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Publié le 18 février 2009 par [email protected]

Flaubert

Didier Nordon m’a fait part d’un thème qu’il juge paradoxalement trop parfait pour être publié dans le bloc-notes qu’il tient dans le mensuel Pour la Science, car il n’y aurait plus rien à rajouter, estime-t-il, à un article sur cette histoire déjà paru dans Libération (13/01/2006). Je n’aurai pas le même scrupule de taire ce sujet, sous prétexte que d’autres l’ont déjà évoqué. Il mérite au contraire la plus large diffusion. On en trouvera la source sur le site de l’université de Rouen ou sur celui de la faculté de Jussieu. Voici l’affaire narrée par son principal protagoniste, un particulier (c’est-à-dire un non-spécialiste du sujet !), Mr. Claude Cambe (d’Aix-en-Provence), dans une correspondance avec les universitaires de Rouen inquiets de la paternité d’une citation poétique, faite par Gustave Flaubert : « Les Œuvres de jeunesse, éditées par Guy Sagnes et Claudine Gothot-Mersch dans la Bibliothèque de la Pléiade en 2001, comprennent le récit de voyage Pyrénées-Corse ». Où l’on trouve ces vers :
« À quoi bon toutes ces peines,
Secouez le gland des chênes,
Buvez de l’eau des fontaines,
Aimez et rendormez-vous. »
Les doctes érudits commentant cette édition regrettent dans une note de n’avoir, « pas plus que les éditeurs successifs de la Correspondance, retrouvé l’auteur de ces vers figurant aussi dans une lettre du 15 mars 1842. »
Et c’est ici que survient un retour de bâton de l’érudition spécialisée (pléonasme ou oxymoron ?) : « Grâce à Google, écrit Claude Cambe, il m’a fallu en fait trois secondes pour retrouver le nom de ce poète : Victor Hugo himself dans le poème Soirée en mer des Voix intérieures. » Non seulement la paternité hugolienne est rétablie dans cette énigme de cent soixante-quatre ans, mais le texte du quintil original (un peu altéré par Flaubert) est enfin rétabli :
« À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l’onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez- vous ! »
Claude Cambe conclut : « C’est aussi l’histoire de la puissance d’Internet et de l’intérêt de Google… Qu’un modeste amateur comme moi puisse en quelques secondes dénicher une information que d’illustres commentateurs n’ont pas pu trouver m’apparaît comme une chose assez effrayante et en même temps assez réjouissante. » Didier Nordon y voit en plus un symbole du manque profond de communication entre spécialistes : « les flaubertiens ne rencontrent-ils donc jamais des collègues hugoliens ? » Illustration supplémentaire de la vieille boutade chiasmatique : « les spécialistes d’une discipline ont tout appris sur rien, et les généralistes n’ont rien appris sur tout ! » Google 1, spécialistes 0 ?…


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