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Les forts et les faibles

Publié le 21 février 2009 par Jcgbb

Les forts et les faibles ne sont pas ceux qu’on croit. Les philosophes, comme la plupart des hommes, sont coutumiers du fait, de ces sortes de surprise du réel qui renversent une évidence en son contraire et font découvrir à quel point une apparence peut être trompeuse. Le plus puissant n’est pas celui qu’on croit, ni l’homme qui paraît le plus heureux, ni celui qui semble le plus malheureux.

Hegel, après bien d’autres, renversait déjà la prétendue supériorité du maître sur l’esclave. Celui qui commande et qui ordonne n’est pas si maître que ça : il devient impotent et dépendant. Le maître est l’esclave de l’esclave et ne sait plus rien faire – sa seule puissance est de tonner. L’esclave à l’inverse devient le maître du maître : il domine par son action et son service devient sa supériorité. Maîtres et esclaves sont donc à l’opposé des représentations que nous en avons.

Qu’en est-il des forts et des faibles ? Nietzsche propose un renversement un peu différent. Derrière la figure du puissant ne se cache pas une piteuse impuissance, ni derrière la faiblesse une force extraordinaire. Nietzsche bouscule plutôt les connotations attachées, à tort selon lui, à ces types psychologiques : les forts sont plus doux, et les faibles plus redoutables qu’on ne le croit. Chez Nietzsche, les bons véritables sont toujours les puissants, tandis que de la faiblesse croît toujours la haine. Si bien que les faibles cessent d’être ceux qu’il faut  plaindre, mais dont il faut se méfier. Pourquoi ?

Que signifient, pour Nietzsche, force et faiblesse ? Ecartons tout de suite un malentendu. Force et faiblesse ne sont pas des déterminations sociales mais physio-psychologiques. Les forts et les faibles ne s’opposent pas par leur statut social, mais par leur profil médico-moral. Le fort est fort : il a une belle vitalité et un rapport sain à lui-même. Il est confiant, assuré, doté d’un léger sentiment de supériorité – le fort s’aime lui-même. Le faible est faible : il est fragile et fatigué, triste et las, sans initiative et sans vigueur – le faible se déteste.

Quel rapport avec la morale ? Notre manière d’être détermine nos rapports aux autres et l’on est bon ou haineux avec les autres à proportion du degré d’amour ou de haine qu’on a pour soi. Le fort s’aime tellement que, sans être obnubilé par eux, il aime aussi les autres, y compris ceux qui ne sont pas comme lui : son amour, quoique parfois tiède et indifférent, s’épanche sur les autres. A l’inverse, le faible a tellement de haine qu’il ne pense qu’à lui et à la déverser sur les autres. Le faible est torturé par une idée fixe : renverser et dominer.

La morale est qu’il y a deux manières de se rapporter à soi, induisant deux façons opposées de se rapporter aux autres. L’originalité de ces vues est que toute bonté véritable dérive de l’amour de soi et se mélange d’indifférence. A l’inverse, que toute méchanceté profonde, parce qu’elle est obsession des autres, prend souvent la forme de l’altruisme.


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