Soviétique.
Selon le spécialiste Alfred W. McCoy, « durant les années 1980, les opérations clandestines de la CIA en Afghanistan ont transformé l’Asie du Sud, une zone d’opium en vase clos, en un fournisseur important d’héroïne pour le marché mondial ». Comme moyen impérialiste, l’ISI a distribué des fonds, des armes et de l’expertise à des militants d’extrême droite, tel que Gulbuddin Hekmatyar. Voyou devenu dominant en attaquant des étudiants communistes et tristement célèbre pour avoir lancé de l’acide au visage de femmes non voilées à l’Université de Kaboul pendant les années 1970, Hekmatyar était un grand narcotrafiquant, favori de la CIA et de ses complices dans le crime de l’ISI. McCoy écrit ceci :


Au moment où les moudjahidin clients de l’ISI utilisaient leurs nouvelles munitions de la CIA afin de capturer des zones agricoles primordiales en Afghanistan pendant les années 1980, les guérilleros ont pressé leurs sympathisants chez les paysans de cultiver du pavot, doublant ainsi les récoltes d’opium du pays à 575 tonnes entre 1982 et 1983. Une fois que ces moudjahidin avaient amené l’opium de l’autre côté de la frontière, ils le vendaient à des raffineurs d’héroïne pakistanais qui opéraient sous la protection du général Fazle Huq, gouverneur de la NWFP. En 1988, on estimait de 100 à 200 le nombre de raffineries d’héroïne, uniquement dans le district de Khyber. Des camions de la National Logistics Cell de l’armée pakistanaise arrivant avec des armes de la CIA en provenance de Karachi retournaient souvent remplis d’héroïne et protégés contre les fouilles policières par des documents de l’ISI. (The Politics of Heroin, CIA Complicity in the Global Drug Trade, Chicago : Lawrence Hill Books, 1991, p. 453-454)
Le magazine d’actualités allemand Der Spiegel révélait le 28 janvier que « le commandant en chef de l’OTAN, John Craddock, souhaite que l’alliance tue les revendeurs d’opium, sans preuves de leur lien avec l’insurrection. Les commandants de l’OTAN refusent cependant de suivre les ordres ».
Dans un document dont Der Spiegel a obtenu copie, on mentionne que Craddock a donné des « directives » conférant aux troupes de l’OTAN l’autorité d’« attaquer directement les producteurs de drogue et leurs installations à travers l’Afghanistan ». En d’autres mots, les États-Unis veulent élargir la zone de tir libre existante, laquelle est directement responsable de milliers de victimes civiles. Der Spiegel rapporte que :
Selon le document, une force mortelle doit être utilisée même dans les cas où aucune preuve n’existe que les suspects sont engagés activement dans la résistance armée contre le gouvernement afghan ou les troupes occidentales. Il n’est « plus nécessaire de récolter des renseignements ou tout autre preuve que chaque trafiquant de drogue ou chaque unité de production de stupéfiants en Afghanistan remplit les critères qui en font une cible militaire », écrit le général Craddock. (Susanne Koelbl, « NATO High Commander Issues Illegitimate Order to Kill », Spiegel Online, 28 janvier 2009)
Un général allemand de l’OTAN, Egon Ramms, et d’autres commandants européens refusent de « déroger à leurs règles d’engagement actuelles en ce qui concerne les attaques », un geste qui a outré le général Craddock. Considéré comme un fidèle bushiste qui « craint que le nouveau président des États-Unis ne le remplace », Craddock menace de destituer tout commandant qui n’observe pas à la lettre la nouvelle ligne de parti et « ne suit pas ses instructions de pourchasser la mafia de la drogue ».
Mais ici comme ailleurs, les choses ne sont pas toujours comme elles semblent. Il serait peut-être plus juste de dire que le général Craddock, sous la pression de la nouvelle politique anti-Karzaï de l’administration Obama, ciblera quelques narcotrafiquants – ceux dans l’orbite de M. Karzaï – tout en refilant la concession lucrative d’opium à ses nouveaux « meilleurs amis à jamais », les seigneurs de guerre afghans et les « hommes d’affaires » pakistanais. Cela est particulièrement le cas depuis que Washington cherche de nouveaux « alliés provinciaux » davantage conciliants dans la Force de protection civile afghane.
Tel que l’a documenté Peter Dale Scott dans Drugs, Oil and War, « des décisions ont été prises consciemment, à plusieurs reprises, précisément pour allier les États-Unis aux trafiquants de drogue locaux ». En Asie centrale et du Sud, ces «  trafiquants de drogue » et les institutions financières au service de puissants intérêts politiques, militaires et de renseignements, comme la Bank of Credit, la Commerce International (BCCI) et son nébuleux « Réseau noir », ont aidé à transformer les moudjahidin afghans en Al-Qaeda.
Même s’ils tiennent un discours ouvertement islamiste, Al-Qaeda et ses membres affiliés ont continué à servir les agences de renseignement occidentales en tant qu’atouts jetables utilisés dans de diverses opérations de déstabilisation en Europe, au Moyen-Orient et en Asie dans les années 1990 et aujourd’hui. Tandis que « les voies ont changé selon la politique de l’époque, écrit M. Scott, le dénominateur de la CIA est demeuré constant ».
C’est absurde ? Considérez ce qui suit. Lorsque la Special Forces Operational Detachment-Delta de l’Armée américaine (Force opérationnelle spéciale de détachement Delta, connue sous le nom de Delta Force) a « brisé » le cartel Medellín de Pablo Escobar dans les années 1990, elle se fiait à d’autres cartels de narcotrafiquants pour effectuer le travail, notamment le cartel de Cali – dirigé par les frères Orejuela, Gilberto Rodríguez et Miguel Rodríguez – plus grand et plus profitable que celui de Medellín.
Grâce à la déclassification de documents de la CIA et de l’ambassade américaine par la National Security Archive, nous savons maintenant que c’était effectivement le cas. Plus important encore, les documents confirmaient que « les efforts anti-narcotiques » ne ciblaient pas le trafic de drogue en soi, mais uniquement les bandes criminelles qui se heurtaient aux intérêts géostratégiques étendus des États-Unis en Colombie, un pays riche en ressources.
En d’autres termes, la politique étasunienne dans la région revenait à protéger le trafic de drogue des alliés engagés dans des opérations de contre-insurrection anti-gauche. Tout en ciblant le cartel Medellín d’Escobar, le Special Operations Command (Commandement des opérations spéciales) des États-Unis et la CIA collaboraient directement avec un escadron de la mort qui s’est ensuite métamorphosé en groupe paramilitaire allié à l’Armée colombienne, le Autodefensas Unidas de Colombia (AUC). Fondé par un grand narcotrafiquant international, Carlos Castaño, le AUC était un allié politique des frères Orejuela et de l’homme qui deviendrait plus tard président de la Colombie, Alvaro Uribe.
Les parallèles entre les deux régions riches en ressources ne pourraient frapper davantage. Le journaliste d’enquête pakistanais Ahmed Rashid décrivait un mode d’opération similaire lorsque l’occupation américaine de l’Afghanistan a débuté en 2001.
Le Pentagone détenait une liste de 25 laboratoires et entrepôts de drogue ou plus en Afghanistan, mais refusait de les bombarder car certains d’entres eux appartenaient au nouvel allié de la CIA, l’Alliance du Nord (AN). Les États-Unis ont déclaré à leurs alliés britanniques que la guerre au terrorisme n’avait rien à voir avec la lutte antidrogue. Les seigneurs de guerre ont plutôt été fêtés par la CIA qui leur demandait s’ils n’avaient pas des renseignements sur Oussama ben Laden. Ainsi, les États-Unis leur envoyaient un premier message des plus clairs : ils ne constituaient pas des cibles. (Descent into Chaos: The United States and the Failure of Nation Building in Pakistan, Afghanistan, and Central Asia, New York : Viking, 2008, pp. 320-321)


Avec la stratégie américaine régionale de contre-terrorisme toujours si tolérante, l’Afghanistan a produit une étonnante quantité d’opium, 8 700 tonnes métriques, et représente maintenant 92 % de la production mondiale d’opium, selon le Rapport mondial sur les drogues 2008 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
Pendant ce temps, alors que l’administration Obama et le Pentagone préparent une escalade militaire d’envergure dans la région et que les talibans gagnent du terrain, « il y a peu de progrès perceptibles en ce qui concerne les efforts visant à enrayer la culture du pavot et le commerce de la drogue, qui remplissent les poches des talibans et du gouvernement », révèle le Washington Post.
Au contraire, autant chez les alliés de l’OTAN que chez leurs adversaires islamistes, de tels « efforts » sont le présage d’une bataille stratégique pour le contrôle du marché de l’héroïne valant plusieurs milliards de dollars. Peu importe qui sera « gagnant », les populations de l’Asie du Sud en subiront certainement les conséquences.

Article original en anglais : America's New Asian Quagmire, Graveyard of Empires, le 7 février 2009.
Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca.


Tom Burghardt est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca.  Articles de Tom Burghardt publiés par Mondialisation.ca



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